Nous sommes en 1811, Joseph Bonaparte occupe le trône de Ferdinand VII, prisonnier en France. La cité de Cadix – ou du moins une partie - vit sous le feu des bombes françaises. Celles-ci manquent de quelques toises de portance pour causer de véritables dégâts. Elles démolissent de temps en temps une maison, un pan de mur, créant un cratère. Et, dans ces espaces ainsi délimités, un sadique tue. De très jeunes filles. Il ne les viole pas, il leur lacère le dos à l’aide d’un fouet tressé de fil de fer barbelé, jusqu’aux os.
C’est le problème numéro un du commissaire Rogelio Tizon, qui en discute lors de ses parties d’échecs avec le professeur Hipolito Barull, qui le met mat régulièrement. Car la clé est dans cette sorte d’échiquier que constitue la trame des ruelles de Cadix, ville assiégée mais où se forge une nouvelle Constitution, d’inspiration libérale. Cadix, dernier espace encore libre, mais dont la richesse commerciale ne restera pas indemne lorsque les colonies américaines auront pris leur indépendance.
Ainsi marchent par deux les personnages de ce roman d’Arturo Perez-Reverte : du côté français, il y a Simon Defosseux, l’artilleur qui se démène pour obtenir des munitions plus efficaces, avec l’aide d’un espion qu’il ne connaît même pas, un taxidermiste qui lui communique par pigeons voyageurs le lieu d’impact des projectiles. Il y a aussi le capitaine corsaire Pepe Lobo et sa patronne et associée, la belle Dolorès Palma, chef de la maison de commerce dont elle a pris la succession après la mort de son père. Il y a aussi Felipe Mojarra, le saunier intrépide, capable de dérober une felouque armée de canons à la barbe des français, et Ricardo Marana, le jeune second de la Culebra, le cotre corsaire : des manières de petit marquis, pas encore vingt ans, atteint d’une phtisie irrémédiable.
Merveille d’un roman où ces histoires s’imbriquent. A la fois thriller, étude d’histoire, réflexion philosophique et mathématique, roman maritime, romance …et rien de tout cela. On est seulement complètement envoûté par le charme de Cadix au bord du gouffre. La ville assiégée reste ouverte sur l’océan, et toutes les classes sociales se retrouvent au théâtre. Et ce n’est pas la première fois que l’auteur utilise l’image de l’échiquier (je me souviens du Tableau du maître flamand).Un peu longue à démarrer, l’intrigue s’emballe dans les cent cinquante dernières pages. La traduction de François Maspero est étincelante de précision – les spécialistes de la voile se régaleront, les autres un peu moins – le style poli comme autant de pierres précieuses qu’un coffre de pirates peut en contenir.
Du bon Perez-Reverte….à la manière d'un tableau de guerre de Goya...à moins qu'il ne s'agisse des couleurs chatoyantes du portrait du roi Ferdinand VII ....mais je crois que j’ai tout de même préféré la Peau du tambour…sans doute parce que je connais Séville et non Cadix !
CADIX, LA DIAGONALE DU FOU (EL ASEDIO) d'Arturo Perez-Reverte. Traduit de l'espagnol par François Maspero, au Seuil, 766 p., 23 €.