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chaos

Publié le 04 novembre 2011 par Hoplite

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"(...) L’idée couramment répandue est que la crise de la dette publique résulte d’un excès de
dépenses lié à la légèreté des Etats. Que les Etats n’aient pas toujours agi dans le bon sens est
une évidence, mais les causes profondes sont ailleurs. La cause immédiate de l’aggravation des dettes publiques tient aux plans de sauvetage des banques privées décidées par les Etats en 2008 et 2009. Les banques ont forcé les pouvoirs publics à les secourir en faisant valoir la place névralgique qu’elles occupent dans la structure générale du système capitaliste. Pour renflouer les banques et les compagnies d’assurances menacées, les Etats, pris en otages, ont dû emprunter à leur tour sur les marchés, ce qui a accru leur dette dans des proportions insupportables. Des sommes astronomiques (800 milliards de dollars aux Etats-Unis, 117 millions de livres en Grande-Bretagne) ont été dépensées pour empêcher les banques de sombrer, ce qui a grevé d’autant les finances publiques. Au total, les quatre principales banques centrales mondiales (Réserve fédérale, Banque centrale européenne, Banque du Japon et Banque d’Angleterre) ont injecté 5000 milliards de dollars dans l’économie mondiale entre 2008 et 2010. C’est le plus grand transfert de richesse de l’histoire du secteur public vers le secteur privé ! En s’endettant massivement pour sauver les banques, les Etats ont permis aux banques de se relancer immédiatement dans les mêmes activités qui avaient abouti précédemment à les mettre en péril. Mais ils se sont d’eux-mêmes placés sous la menace des marchés et des agences de notations.


Une autre cause est évidemment la récession économique induite par la crise, qui a diminué les recettes des Etats et les a obligés à multiplier encore les recours à l’emprunt. Mais la cause la plus lointaine réside dans les politiques de dérégulation et les réformes fiscales (réduction des impôts sur les bénéfices payés par les sociétés privées, en particulier les plus grosses entreprises, cadeaux fiscaux faits aux plus riches) adoptées bien avant 2008, depuis l’époque de Reagan et Thatcher.
L’augmentation de l’influence des lobbies financier sur le personnel politique a entraîné la dérégulation progressive des marchés financiers, qui a elle-même provoqué l’explosion des gains spéculatifs drainant le capital hors de la sphère productive. Le libre-échangisme de son côté a favorisé la concurrence déloyale des pays associant salaires minimaux et productivité élevée. La dérégulation, obéissant à la logique du marché mondialisé comme aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a abouti dès 1999 à la suppression de toute barrière douanière significative et à l’abolition de fait de la préférence communautaire en Europe. La vitesse à laquelle le capital financier et les capitaux spéculatifs peuvent désormais rentrer ou sortir des économies particulières a encore accru la volatilité des prix des actifs et la gravité des conséquences de la crise. Les conséquences sont connues : multiplication des délocalisations, désindustrialisation, baisse des salaires, précarité de l’emploi, hausse du chômage. S’y ajoute la fuite des capitaux : en France, entre 2000 et 2008, 388 milliards d’euros, soit une moyenne de 48,5 milliards d’euros par an (ce qui correspondait en 2008 à 2,5 % du PIB), ont pris le chemin de l’étranger. Le seul effet de la vague de dérégulation qui s’est instaurée à partir du début des années 1980 a en fait été d’enrichir encore plus les plus riches, tandis que les classes moyennes et populaires voyaient chaque année leurs revenus stagner ou décliner. Les inégalités de revenus s’accroissent partout, le chômage s’étend, les gains de productivité et les salaires moyens divergent. Le chômage atteint aujourd’hui 12 % au Portugal, 14 % en Irlande, 16 % en Grèce, 21 % en Espagne. Globalement, la part des profits financiers dans l’accumulation de la valeur ajoutée est passée de 10 % dans les années 1950 à plus de 40 % aujourd’hui.


