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287 - Boualem SANSAL obtient le prix de la paix de la foire du livre de Francfort.

Publié le 06 novembre 2011 par Ahmed Hanifi

287 - Boualem SANSAL obtient le prix de la paix de la foire du livre de Francfort. Boualem SANSAL - C. Hélie. Gallimard
Boualem SANSAL a reçu il y a quelques heures à la Foire du Livre de Francfort le prix de la paix. Un titre combien important. Son écriture est pétillante, elle est époustouflante. Christine Rousseau/Le Monde, a dit que Boualem Sansal "a créé une langue flamboyante emplie de jeux de mots, de lieux communs détournés, de proverbes avec lesquels il joue..." (in La grande librairie de F. Busnel F5, le 15 sept 2011)
Boualem Sansal est le troisième francophone à recevoir le prix de la paix après Assia Djebar, et Jorge Semprun. Voici quelques écrits collectés dès l’attribution du prix.
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La Foire du livre de Francfort a récompensé Boualem Sansal du prix de la paix
Avant de fermer les portes du rendez-vous mondial le plus important de l’édition (près de 280 000 visiteurs chaque année) qui s’est tenu à Francfort du mardi 12 au dimanche 16 octobre 2011, le président de la foire Gottfried Honnefelder a remis le prix de la paix à l’écrivain algérien francophone Boualem Sansal.
Agé de 62 ans, l’écrivain a été récompensé, pour sa "liberté de parole, de culture et de religion", selon le président. Un prix d’une valeur de 25 000 euros (35 000 dollars), qui "honore, selon le ministre des Affaires étrangères allemand Guido Westerwelle, non seulement l'oeuvre littéraire de Boualem Sansal mais aussi ses efforts pour un changement démocratique et pacifique en Algérie".
Déjà couronné par plusieurs prix littéraires - le prix du premier roman et le prix de la francophonie - pour ses ouvrages Le Serment des barbares (1999) et Le Village de l’Allemand (2008), Boualem Sansal a déclaré qu’une "révolution mondiale" était, à son sens, en cours.
"Les gens veulent une démocratie universelle, authentique, sans frontières ni tabous. Ils rejettent les dictateurs, l'extrémisme, le pouvoir des marchés, l'emprise étouffante de la religion", a-t-il précisé. Décerné, les années passées, à des écrivains comme le Turc Orham Pamuk, le Hongrois Peter Esterhazy, le Tchèque Vaclav Havel ou encore l'Israélien David Grossman (en 2010), ce prix de la paix vient mettre fin à la 63e édition de la Foire de Francfort, qui a rendu hommage à la littérature islandaise et a consacré la majeure partie de ses échanges aux vertus et aux espoirs de l’édition numérique. 
 Boualem Sansal. Interview  à DW-TV le D 17 0CT 2011
 Confiant dans l’avenir du livre, le président Gottfried Honnefelder, directeur de la Fédération allemande du Commerce du Livre a tenté de rassurer le monde de l'édition en déclarant que le livre papier et le livre électronique ne tarderaient pas à "avancer ensemble sans se grignoter l’un l’autre".
L.M.
In: http://www.myboox.fr/actualite/
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L'écrivain algérien Sansal obtient un prix à la foire du livre de Francfort
AFP - L'écrivain algérien francophone Boualem Sansal a obtenu dimanche le prix de la paix de la foire du livre de Francfort, en Allemagne.
M. Sansal, 62 ans, a reçu le prix pour sa critique du régime d'Alger et son lutte pour "la liberté de parole, de culture et de religion" dans son pays, a déclaré le président de la foire, Gottfried Honnefelder.
L'écrivain qui a reçu son prix en présence d'un millier de personnes à la fin de la manifestation annuelle, la plus grande foire du livre du monde, a déclaré qu'une "révolution mondiale" était en cours.
"Les gens veulent une démocratie universelle, authentique, sans frontières ni tabous. Ils rejettent les dictateurs, l'extrémisme, le pouvoir des marchés, l'emprise étouffante de la religion", a dit Boualem Sansal.
Il a été félicité par le ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle pour le prix doté de 25.000 euros (35.000 dollars).
"Le prix honore non seulement l'oeuvre littéraire de Boualem Sansal mais aussi ses efforts pour un changement démocratique et pacifique en Algérie", a dit le ministre dans un communiqué.
"En ce moment de bouleversements dans le monde arabe, j'espère que la vision de Boualem Sansal d'une société libre et démocratique en Algérie deviendra réalité", a dit M. Westerwelle.
