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286 - La littérature algérienne francophone vue par les américains -

Publié le 15 octobre 2011 par Ahmed Hanifi

Georges Brassens (22 octobre 1921 - 29 octobre 1981) La mauvaise réputation Merci Vodka33 video  
Quand on est con Merci Ptetbenquoui
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Le Gorille Merci Gotti 57
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Kateb Yacine (02 août 1929 - 28 octobre 1989) parle de Nedjma, de l'Algérie, INA 1956
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Des mots qui pratiquent des brèches
Kateb Yacine, l’éternel perturbateur

Mort il y a vingt ans [octobre 1989], l’écrivain Kateb Yacine connaît toujours une popularité certaine en Algérie, où un colloque international vient de lui être consacré. En France, les hommages n’ont guère été médiatisés. Ce « poète en trois langues », selon le titre du film que Stéphane Gatti lui a consacré, demeure un symbole de la révolte contre toutes les formes d’injustice, et l’emblème d’une conscience insoumise, déterminée à rêver, penser et agir debout.
« Le vrai poète, même dans un courant progressiste, doit manifester ses désaccords. S’il ne s’exprime pas pleinement, il étouffe. Telle est sa fonction. Il fait sa révolution à l’intérieur de la révolution politique ; il est, au sein de la perturbation, l’éternel perturbateur. Son drame, c’est d’être mis au service d’une lutte révolutionnaire, lui qui ne peut ni ne doit composer avec les apparences d’un jour. Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion (1). »
Romancier et dramaturge visionnaire, considéré grâce à son roman Nedjma comme le fondateur de la littérature algérienne moderne, Kateb Yacine était avant tout un poète rebelle. Vingt ans après sa disparition, il occupe en Algérie « la place du mythe ; comme dans toutes les sociétés, on ne connaît pas forcément son œuvre, mais il est inscrit dans les mentalités et le discours social (2) ». Il reste aussi l’une des figures les plus importantes et révélatrices de l’histoire franco-algérienne.
Kateb, qui signifie « écrivain » en arabe, était issu d’une famille de lettrés de la tribu des Keblout du Nadhor (Est algérien). Le 8 mai 1945 — il n’a pas encore 16 ans —, il participe aux soulèvements populaires du Constantinois pour l’indépendance. Arrêté à Sétif, il est incarcéré durant trois mois à la suite de la répression, qui fait quarante-cinq mille morts. Sa mère, à laquelle il est profondément attaché — c’est elle qui l’a initié à la tradition orale et à la poésie —, sombrera dans la folie. Cette date du 8 mai marquera l’existence, l’engagement et l’écriture de Kateb à tout jamais.
C’est en septembre de cette même année, à Annaba, qu’il tombe éperdument amoureux d’une de ses cousines, Zoulheikha, qui va inspirer Nedjma (« étoile »), rédigé en français, œuvre fondatrice qui a totalement bouleversé l’écriture maghrébine. Dans cette histoire métaphorique où quatre jeunes gens, Rachid, Lakhdar, Mourad et Mustapha, gravitent autour de Nedjma en quête d’un amour impossible et d’une réconciliation avec leur terre natale et les ancêtres, la jeune fille, belle et inaccessible, symbolise aussi l’Algérie résistant sans cesse à ses envahisseurs, depuis les Romains jusqu’aux Français. La question de l’identité, celle des personnages et d’une nation, est au cœur de l’œuvre, pluridimensionnelle, polyphonique.
Nedjma deviendra une référence permanente dans l’œuvre de Kateb, amplifiée en particulier dans Le Polygone étoilé, mais aussi dans son théâtre (Le Cercle des représailles) et sa poésie. Pour Moa Abaïd, comédien qui l’admirait, il était « un metteur en scène génial, proche de la réalité, qui a vraiment travaillé sur la construction du personnage pour parler au public, sans camouflage ni maquillage. Son utilisation de la métaphore et de l’allégorie n’est pas un évitement, puisqu’il a toujours dit haut et fort ce qu’il pensait, mais provient du patrimoine culturel arabo-musulman ».