La main-mise de la nouvelle oligarchie financière sur l’économie mondiale n’a donc cessé de se renforcer malgré la crise. En témoignent les profits de ces mêmes banques qui, en 2008, avaient fait le siège des Etats pour demander qu’on les aide à échapper à la faillite. En 2009, soit après le choc financier de l’année précédente, la totalité des actifs des six principales banques américaines (Bank of America, JP Morgan, Citygroup, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley) a représenté plus de 60 % du PNB national, alors qu’ils n’en représentaient encore que 20 % en 19951 ! Toujours aux Etats-Unis, un récent rapport de la Northeastern University montre qu’en 2010, 88 % de la croissance du revenu national réel ont servi à augmenter les profits des entreprises, tandis que les salaires n’en ont bénéficié qu’à hauteur (si l’on peut dire) d’un peu plus de 1 %. Jamais dans l’histoire américaine, les travailleurs n’avaient reçu une part aussi minuscule de l’augmentation de la valeur ajoutée. On pourrait parler ici de reprolétarisation du capital productif par le capital financier. Les effets de la concentration du capital entre les mains d’un petit nombre de financiers ont été étudiés par Paul Jorion. Celui-ci montre bien comment la multiplication des produits spéculatifs a favorisé l’installation d’une économie de casino, qui a systématiquement favorisé les revenus des spéculateurs au détriment des consommateurs et parfois même des producteurs. Parallèlement, la collusion entre les marchés financiers et l’industrie du crime s’accentue tous les jours. « Le monde de la finance est rongé par de puissantes et discrètes forces criminelles, mais il le nie fortement et même dépense des fortunes pour empêcher que cela ne se voie », écrit le criminologue Xavier Raufer, qui ajoute : « Du fait de la dérégulation mondiale, puis de la crise, l’économie illicite (grise ou noire) qui, vers 1980, constituait quelque 7 % du produit brut mondial, en représentait en 2009 sans doute 15 % (soit l’équivalent du PNB de l’Australie) ».


Autre conséquence particulièrement inquiétante : la désindustrialisation provoquée par la déconnection de l’économie réelle et de l’économie financière, et l’explosion des gains spéculatifs qui en résulte. Dans l’ensemble des pays membres de l’OCDE, quelque 17 millions d’emplois industriels ont été détruits en l’espace de seulement deux ans, dont 10 millions dans les secteurs manufacturiers. Si l’on y ajoute les 13 ou 14 millions d’emplois supprimés dans les entreprises de service auxquels le secteur industriel avait recours, on mesure la gravité du phénomène. La récession industrielle, parfois rebaptisée pudiquement « tertiarisation », touche aussi les Etats-Unis, qui ne comptent plus aujourd’hui que 11,6 millions d’emplois industriels contre 19,5 millions en 1979, soit une baisse de 40 %, alors même que la population n’a cessé d’augmenter. Seuls résistent quelques pays industrialisés, au premier rang desquels figure l’Allemagne, et certains secteurs comme les industries de défense. Une grande partie des dettes publiques se trouve aujourd’hui dans les comptes des banques qui n’ont cessé d’en acheter depuis 2008, sans se préoccuper outre-mesure de la fragilité des finances publiques aggravée par la récession et la crise. Ces achats de dette publique ont été financés par l’argent que les banques pouvaient se procurer auprès de la Banque centrale européenne (BCE) à un prix quasi-nul. En d’autres termes, les banques ont prêté aux Etats, à un taux d’intérêt variable, des sommes qu’elles ont elles-même empruntées pour presque rien. Mais pourquoi les Etats ne peuvent-ils pas se procurer eux-mêmes les sommes en question auprès de la Banque centrale ? Tout simplement parce que cela leur est interdit ! C’est le 3 janvier 1973 que le gouvernement français, sur proposition de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, a fait adopter une loi de réforme des statuts de la
Banque de France disposant que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France » (art. 25), ce qui signifie qu’il est désormais interdit à la Banque de France d’accorder des prêts – par définition non grevés d’intérêt – à l’Etat, celui-ci étant dès lors obligé d’emprunter sur les marchés financiers aux taux d’intérêt que ceux-ci jugent adéquats. Les banques privées, elles, peuvent continuer d’emprunter à la Banque centrale européenne (BCE) à un taux dérisoire (moins de 1 %) pour prêter aux Etats à un taux variant entre 3,5 et 7 %. Cette mesure a ensuite été généralisée dans toute l’Europe par le traité de Maastricht (art. 104) et le traité de Lisbonne (art. 123). Les Etats européens ne peuvent donc plus emprunter auprès de leurs banques centrales. Tournant capital dont on mesure aujourd’hui les conséquences. Comme l’a écrit Léon Camus, la décision prise en 1973 revenait à dire que « l’Etat abandonne le droit de “battre monnaie” et transfère cette faculté souveraine au secteur privé dont il devient le débiteur volontaire ».