L'auteur francophone comprend notamment "Le serment des barbares" (1999), prix du premier roman, et "Le village de L'Allemand" (2008) grand prix de la francophonie.
Le prix de la paix de la foire de Francfort a dans le passé été décerné à des écrivains comme le Turc Orham Pamuk, le Hongrois Peter Esterhazy et le Tchèque Vaclav Havel.
Il avait été obtenu l'an dernier par l'Israélien David Grossman.
In AFP 16 Octobre 2011 - 14H36  
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Boualem Sansal, lauréat du prix de la Paix des libraires allemands 2011
L'écrivain algérien Boualem Sansal recevra le prix de la Paix des libraires allemands dimanche prochain à la Foire du Livre de Francfort. 
Après l'écrivain israélien David Grossman, c'est Boualem Sansal qui sera couronné par le prix de la Paix des libraires allemands dimanche prochain à la Foire du Livre de Francfort. Créé en 1950 et doté d'une récompense de 25 000 euros, le prix de la Paix des libraires allemands est une distinction internationale prestigieuse décernée chaque année à une personnalité qui "par son activité littéraire, scientifique et artistique, a servi de manière significative la progression des idées pacifistes." 
Né en 1949 à Theniet El Had, petit village algérien des monts de l'Ouarsenis, Boualem Sansal commence sa carrière en tant qu'enseignant, puis devient haut fonctionnaire du ministère de l'Industrie algérien. Limogé de son poste en 2003 en raison des critiques qu'il a émises contre le gouvernement en place, il se tourne vers l'écriture sous les conseils avisés de son ami Rachid Mimouni. Sansal signe son premier roman, Le Serment des barbares en 1999, qui est doublement consacré (prix du Premier Roman et prix des Tropiques). Il rédige également un pamphlet, Poste restante, qui a été censuré en Algérie. Lauréat du Grand Prix RTL-Lire en 2008 pour son roman Le Village de l'Allemand, il vient de publier un récit très personnel intitulé Rue Darwin.  
In: LEXPRESS.fr, publié le 13/10/2011 à 17:00, mis à jour le 15/10/2011 à 15:08
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ECOUTER AUSSI:
Emission diffusée le 16/10/2011 à 23:36 sur Arte:
http://videos.arte.tv/fr/videos/boualem_sansal-4192426.html
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BOUALEM SANSAN, entretien : courage et liberté
Invité à la fin du mois de septembre par le festival international de littérature de Berlin, Boualem Sansal est le lauréat du Prix de la paix des libraires allemands. Il sera récompensé le 16 octobre, dans l'église Saint Paul de Francfort, qui a déjà vu passer d'illustres personnages, entre autres Leopold Sedar Senghor, Yehudi Menuhin, ou encore Vaclav Havel. Cette année, les libraires allemands saluent « un romancier passionnant, qui travaille avec beaucoup d'esprit et de sensibilité à la rencontre des cultures, dans le respect et la compréhension mutuelle entre les peuples », et souhaitent « lancer un signe en faveur du mouvement démocratique en Afrique du Nord ». Et en effet, l'écrivain algérien francophone appelle ses compatriotes à s'opposer comme lui au régime d'Abdelaziz Bouteflika et à à renverser ce « dictateur habillé en démocrate », installé au pouvoir depuis 1999. Rencontre dans la capitale allemande, avec un homme engagé et déterminé.
La Gazette: Nous sommes un journal franco-allemand, voici donc la question rituelle. Quel est votre lien avec l'Allemagne ?
Boualem Sansal: J'ai d'abord un lien ancien avec l'Allemagne, en tant que haut fonctionnaire, au ministère de l'industrie Le plus grand partenaire de l'Algérie dans le domaine industriel, c'est l'Allemagne. J'ai donc été très souvent appelé à aller dans des délégations d'hommes d'affaires, de hauts fonctionnaires, pour négocier. J'ai connu l'Allemagne à travers ce biais là, à travers ce qu'elle a de meilleur et de supérieur aux autres; c'est à dire son industrie. Ensuite, j'ai redécouvert l'Allemagne sous un autre angle. J'ai une passion pour l'Allemagne, je viens très souvent, cinq ou six fois par an, voire plus, j'y ai maintenant beaucoup d'amis. Je me sens bien en Allemagne.
La Gazette: D'où vous est venue ce que vous qualifiez de « passion » pour la Shoah ?