Aussi libre et libertaire, insolente et provocante, indéchiffrable et éblouissante que son œuvre, fut la vie de Kateb. Militant de toute son âme pour l’indépendance, au sein du Parti populaire algérien, puis du Parti communiste, il s’engage avant tout avec les « damnés de la terre », dont il est avide de connaître et faire entendre les combats : « Pour atteindre l’horizon du monde, on doit parler de la Palestine, évoquer le Vietnam en passant par le Maghreb. »
Inventer un art qui se partage,
et « révolutionner la révolution »
Expatrié dès 1951, il vit dans une extrême précarité jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance (1954-1962), principalement en France, harcelé par la direction de la surveillance du territoire (DST), et voyageant beaucoup. Dans le bouleversement terrible et euphorique de 1962, il rentre en Algérie, mais déchante rapidement. Il s’y sent « comme un Martien » et entamera une seconde période de voyages — Moscou, Hanoï, Damas, New York, Le Caire : « En fait, je n’ai jamais cru que l’indépendance serait la fin des difficultés, je savais bien que ça serait très dur. »
Lorsqu’il décide de rester plus durablement en Algérie, en 1970, il abandonne l’écriture en français et se lance dans une expérience théâtrale en langue dialectale dont Mohamed, prends ta valise, sa pièce culte, donnera le ton. Fondateur de l’Action culturelle des travailleurs (ACT), il joue dans les lieux les plus reculés et improbables, usines, casernes, hangars, stades, places publiques... avec des moyens très simples et minimalistes — les comédiens s’habillent sur scène et interprètent plusieurs personnages —, le chant et la musique constituant des éléments de rythme et de respiration.
« Lorsque j’écrivais des romans ou de la poésie, je me sentais frustré parce que je ne pouvais toucher que quelques dizaines de milliers de francophones, tandis qu’au théâtre nous avons touché en cinq ans près d’un million de spectateurs. (...) Je suis contre l’idée d’arriver en Algérie par l’arabe classique parce que ce n’est pas la langue du peuple ; je veux pouvoir m’adresser au peuple tout entier, même s’il n’est pas lettré, je veux avoir accès au grand public, pas seulement les jeunes, et le grand public comprend les analphabètes. Il faut faire une véritable révolution culturelle (3).  »
L’engagement politique de Kateb détermina fondamentalement ses choix esthétiques : « Notre théâtre est un théâtre de combat ; dans la lutte des classes, on ne choisit pas son arme. Le théâtre est la nôtre. Il ne peut pas être discours, nous vivons devant le peuple ce qu’il a vécu, nous brassons mille expériences en une seule, nous poussons plus loin et c’est tout. Nous sommes des apprentis de la vie (4). » Pour lui, seule la poésie peut en rendre compte ; elle est le centre de toutes choses, il la juge « vraiment essentielle dans l’expression de l’homme ». Avec ses images et ses symboles, elle ouvre une autre dimension. « Ce n’est plus l’abstraction désespérante d’une poésie repliée sur elle-même, réduite à l’impuissance, mais tout à fait le contraire (...). J’ai en tous les cas confiance dans [son] pouvoir explosif, autant que dans les moyens conscients du théâtre, du langage contrôlé, bien manié (5).  »
Un « pouvoir explosif » qu’il utilisera dans Le Cadavre encerclé, où la journée meurtrière du 8 mai 1945, avec le saccage des trois villes de l’Est algérien, Guelma, Kherrata et Sétif, par les forces coloniales, est au cœur du récit faisant le lien entre histoire personnelle et collective.
Kateb a fait le procès de la colonisation, du néocolonialisme mais aussi de la dictature post-indépendance qui n’a cessé de spolier le peuple. Dénonçant violemment le fanatisme arabo-islamiste, il luttait sur tous les fronts et disait qu’il fallait « révolutionner la révolution ».
