Un bon rocker est-il un rocker mort? Telle est la question qu'on se pose à l'écoute de l'album de Lou Reed et Metallica, Lulu.
Est-il préférable d'avoir rejoint le Club des 27 après une oeuvre courte mais dense, et de bénéficer d'une aura qui va croissant avec les ans? Est-il souhaitable de continuer à montrer sa bite au public passé 60 ans et faire comme si de rien n'était, y compris se taper des jeunettes backstage? Doit-on impérativement, une fois la Médaille des Arts et Lettres reçue, décider qu'il est temps d'aborder des sujets sérieux qui ne parlent pas de la futilité de choses, filles californiennes et surf?
A 27 ans Kurt Cobain, avant le coup de fusil fatal, avait enregistré avec William Burroughs. Caution littéraire, mais pas gage de respectabilité. Crédibilité rock intacte.
En 1969, à Woodstock, Pete Townshend, 24 ans, vire Abbie Hoffman de scène à coup de "Fuck off my fucking stage!". Pas de compromission, pape de la contre-culture ou pas. Crédibilité rock absolue.
En 1984, Jean-Luc Godard fait tourner Johnny Hallyday, 41 ans, dans Detective. En 1968, il filmait les Stones dans One + One. Rien à voir. L'intelligentsia française a fait semblant de ne plus prendre Johnny pour un con. Crédibilité rock nulle.
En avril 2000, Lars Ulrich, 37 ans, se lance dans les poursuites contre Napster. Blindé depuis le succès international du Black Album de Metallica, il déclenche la consternation de ses fans. Crédibilité rock = zéro.
L'âge manifestement n'arrange rien à l'affaire. Le rocker repu cherche la respectabilité. Passé la ciquantaine, voir la soixantaine, il meurt d'un cancer, façon George Harrison ou Rick Wright. Pas très rock'n'roll. Sauf dans le cas de John Entwistle qui s'est payé le luxe d'une OD.
Quand il n'est pas mort, le rocker parfois cherche la gravité. Il lit, il pense, il écrit. Lou Reed fort de sa réputation de chieur et de sa crédibilité arty, va du côté de Wedekind, et se dit que sa Boîte de Pandore*, à laquelle se sont frottés Alban Berg à l'opéra et GW Pabst au cinéma, ça vous pose un homme. Côté Metallica, comme on ne peut faire du thrash toute sa vie, qu'on mène une vie de nabab, avec femmes et enfants, qu'on s'est payé le luxe d'une psychanalyse de groupe (voir le passionnant docu "Some Kind Of Monster") pour avancer, on se dit qu'un projet arty contribuera à donner de la respectabilité au genre métalleux.
L'univers de Metallica est sombre. Celui de Lou Reed, peuplé de trans et de dealer. Lulu, histoire d'ascension et de déchéance d'une danseuse adorant les hommes riches, les serial killer et les lesbiennes ne pouvait que les séduire.
Le résultat est un hybride étrange, une sorte de monstre**, ni 100% Lou Reed, ni 100% Metallica. Ni 50/50 d'ailleurs. La voix de Lou est fatiguée. Il y a des fulgurances (The View, Brandenburg Gate, Frustration, Dragon). Un raté absolu (Cheat on me). Des bijoux (Junior Dad). A la fois on n'égale pas Berlin (mais Lou Reed peut-il l'égaler?), et on attend le prochain Metallica avec impatience.
* Die Buchse des Pandora, titre original de l'oeuvre de Wedekind, et du film de Pabst (intitulé Loulou en France, starring Louise Brooks)
** some kind of monster...
Enjoy!