Boualem Sansal: C'est lié à ma trajectoire personnelle, j'avais sans doute une sensibilité particulière pour ce genre de choses. Et au début des années 1980, j'ai découvert ce village dont j'ai tiré ce roman: Le village de l'Allemand. J'ai voulu comprendre le pourquoi, le comment et les mécanismes de la Shoah. Ça s'est très vite transformé en une sorte d'addiction. Au départ, j'avais un intérêt plutôt historique pour cet évènement, l'intérêt d'un être humain qui s'intéresse aux grands malheurs du monde. Ensuite j'ai fait un travail de plus en plus scientifique, pour essayer de comprendre réellement.
La Gazette: Votre regard sur cette tranche de l'histoire a-t-il évolué ?
Boualem Sansal: Aujourd'hui, je me pose des questions qui ne me venaient pas à l'idée il y a dix ans. Par exemple, la question de la culpabilité. On découvre que la frontière entre victime et criminel est très mince. Depuis quelques temps, je travaille beaucoup sur les Sonderkommando, ces prisonniers qui étaient chargés de sortir les cadavres de la chambre à gaz et de les emmener aux fours crématoires, puis de récupérer les cendres et d'aller les jeter dans les rivières aux alentours. Je lis en ce moment un livre terrifiant de Krakowski, qui a du faire ça pendant des années. On découvre que tout en étant un homme de bien, on peut vivre dans le mal absolu. Comment l'âme humaine se protège de cela? La protection la plus évidente est le suicide. Mais même lorsqu'on est un homme de bien, le mal exerce une fascination étrange sur l'âme humaine. Chacun est donc un tortionnaire en puissance.
La Gazette: Que signifie pour vous le prix de la paix, que vous allez recevoir ?
Boualem Sansal: Ce prix est un grand évènement, dans la mesure où il reconnait que je suis un homme qui œuvre pour la paix. Je n'en avais pas conscience. Au contraire, j'étais un militant, dans l'appel à l'action, prêt à faire la guerre pour mon pays et pour me libérer. Mes livres sont des plaidoyers pour la guerre. Ce prix va me changer, mais je ne sais pas encore comment, de la même manière que la découverte de ce village dans les années 1980 et que l'étude approfondie de la Shoah m'ont beaucoup changé.
La Gazette: Pourquoi cette phrase que vous avez eue: « il faut s'engager à visage découvert » ?
Boualem Sansal: Être caché, c'est manipuler les autres. C'est faire prendre des risques aux autres en disant: « Allons à la guerre, je vous suis! » Signer de son propre nom, c'est dire: « Allons à la guerre, ensemble ». Se cacher décrédibilise le discours, et entraine de la suspicion. Au-delà, il faut assumer pleinement son engagement politique. Comment s'engager à moitié lorsqu'un système vous écrase? S'engager à moitié, c'est servir la dictature. Il n'y a pas de demi-mesure. Ou on soutient la dictature, ou on devient un ennemi de la dictature et la dictature finira par vous tuer, alors il faut aller jusqu'au bout.
La Gazette: Aujourd'hui, vous vivez en Algérie. Vous arrive-t-il de craindre pour vous ou pour votre famille ?
Boualem Sansal: Bien sûr. C'est un régime très dangereux, qui tue facilement. Mais le fait d'être en Algérie ne change rien. L'un des plus grands opposants a été assassiné à Francfort, ils l'ont pendu dans sa chambre d'hôtel. Un autre a été tué à Barcelone. Mais le meurtre n'est pas la seule solution du régime. Un opposant peut être discrédité, pris dans un complot... J'ai réfléchi avant de signer mon premier ouvrage. J'aurais pu aller se cacher au fin fond des États-Unis, dans un petit village. Mais à quoi sert le combat dans ces conditions? pourquoi se battre si c'est pour se cacher sous une pierre?
 La Gazette: Vos livres sont-ils publiés en Algérie?
Boualem Sansal: Le village de l'Allemand a été censuré en Algérie. Mes trois premiers romans* se vendaient, on pouvait les trouver en librairies. Pourtant, ils dénoncent tout aussi violemment le pouvoir que les suivants. Mais le contexte le permettait, le président Bouteflika venait d'arriver au pouvoir, il y avait une certaine détente. À l'époque, j'avais une vie littéraire normale. Et puis j'ai donné plusieurs interviews, et dans certaines d'entre elles, je me suis attaqué directement au président Bouteflika. Alors j'ai été limogé [en 2003]. En 2006 j'ai écrit Poste Restante qui a été interdit et cette décision s'est étendue de manière non-écrite à tous mes ouvrages et à ma personne. C'est à dire que depuis six ans, je n'existe pas.