S’il considérait le français comme un « butin de guerre », il s’est aussi élevé contre la politique d’arabisation et revendiquait l’arabe dialectal et le tamazight (berbère) comme langues nationales. Surnommant les islamo-conservateurs les « Frères monuments », il appelait à l’émancipation des femmes, pour lui actrices et porteuses de l’histoire : « La question des femmes algériennes dans l’histoire m’a toujours frappé. Depuis mon plus jeune âge, elle m’a semblé primordiale. Tout ce que j’ai vécu, tout ce que j’ai fait jusqu’à présent a toujours eu pour source première ma mère (...). S’agissant notamment de la langue, s’agissant de l’éveil d’une conscience, c’est la mère qui fait prononcer les premiers mots à l’enfant, c’est elle qui construit son monde (6).  »
L’éventail et la radicalité de sa critique lui ont valu autant de passions que d’inimitiés. Aujourd’hui objet de toutes les appropriations, pour le meilleur comme pour le pire, il reste l’« éternel perturbateur » et, comme Nedjma, l’étoile inaccessible — en tout cas irréductible.
Notes:
(1) Dialogue avec Jean-Marie Serreau, dans Le Poète comme un boxeur, Seuil, Paris, 1994.
(2) Benamar Mediene, professeur des universités, auteur de Kateb Yacine, le cœur entre les dents, préface de Gilles Perrault, Robert Laffont, Paris, 2006.
(3) Entretien avec Abdelkader Djeghloul, Actualité de l’immigration, n° 72, Paris, janvier 1987.
(4) Colette Godard, « Le théâtre algérien de Kateb Yacine », Le Monde, 11 septembre 1975.
(5) Kateb Yacine, « Pourquoi j’ai écrit Le Cadavre encerclé », France-Observateur, Paris, 1958.
(6) Entretien avec El Hassar Benali (1972), dans Parce que c’est une femme, Editions des Femmes - Antoinette Fouque, Paris, 2004
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Par Marina Da Silva, journaliste, novembre 2009
In: http://www.monde-diplomatique.fr/2009/11/DA_SILVA/18424

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Aguigui Mouna 01 octobre 1911 - 08 mai 1999 : Il a été nommé chevalier des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture Jack Lang   L'armée au musée Aimez-vous les uns sur les autres Ne prenez pas l'auto, prenez le pouv  On vit peu mais on meurt longtempsLe régime est pourri ! (en agitant un régime de bananes pourries) c  Energie musculaire, énergie la moins chère video video

286 - La littérature algérienne francophone vue par les américains - Boualem SANSAL - C. Hélie. Gallimard
Boualem SANSAL a reçu il y a quelques heures à la Foire du Livre de Francfort le prix de la paix. Un titre combien important. Son écriture est pétillante, elle est époustouflante. Christine Rousseau/Le Monde, a dit que Boualem Sansal "a créé une langue flamboyante emplie de jeux de mots, de lieux communs détournés, de proverbes avec lesquels il joue..." (in La grande librairie de F. Busnel F5, le 15 sept 2011)
Boualem Sansal est le troisième francophone à recevoir le prix de la paix après Assia Djebar, et Jorge Semprun. Voici quelques écrits collectés dès l’attribution du prix.
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La Foire du livre de Francfort a récompensé Boualem Sansal du prix de la paix
Avant de fermer les portes du rendez-vous mondial le plus important de l’édition (près de 280 000 visiteurs chaque année) qui s’est tenu à Francfort du mardi 12 au dimanche 16 octobre 2011, le président de la foire Gottfried Honnefelder a remis le prix de la paix à l’écrivain algérien francophone Boualem Sansal.
Agé de 62 ans, l’écrivain a été récompensé, pour sa "liberté de parole, de culture et de religion", selon le président. Un prix d’une valeur de 25 000 euros (35 000 dollars), qui "honore, selon le ministre des Affaires étrangères allemand Guido Westerwelle, non seulement l'oeuvre littéraire de Boualem Sansal mais aussi ses efforts pour un changement démocratique et pacifique en Algérie".