(...) Les conséquences de la crise grecque sont d’autant plus remarquables que la Grèce ne représente que 2,5 % du PIB de la zone euro. Son économie est six fois moins importante que celle d’un pays comme l’Italie. Qu’en sera-t-il lorsqu’il s’agira de sauver des pays de beaucoup plus grande taille ? Les choses peuvent aller très vite. N’oublions pas que des pays comme l’Irlande et l’Espagne, aujourd’hui en première ligne, étaient encore il y a peu considérés comme des emprunteurs particulièrement sûrs en raison de leurs excédents budgétaires. D’où la peur d’une contagion de la crise. Ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est déjà plus la situation de la Grèce ou du Portugal, mais la prochaine entrée de l’Espagne et de l’Italie, voire de la France et de la Grande-Bretagne, dans la zone des tempêtes. Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de la haute finance et professeur à Paris-X, estime que la France « est le prochain pays sur la liste » : « La question n’est pas tant de savoir si nous serons touchés, dit-il, mais plutôt quand »

Quand la dette publique devient insoutenable, les Etats n’ont plus le choix qu’entre le recours à l’inflation (c’est ce qui s’était passé en Allemagne sous la République de Weimar) ou le défaut de paiement. L’instauration de l’euro a rendu impossible le recours à la machine à billets. L’histoire montre en fait qu’au-delà d’un certain seuil, une dette trop élevée mène presque inéluctablement à la faillite. On ne voit pas, compte tenu des dégâts provoqués à eux seuls par l’affaire grecque, comment les institutions européennes pourraient faire face à une série de défauts souverains, successifs ou simultanés, de beaucoup plus grande ampleur. « Dans la réalité européenne présente, écrit Frédéric Lordon, plus il y a de secourus moins il y a de secouristes, et plus ces derniers se préparent à rejoindre les précédents dans leur catégorie », ce qui revient à dire que « les splendides mécanismes des marchés de capitaux concourent avec une rare élégance à l’organisation du pire en rendant insoluble la crise des dettes qu’ils ont eux-mêmes fait naître ».


Une chose est sûre : on se dirige vers la mise en oeuvre d’une politique générale d’austérité en Europe, dont les principales victimes seront les classes populaires et les classes moyennes, avec tous les risques inhérents à pareille situation. Lorsque de nouveaux pays se retrouveront en état de cessation de paiement, ce sont encore les citoyens de toute l’Union européenne qui seront conviés à payer l’addition. Or, disons-le nettement, aucun pays n’a aujourd’hui les moyens d’arrêter la hausse de sa dette en pourcentage de son PIB, aucun n’a les moyens de rembourser le principal de sa dette. En dépit de toutes les manoeuvres de retardement, une explosion généralisée semble inéluctable d’ici à deux ans. Comme beaucoup d’autres, Jean- Luc Gréau juge impossible un rétablissement spontané du système7. L’économiste Philippe Dessertine va jusqu’à laisser prévoir une « profonde crise géopolitique, qui peut aboutir à une guerre mondiale »8. Des propos qui peuvent paraître alarmistes. Mais le système capitaliste n’a jamais reculé devant l’éventualité d’une guerre, lorsqu’il n’y avait plus que cette manière de protéger ses intérêts. Que se passerait-il si la première puissance mondiale, les Etats-Unis, se retrouvait en défaut de paiement ? En Europe, le statu quo actuel conduit tout droit, par ses effets cumulés, à une dépression d’une ampleur encore jamais vue. L’année 2012 sera terrible !" suite

Alain de Benoist, 2011.

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"(...) Justement, quelles vont être les conséquences de la crise sur les salariés ?

Le chômage va augmenter. Il y aura une forte pression pour que les salaires baissent. On va supprimer le bouclier social et l’État providence, en oubliant qu’ils avaient été mis en place à partir du XIXe siècle pour que les gens ne fassent pas la Révolution. C’était pour rendre le capitalisme tolérable. À agir ainsi, on risque d’aller vers des troubles sociaux, des révolutions, etc.

Comment éviter ces troubles sociaux ?

Si on ne veut pas que le système soit bientôt à feu et à sang, il faut un moratoire sur la dette des États. Il faut cesser de considérer qu’une reconnaissance de dette vaut ce qui est écrit dessus. Les États sont insolvables. Même la France ne pourra pas payer. On doit tout mettre à plat et effacer les dettes et reconstruire un nouvel ordre monétaire international. La Chine demande un nouveau Bretton Woods depuis 2009. Qu’on le fasse!"

Paul Jorion, 2011.


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