La Gazette: Comment vivez-vous cette mise à l'écart?
Boualem Sansal: Quelquefois ça me gène. Les gens écrivent n'importe quoi dans la presse et je ne peux pas répondre. Je ne peux pas intervenir et corriger. C'est frustrant. Je rencontre parfois des personnes de la presse à qui je demande s'ils me publieraient si je leur envoyais un papier. Ils me répondent que ça dépend de ce que j'aurais écrit, parce qu'il y a la censure. Les journaux subissent la censure et beaucoup de pression de la part de l'État. Ils impriment sur des rotatives qui appartiennent à l'État. Alors s'ils veulent imprimer quelque chose qui ne plait pas, soudainement il y a une grève d'une heure ou alors la machine tombe en panne et l'édition ne peut pas être imprimée.
La Gazette: Y a-t-il eu un « printemps arabe » en Algérie ?
Boualem Sansal: Cette année, en février, on a appelé à manifester sur la place d'Alger. On était 2000 sur la place, et autour de nous, il y avait 35 000 policiers. La population était tenue à l'écart dans un cercle de 3 km. La masse ne pouvait pas se créer et déborder le service d'ordre. Ils ont beaucoup appris de la gendarmerie française et de la police américaine. Maintenant ils savent comment empêcher les gens de manifester. Le premier cercle, c'est la police, le deuxième cercle la gendarmerie en dehors des villes, et plus loin c'est l'armée. Toute la ville est donc en état de siège en 1h de temps. On ne peut pas non plus entrer dans la ville par l'autoroute, tout est fermé, ils créent des embouteillages à l'entrée de la ville. On ne peut donc pas accéder au centre-ville, et au centre-ville, toutes les ruelles sont bloquées. Dans les petits villages et les petites villes, ils permettent, parce qu'il faut laisser les gens se défouler. Si les gens manifestent, la police n'intervient pas. Ils marchent, ils crient, ils détruisent, ça permet de détendre l'atmosphère.
La Gazette: Avez-vous tout de même l'espoir de voir tomber le régime de M. Bouteflika ?
Boualem Sansal: Pas dans l'immédiat. Le régime algérien est beaucoup plus fort que le régime tunisien par exemple. En Tunisie, c'était une petite dictature policière. Le pouvoir algérien est issu de la révolution. Les membres du pouvoir ont déjà fait une guerre, ce sont des révolutionnaires, ils ont une morale spéciale, le meurtre leur est très naturel, ils sont extrêmement dangereux. Ils ont réussi à surmonter une guerre civile de dix ans. À un moment, les islamistes étaient très proches de prendre la capitale. Et en créant une contre guérilla, le pouvoir a réussi à vaincre les islamistes.
 La Gazette: Quelle est la situation linguistique en Algérie ?
Boualem Sansal: En Algérie, il n'y a pas de langue, et il y en a trop. Il y a l'arabe classique qui est l'arabe du coran. C'est une langue uniquement utilisée dans le domaine religieux et dans une littérature, une poésie laudative. C'est la seule langue qui est enseignée à l'école, car tout Arabe se doit de connaître l'arabe du coran. Il y a ensuite l'arabe qui est parlé par les populations. C'est un mélange de mots d'arabe classique transformés, de mots empruntés aux langues anciennes, aux dialectes, arabisés. Cette langue n'est pas écrite, n'a pas de syntaxe, pas de grammaire, et est instable. On ne peut la parler que dans des lieux très limités, car elle varie d'un village à l'autre. Donc on comprend, mais pas tout. Cette situation a perduré pendant des siècles, d'un côté la langue du coran pour le sacré, de l'autre la langue de la rue pour le monde profane.
La Gazette: Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui?
Boualem Sansal: Lorsque l'Algérie s'est retrouvée indépendante, la question de la langue officielle s'est alors posée pour la première fois, car jusque là, la langue officielle avait toujours été celle du colonisateur. On ne voulait pas garder le français et l'arabe dialectal ne pouvait pas servir de langue officielle. Comme il y avait un grand sentiment de religiosité, ils ont choisi l'arabe classique. Mais très vite, ils se sont rendus compte qu'on ne peut pas faire d'une langue sacrée une langue officielle de travail. En effet, l'arabe sacré s'est arrêté au 16e siècle et ne s'est pas enrichi depuis. Et en dix siècles, il s'est créé des milliers de concepts et d'idées nouvelles. Alors on a rapidement créé ce qu'on appelle l'arabe officiel. C'est un mélange d'arabe coranique – peut-être 30% à 50% – et de traductions phonétiques de l'anglais et du français pour tous les mots qui manquent.