Déjà couronné par plusieurs prix littéraires - le prix du premier roman et le prix de la francophonie - pour ses ouvrages Le Serment des barbares (1999) et Le Village de l’Allemand (2008), Boualem Sansal a déclaré qu’une "révolution mondiale" était, à son sens, en cours.
"Les gens veulent une démocratie universelle, authentique, sans frontières ni tabous. Ils rejettent les dictateurs, l'extrémisme, le pouvoir des marchés, l'emprise étouffante de la religion", a-t-il précisé. Décerné, les années passées, à des écrivains comme le Turc Orham Pamuk, le Hongrois Peter Esterhazy, le Tchèque Vaclav Havel ou encore l'Israélien David Grossman (en 2010), ce prix de la paix vient mettre fin à la 63e édition de la Foire de Francfort, qui a rendu hommage à la littérature islandaise et a consacré la majeure partie de ses échanges aux vertus et aux espoirs de l’édition numérique. 
video Boualem Sansal. Interview  à DW-TV le D 17 0CT 2011
 Confiant dans l’avenir du livre, le président Gottfried Honnefelder, directeur de la Fédération allemande du Commerce du Livre a tenté de rassurer le monde de l'édition en déclarant que le livre papier et le livre électronique ne tarderaient pas à "avancer ensemble sans se grignoter l’un l’autre".
L.M.
In: http://www.myboox.fr/actualite/
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L'écrivain algérien Sansal obtient un prix à la foire du livre de Francfort
AFP - L'écrivain algérien francophone Boualem Sansal a obtenu dimanche le prix de la paix de la foire du livre de Francfort, en Allemagne.
M. Sansal, 62 ans, a reçu le prix pour sa critique du régime d'Alger et son lutte pour "la liberté de parole, de culture et de religion" dans son pays, a déclaré le président de la foire, Gottfried Honnefelder.
L'écrivain qui a reçu son prix en présence d'un millier de personnes à la fin de la manifestation annuelle, la plus grande foire du livre du monde, a déclaré qu'une "révolution mondiale" était en cours.
"Les gens veulent une démocratie universelle, authentique, sans frontières ni tabous. Ils rejettent les dictateurs, l'extrémisme, le pouvoir des marchés, l'emprise étouffante de la religion", a dit Boualem Sansal.
Il a été félicité par le ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle pour le prix doté de 25.000 euros (35.000 dollars).
"Le prix honore non seulement l'oeuvre littéraire de Boualem Sansal mais aussi ses efforts pour un changement démocratique et pacifique en Algérie", a dit le ministre dans un communiqué.
"En ce moment de bouleversements dans le monde arabe, j'espère que la vision de Boualem Sansal d'une société libre et démocratique en Algérie deviendra réalité", a dit M. Westerwelle.
L'auteur francophone comprend notamment "Le serment des barbares" (1999), prix du premier roman, et "Le village de L'Allemand" (2008) grand prix de la francophonie.
Le prix de la paix de la foire de Francfort a dans le passé été décerné à des écrivains comme le Turc Orham Pamuk, le Hongrois Peter Esterhazy et le Tchèque Vaclav Havel.
Il avait été obtenu l'an dernier par l'Israélien David Grossman.
In AFP 16 Octobre 2011 - 14H36  
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Boualem Sansal, lauréat du prix de la Paix des libraires allemands 2011
L'écrivain algérien Boualem Sansal recevra le prix de la Paix des libraires allemands dimanche prochain à la Foire du Livre de Francfort. 
Après l'écrivain israélien David Grossman, c'est Boualem Sansal qui sera couronné par le prix de la Paix des libraires allemands dimanche prochain à la Foire du Livre de Francfort. Créé en 1950 et doté d'une récompense de 25 000 euros, le prix de la Paix des libraires allemands est une distinction internationale prestigieuse décernée chaque année à une personnalité qui "par son activité littéraire, scientifique et artistique, a servi de manière significative la progression des idées pacifistes." 
Né en 1949 à Theniet El Had, petit village algérien des monts de l'Ouarsenis, Boualem Sansal commence sa carrière en tant qu'enseignant, puis devient haut fonctionnaire du ministère de l'Industrie algérien. Limogé de son poste en 2003 en raison des critiques qu'il a émises contre le gouvernement en place, il se tourne vers l'écriture sous les conseils avisés de son ami Rachid Mimouni. Sansal signe son premier roman, Le Serment des barbares en 1999, qui est doublement consacré (prix du Premier Roman et prix des Tropiques). Il rédige également un pamphlet, Poste restante, qui a été censuré en Algérie. Lauréat du Grand Prix RTL-Lire en 2008 pour son roman Le Village de l'Allemand, il vient de publier un récit très personnel intitulé Rue Darwin.  
In: LEXPRESS.fr, publié le 13/10/2011 à 17:00, mis à jour le 15/10/2011 à 15:08
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Et, si vous comprenez l'allemand...

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ECOUTER AUSSI:
Emission diffusée le 16/10/2011 à 23:36 sur Arte:
http://videos.arte.tv/fr/videos/boualem_sansal-4192426.html
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BOUALEM SANSAN, entretien : courage et liberté
Invité à la fin du mois de septembre par le festival international de littérature de Berlin, Boualem Sansal est le lauréat du Prix de la paix des libraires allemands. Il sera récompensé le 16 octobre, dans l'église Saint Paul de Francfort, qui a déjà vu passer d'illustres personnages, entre autres Leopold Sedar Senghor, Yehudi Menuhin, ou encore Vaclav Havel. Cette année, les libraires allemands saluent « un romancier passionnant, qui travaille avec beaucoup d'esprit et de sensibilité à la rencontre des cultures, dans le respect et la compréhension mutuelle entre les peuples », et souhaitent « lancer un signe en faveur du mouvement démocratique en Afrique du Nord ». Et en effet, l'écrivain algérien francophone appelle ses compatriotes à s'opposer comme lui au régime d'Abdelaziz Bouteflika et à à renverser ce « dictateur habillé en démocrate », installé au pouvoir depuis 1999. Rencontre dans la capitale allemande, avec un homme engagé et déterminé.
La Gazette: Nous sommes un journal franco-allemand, voici donc la question rituelle. Quel est votre lien avec l'Allemagne ?
Boualem Sansal: J'ai d'abord un lien ancien avec l'Allemagne, en tant que haut fonctionnaire, au ministère de l'industrie Le plus grand partenaire de l'Algérie dans le domaine industriel, c'est l'Allemagne. J'ai donc été très souvent appelé à aller dans des délégations d'hommes d'affaires, de hauts fonctionnaires, pour négocier. J'ai connu l'Allemagne à travers ce biais là, à travers ce qu'elle a de meilleur et de supérieur aux autres; c'est à dire son industrie. Ensuite, j'ai redécouvert l'Allemagne sous un autre angle. J'ai une passion pour l'Allemagne, je viens très souvent, cinq ou six fois par an, voire plus, j'y ai maintenant beaucoup d'amis. Je me sens bien en Allemagne.
La Gazette: D'où vous est venue ce que vous qualifiez de « passion » pour la Shoah ?
Boualem Sansal: C'est lié à ma trajectoire personnelle, j'avais sans doute une sensibilité particulière pour ce genre de choses. Et au début des années 1980, j'ai découvert ce village dont j'ai tiré ce roman: Le village de l'Allemand. J'ai voulu comprendre le pourquoi, le comment et les mécanismes de la Shoah. Ça s'est très vite transformé en une sorte d'addiction. Au départ, j'avais un intérêt plutôt historique pour cet évènement, l'intérêt d'un être humain qui s'intéresse aux grands malheurs du monde. Ensuite j'ai fait un travail de plus en plus scientifique, pour essayer de comprendre réellement.
La Gazette: Votre regard sur cette tranche de l'histoire a-t-il évolué ?