La Gazette: Cette multiplicité de langues pose-t-elle des problèmes de compréhension ?
Boualem Sansal: Quelle que soit la langue que vous parlez, il y a beaucoup de gens qui ne vous comprennent pas. Mais le vrai drame, c'est pour l'école et la justice. Au tribunal on est tous dans la situation de quelqu'un de sourd et muet. Le juge le procureur et l'avocat s'expriment dans un arabe classique châtié, qu'il est interdit de traduire, alors que l'accusé parle une autre langue. Il ne comprend donc pas les questions du juge. Parfois, l'avocat traduit discrètement à l'accusé, qui répond dans sa langue. Le juge comprend mais fait semblant de ne pas comprendre. Il y a donc un problème de justice incroyable.
La Gazette: Et pour l'école ?
Boualem Sansal: Le deuxième problème est l'école. À l'école, où parle l'arabe classique aux enfants. Et quand ils rentrent chez eux, il sont dans un autre univers linguistique. Un enfant qui vit en Kabylie parle en kabyle toute la journée. Il passe donc d'une langue à l'autre et ça ne lui donne pas de continuité psychologique. Au contraire, il vit des ruptures, car les deux langues n'ont pas la même logique, ne véhiculent pas la même culture, ce sont deux univers complètement différents.
La Gazette: Que faudrait-il faire alors pour arranger cette situation ?
Boualem Sansal: Ce qu'il faut, c'est un État démocratique. Parce que ce qui importe ce n'est pas tant la solution, c'est la manière de la trouver. Est-ce qu'on la trouve d'une manière dictatoriale, ou est-ce qu'on laisse les gens s'exprimer? Je suis pour cette deuxième méthode. Laissons les gens parler, ils trouveront la solution par eux-mêmes. Ou ils ne la trouveront pas et continueront à chercher, comme dans beaucoup de pays.
La Gazette: Quelle différence entre l'arabe classique et l'hébreu, entre l'islam et le judaïsme ?
Boualem Sansal: L'hébreu a été modernisé, et les religieux ont accepté cette modernisation. Au contraire de chez les musulmans, Le texte religieux n'est pas fait pour être appris par cœur et être récité de manière incantatoire. Dans la religion judaïque, le texte est fait pour être étudié, point par point, pour essayer de comprendre. Ça développe donc des capacités d'analyse, ça permet une gymnastique qui a permis aux Juifs de s'adapter dans tous les pays. La capacité à réfléchir longtemps, parfois des siècles, à des problèmes est très particulier à cette religion. C'est une force qui a aussi permis à Israël d'amalgamer toutes ses populations.
Propos recueillis par Marion Muracciole
 

In : http://www.lagazettedeberlin.de/sansal-dissident-alg-berlin-7089.html
Numéro 36 - 22 octobre 2011
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Ci-après une interview lénifiante (de la part de l’intervieweuse qui n’a pas lu le livre, autrement elle aurait posé des questions bien plus pertinentes.) Mais Boualem Sansal apporte des éléments forts intéressants sur la question de l’Histoire coloniale, sur le rapport mère-fils…
El Watan 22 octobre 2011
Boualem Sansal : «Nous vivons dans la supercherie»
 
Il vient de recevoir le prestigieux prix des Libraires allemands. Il nous parle de son dernier roman et, de manière inédite, de sa propre vie.
-Rue Darwin est votre sixième roman. Vous avez commencé à écrire à l'âge de 50 ans. Qu'est-ce qui a motivé votre orientation vers l'écriture romanesque ?
C’est mon ami Rachid Mimouni qui m’a encouragé à écrire. Il pensait que j’avais du talent. Il faut dire que j’ai été son premier lecteur. Nous étions voisins. Il me confiait ses manuscrits pour que je les lise, et il est très probable que mes critiques lui ont permis de penser que j'avais des prédispositions à l'écriture. A cette époque, je ne pensais pas en avoir la compétence. Quand je voyais le temps qu’il consacrait à l'écriture d'un livre, je me disais que je ne pourrai jamais passer deux années entières sur un texte. C'était de mon point de vue impossible. Pendant des années, nous passions notre temps à débattre de littérature et d’autres sujets. Il nous racontait ses voyages, ses rencontres, ses découvertes. Il nous encourageait à écrire. Il nous a initiés à l'écriture. Il n'avait aucun esprit de vedettariat. Il nous illuminait.
L'assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992 est la seconde motivation. Lorsque j'ai appris la nouvelle tragique, j'ai alors pensé que c'était la fin du monde. Je n'oublierai jamais cette sensation. Nous étions en réunion lorsqu’un collègue est venu nous annoncer la terrible nouvelle. Nous étions tétanisés. Nous avions l'impression que la vie s'était arrêtée. Pour nous, il représentait l'espoir. Les Algériens avaient retrouvé le goût de vivre. Ils pouvaient parler, respirer, espérer. En l'assassinant, ils ont anéanti tout cet espoir. Les années suivantes ont été terribles.
-C’est à ce moment-là que vous avez commencé à écrire ?
Au début, j’écrivais de petits textes dans lesquels je consignais mes réflexions. Je passais beaucoup de temps à lire des ouvrages, romans, journaux. Un jour, j’ai lu dans la presse que des islamistes utilisaient les cimetières chrétiens pour fabriquer des bombes. Dans toutes les civilisations du monde, on respecte les cimetières et les morts. On ne profane jamais ces lieux. J'avais ensuite appris qu'il y avait du trafic autour de ces cimetières. Je notais mes réflexions. Puis, j'ai rassemblé toute cette matière sous forme d’un roman : Le Serment des Barbares. Cette œuvre n'a pas de structure. Elle est très désarticulée mais a été perçue en France comme une écriture nouvelle. Je l'ai envoyée aux éditions Gallimard qui ont accepté de la publier. C'est ainsi que je suis devenu écrivain.
-Rue Darwin semble très personnel. Quelle est la part de votre histoire de vie ? 
Ce n'est pas une œuvre autobiographique bien que je m'inspire de ma propre histoire. En réalité, je ne connais pas mon histoire familiale, juste quelques bribes. Je ne sais pas comment ma famille paternelle a vécu. Cet élément a servi de point de départ pour traiter un sujet récurrent dans mes livres : la quête de notre identité. Dans notre pays, nous vivons constamment dans la supercherie depuis de nombreuses années. Je suis né avant l'indépendance et, pendant la colonisation, à l'école, on nous apprenait que nos ancêtres étaient les Gaulois. On nous enseignait une histoire qui n'était pas la nôtre. A l'indépendance, on a continué à nous enseigner sur la base du mensonge et de la supercherie. L'histoire algérienne est falsifiée, voire occultée.
La version officielle de la guerre de libération, relayée par les médias et les discours politiques, est basée sur le mensonge. Pendant des années, les officiels ont présenté Abane Ramdane comme un chef parmi tant d'autres, mort au champ d'honneur. Cette version est erronée, car cet homme, l'un des cerveaux du Front de libération nationale, a été assassiné après avoir été entraîné dans un piège. Et ceux qui ont commandité et commis son assassinat ont vécu honorés. L'histoire officielle n'est pas fiable. Les tenants du pouvoir algérien ont continué et continuent à nous mentir et à nous faire vivre dans la supercherie.
-Ce schéma semble être également récurrent au sein des familles...
Beaucoup de familles, y compris la mienne, vivent dans le mensonge. Il y a eu beaucoup d'événements qui ont été falsifiés dans ma famille. Toute ma vie, je me suis demandé qui était réellement cette femme que j'appelle Djeda. Qui m'a élevé ? A la mort de mon père, ma mère a été chassée par Djeda. Elle s'est trouvée contrainte d'aller à Alger où elle ne connaissait personne. En me gardant à ses côtés, Djeda l'a privée de son enfant pendant quelques années. Je ne sais rien de mon père. Il est décédé lorsque j’avais deux ou trois années. J'ignore s'il avait des frères, des cousins… Je connais plutôt ma famille maternelle. J’ai longtemps porté ces questions relatives à mes origines familiales.
-Et c’est cette quête des origines que raconte  Rue Darwin ?
Je me suis inspiré de mon histoire familiale. Je voulais ainsi sensibiliser le lecteur et attirer son attention sur le fait que nous vivons dans la supercherie et le mensonge. Et même si nous faisons l'effort de trouver des réponses à nos questionnements, nous risquons d'être très surpris. Pour que les êtres humains  vivent correctement, il est nécessaire qu'ils connaissent leur histoire et leur identité. Pourquoi existe-t-il tant de violence en Algérie ? Pourquoi tous ces malheurs ? Car on a fait vivre les Algériens dans le mensonge et sous de fausses identités. Pendant des lustres, on leur a fait croire qu'ils étaient Français.