Boualem Sansal: Aujourd'hui, je me pose des questions qui ne me venaient pas à l'idée il y a dix ans. Par exemple, la question de la culpabilité. On découvre que la frontière entre victime et criminel est très mince. Depuis quelques temps, je travaille beaucoup sur les Sonderkommando, ces prisonniers qui étaient chargés de sortir les cadavres de la chambre à gaz et de les emmener aux fours crématoires, puis de récupérer les cendres et d'aller les jeter dans les rivières aux alentours. Je lis en ce moment un livre terrifiant de Krakowski, qui a du faire ça pendant des années. On découvre que tout en étant un homme de bien, on peut vivre dans le mal absolu. Comment l'âme humaine se protège de cela? La protection la plus évidente est le suicide. Mais même lorsqu'on est un homme de bien, le mal exerce une fascination étrange sur l'âme humaine. Chacun est donc un tortionnaire en puissance.
La Gazette: Que signifie pour vous le prix de la paix, que vous allez recevoir ?
Boualem Sansal: Ce prix est un grand évènement, dans la mesure où il reconnait que je suis un homme qui œuvre pour la paix. Je n'en avais pas conscience. Au contraire, j'étais un militant, dans l'appel à l'action, prêt à faire la guerre pour mon pays et pour me libérer. Mes livres sont des plaidoyers pour la guerre. Ce prix va me changer, mais je ne sais pas encore comment, de la même manière que la découverte de ce village dans les années 1980 et que l'étude approfondie de la Shoah m'ont beaucoup changé.
La Gazette: Pourquoi cette phrase que vous avez eue: « il faut s'engager à visage découvert » ?
Boualem Sansal: Être caché, c'est manipuler les autres. C'est faire prendre des risques aux autres en disant: « Allons à la guerre, je vous suis! » Signer de son propre nom, c'est dire: « Allons à la guerre, ensemble ». Se cacher décrédibilise le discours, et entraine de la suspicion. Au-delà, il faut assumer pleinement son engagement politique. Comment s'engager à moitié lorsqu'un système vous écrase? S'engager à moitié, c'est servir la dictature. Il n'y a pas de demi-mesure. Ou on soutient la dictature, ou on devient un ennemi de la dictature et la dictature finira par vous tuer, alors il faut aller jusqu'au bout.
La Gazette: Aujourd'hui, vous vivez en Algérie. Vous arrive-t-il de craindre pour vous ou pour votre famille ?
Boualem Sansal: Bien sûr. C'est un régime très dangereux, qui tue facilement. Mais le fait d'être en Algérie ne change rien. L'un des plus grands opposants a été assassiné à Francfort, ils l'ont pendu dans sa chambre d'hôtel. Un autre a été tué à Barcelone. Mais le meurtre n'est pas la seule solution du régime. Un opposant peut être discrédité, pris dans un complot... J'ai réfléchi avant de signer mon premier ouvrage. J'aurais pu aller se cacher au fin fond des États-Unis, dans un petit village. Mais à quoi sert le combat dans ces conditions? pourquoi se battre si c'est pour se cacher sous une pierre?
 La Gazette: Vos livres sont-ils publiés en Algérie?
Boualem Sansal: Le village de l'Allemand a été censuré en Algérie. Mes trois premiers romans* se vendaient, on pouvait les trouver en librairies. Pourtant, ils dénoncent tout aussi violemment le pouvoir que les suivants. Mais le contexte le permettait, le président Bouteflika venait d'arriver au pouvoir, il y avait une certaine détente. À l'époque, j'avais une vie littéraire normale. Et puis j'ai donné plusieurs interviews, et dans certaines d'entre elles, je me suis attaqué directement au président Bouteflika. Alors j'ai été limogé [en 2003]. En 2006 j'ai écrit Poste Restante qui a été interdit et cette décision s'est étendue de manière non-écrite à tous mes ouvrages et à ma personne. C'est à dire que depuis six ans, je n'existe pas.
La Gazette: Comment vivez-vous cette mise à l'écart?