A l'indépendance, on les a persuadés qu'ils étaient des Arabes. Qu'est-il advenu de leur propre histoire ? Qui sont-ils réellement ? Quelle est leur véritable identité ? La question identitaire est cruciale et problématique en Algérie. Nous avons le devoir de savoir, sinon nous vivrons dans le malheur. Et lorsqu'on sait, on hérite de la responsabilité de dire et d’agir. La transmission est indispensable afin que nos enfants ne vivent pas dans les souffrances que vit le peuple algérien.  
-Par moments, le narrateur a des allures surréalistes. Il est omniprésent et prévoyant. Il a tout vu et tout vécu. Et pourtant, il est plutôt passif et accepte la mainmise de sa mère sur sa vie...
Yazid est un personnage amorphe. Il vit avec sa mère et se voue corps et âme à son bien-être. Il n'a pas d'ambition. C'est un personnage introverti. Est-ce à cause de son histoire ? Il est l'aîné de la fratrie et est différent de ses frères et sœurs qui ont beaucoup d'ambition. Yazid n'a jamais été tenté par quoi que ce soit. Il a vécu dans la solitude, se contentant de vivre le rôle que les femmes ont écrit pour lui. Lorsqu’il vivait à Belcourt, il était un garçon normal. Il jouait avec les copains. Il faisait tout par suivisme. Il allait à l'école, avait des occupations. A son arrivée à Alger, il découvre la grande ville et la guerre. Il participe à la Bataille d'Alger à sa manière.
C'est à Alger qu'il prend connaissance de la colonisation, car, dans son village, elle n'était pas très visible. A Alger, il est très surpris par les immeubles, les rues grouillant de monde, les voitures... C’est à ce moment qu’il découvre les militaires. Puis, à l'indépendance, il est témoin d'une dictature qui se met en place, les premiers mensonges et les discours de Ben Bella qui répétait sans cesse : «Nous sommes Arabes». A l'indépendance, il va au lycée et poursuit des études d'ingéniorat, car à l'époque le pays avait besoin d'ingénieurs. Mais petit à petit, il s'est laissé porter par les événements.
-La mort de sa mère est vécue comme un événement triste par Yaz. Mais n'a-t-elle pas surtout une fonction libératrice pour le narrateur ?
Il faut que les parents meurent pour que les enfants se libèrent. Il faut les tuer symboliquement pour s'émanciper en tant qu'individu. Yazid s'est retrouvé dans une situation qu'il n'a pas choisie. Les frères sont partis, le mari est décédé et la mère est restée seule. Il fallait bien que quelqu'un s’occupe d’elle. Et comme Yazid n'avait aucune ambition, il est resté. Comme presque toutes les mères, celle de Yazid a joué un rôle castrateur à l'égard de son fils. C'est à sa mort qu'il se libère.
Cette configuration est très classique. Dans nos sociétés, les garçons ne deviennent jamais des adultes. Il y a d'abord la mère puis l'épouse qui prend la suite. Pour Yazid, la mort de la mère le prive de sa présence physique mais, en même temps, elle l'oblige à se prendre en charge car toute sa vie il a vécu pour elle. Sa mère n'est plus là pour donner une justification à sa léthargie. Beaucoup d'hommes se reconnaîtront dans ce personnage.  
Hadia Aksous

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Sansal, l’indomptable
Publié le : 2 novembre 2011
Chaque nouveau roman de Boualem Sansal est un livre événement, telle une pierre angulaire sur l’édifice de son œuvre singulière. L’auteur algérien surprenait, à travers le propos bouleversant de son cinquième et précédent roman, Le Village de l’allemand ou le journal des frères Schiller (Gallimard, 2008). Rue Darwin est son nouveau roman.
Déjà, l’intrigue liée à l’opus Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, évoquait la découverte terrible de deux frères, de mère algérienne et de père allemand, qui ont grandi en banlieue parisienne, loin du village d’Aïn-Deb, en Algérie, où ont été égorgés leurs parents en 1994 par le GIA : leur père qui jouissait du titre prestigieux de moudjahid était un officier SS…
Aujourd’hui, Sansal signe un nouveau roman, fresque familial, Rue Darwin, qui exhume un autre tabou, de l’histoire algérienne : l’argent illicite, issu de la prostitution sous la guerre d’Algérie. Et l’auteur n’a pas hésité à s’inspirer directement du destin de sa grand-mère, célèbre mère maquerelle de l’époque ! Sansal dépeint une saga familiale, inspirée de celle de sa fratrie et de son aïeule, chef de tribu. Morte mystérieusement en 1917 alors qu’elle habitait le palais de la reine Ranavella III, de Madagascar, dans lequel elle a reçu Ben Bella et Nasser peu après l’Indépendance, ce qui a fait d’elle une héroïne de la Révolution. Ce palais est, depuis, devenu la propriété de Bouteflika.
Qui mieux que Sansal, apparu sur la scène littéraire en 1999, avec Le Serment des barbares, sonnant l’heure de la carrière d’écrivain de cet ex-ingénieur de formation, docteur en économie puis enseignant à l’université, pouvait écrire sur un sujet aussi brûlant ? Lui, qui a choisi la plume pour dire ses bleus à l’âme, son goût du paradis, celui de ses contemporains, dans une Algérie exsangue, à feu et à sang où la vie des brûleurs de route, des veufs, des ténébreux, des inconsolables a peu de prix. Sa plume, qui s’avère une véritable arme, même pour ses compatriotes, est pourtant trempée d’une vibrante humanité : L’Enfant fou de l’arbre creux, Dis-moi le paradis, Harraga, autant de romans, récompensés par de nombreux prix et succès. Suivent d’autres livres, d’autres cris de révolte : Poste restante : Alger, lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes ; Journal intime et politique ; Algérie 40 ans après… récompensés par une pluie de prix.
Aux frontières du réel
En 2003, ses prises de positions critiques sur l’arabisation de l’enseignement et l’islamisation de son pays lui valent d’être limogé de son poste de haut fonctionnaire. Qu’à cela ne tienne ! Sansal sera désormais écrivain. Il s’attache depuis, à raconter son pays, en s’appuyant sur la réalité.
Témoin, Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. «L’histoire de cette œuvre est en fait le fruit d’un long cheminement. J’ai découvert ce village, qui existe réellement, il y a vingt-cinq ans de cela», précisait Sansal, poursuivant «Alors que je me promenais dans la région de Sétif en Algérie, pour des raisons professionnelles, je suis tombé tout à fait par hasard sur un village qui a attiré mon attention : il était très différent des autres, extrêmement bien tenu, propret. Puis j’ai pris un café dans le chef-lieu de Sétif, où j’ai fait part de ma découverte. On m’a ainsi appris que cet endroit s’appelait le village de l’Allemand, car un Allemand, ancien moudjahid, y vivait, il en était le chef et également un ex-officier SS qui avait participé aux camps d’extermination nazis. Bien que je n’étais pas encore écrivain, cette histoire n’a pas quitté ma mémoire. Il y a deux ans, à la fin de Harraga, j’y ai repensé en me disant que j’aimerais faire un roman autour de cet homme de la façon suivante : avait-il des enfants ? Comment réagiraient-ils s’ils découvraient que leur père avait participé à un tel génocide ? À la Shoah ? Quelle attitude adopter face à la question d’une révélation si effroyable ? »
Alger, mon amour
Autre personnage emblématique de l’auteur : Alger. « Alger restera toujours ma plus grande découverte, elle incarnait un rêve fabuleux : elle était belle à souhait, désordonnée, cinquante ans après je ne peux pas m’empêcher d’y repenser. Pour le rural que j’étais, toute ville pouvait évidemment être très belle, mais Alger était d’une beauté incomparable, débordante de charmes, gâtée. J’étais en admiration face à ses bâtiments de type haussmannien, la richesse de son architecture, son urbanisme cafouilleux, tantôt européen, tantôt arabe, et sa médina qui m’étourdissait. Je sortais du cercle étroit de mon village pour m’ouvrir à une incroyable richesse et à une diversité humaine ! C’était en 1954-1955, sous l’Algérie française, les Algériens et les pieds-noirs étaient semblables, ils appartenaient à la même famille : leurs comportements étaient identiques, leurs façons de se vêtir aussi. Je trouvais un nouveau paradis». Sansal a, de plus, été couronné à la Foire du livre de Francfort par le Prix de la Paix des libraires allemands. Créé en 1950, ce prix est une distinction internationale prestigieuse décernée chaque année à une personnalité qui «par son activité littéraire, scientifique et artistique, a servi de manière significative la progression des idées pacifistes.» ◆
Fouzia Marouf
In : http://www.lesoir-echos.com
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   B.Sansal à Tamurt TV 25 10 2011
   in: http://www.youtube.com/watch?v=f4zth1ImFFY

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