Boualem Sansal: Quelquefois ça me gène. Les gens écrivent n'importe quoi dans la presse et je ne peux pas répondre. Je ne peux pas intervenir et corriger. C'est frustrant. Je rencontre parfois des personnes de la presse à qui je demande s'ils me publieraient si je leur envoyais un papier. Ils me répondent que ça dépend de ce que j'aurais écrit, parce qu'il y a la censure. Les journaux subissent la censure et beaucoup de pression de la part de l'État. Ils impriment sur des rotatives qui appartiennent à l'État. Alors s'ils veulent imprimer quelque chose qui ne plait pas, soudainement il y a une grève d'une heure ou alors la machine tombe en panne et l'édition ne peut pas être imprimée.
La Gazette: Y a-t-il eu un « printemps arabe » en Algérie ?
Boualem Sansal: Cette année, en février, on a appelé à manifester sur la place d'Alger. On était 2000 sur la place, et autour de nous, il y avait 35 000 policiers. La population était tenue à l'écart dans un cercle de 3 km. La masse ne pouvait pas se créer et déborder le service d'ordre. Ils ont beaucoup appris de la gendarmerie française et de la police américaine. Maintenant ils savent comment empêcher les gens de manifester. Le premier cercle, c'est la police, le deuxième cercle la gendarmerie en dehors des villes, et plus loin c'est l'armée. Toute la ville est donc en état de siège en 1h de temps. On ne peut pas non plus entrer dans la ville par l'autoroute, tout est fermé, ils créent des embouteillages à l'entrée de la ville. On ne peut donc pas accéder au centre-ville, et au centre-ville, toutes les ruelles sont bloquées. Dans les petits villages et les petites villes, ils permettent, parce qu'il faut laisser les gens se défouler. Si les gens manifestent, la police n'intervient pas. Ils marchent, ils crient, ils détruisent, ça permet de détendre l'atmosphère.
La Gazette: Avez-vous tout de même l'espoir de voir tomber le régime de M. Bouteflika ?
Boualem Sansal: Pas dans l'immédiat. Le régime algérien est beaucoup plus fort que le régime tunisien par exemple. En Tunisie, c'était une petite dictature policière. Le pouvoir algérien est issu de la révolution. Les membres du pouvoir ont déjà fait une guerre, ce sont des révolutionnaires, ils ont une morale spéciale, le meurtre leur est très naturel, ils sont extrêmement dangereux. Ils ont réussi à surmonter une guerre civile de dix ans. À un moment, les islamistes étaient très proches de prendre la capitale. Et en créant une contre guérilla, le pouvoir a réussi à vaincre les islamistes.
 La Gazette: Quelle est la situation linguistique en Algérie ?
Boualem Sansal: En Algérie, il n'y a pas de langue, et il y en a trop. Il y a l'arabe classique qui est l'arabe du coran. C'est une langue uniquement utilisée dans le domaine religieux et dans une littérature, une poésie laudative. C'est la seule langue qui est enseignée à l'école, car tout Arabe se doit de connaître l'arabe du coran. Il y a ensuite l'arabe qui est parlé par les populations. C'est un mélange de mots d'arabe classique transformés, de mots empruntés aux langues anciennes, aux dialectes, arabisés. Cette langue n'est pas écrite, n'a pas de syntaxe, pas de grammaire, et est instable. On ne peut la parler que dans des lieux très limités, car elle varie d'un village à l'autre. Donc on comprend, mais pas tout. Cette situation a perduré pendant des siècles, d'un côté la langue du coran pour le sacré, de l'autre la langue de la rue pour le monde profane.
La Gazette: Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui?
Boualem Sansal: Lorsque l'Algérie s'est retrouvée indépendante, la question de la langue officielle s'est alors posée pour la première fois, car jusque là, la langue officielle avait toujours été celle du colonisateur. On ne voulait pas garder le français et l'arabe dialectal ne pouvait pas servir de langue officielle. Comme il y avait un grand sentiment de religiosité, ils ont choisi l'arabe classique. Mais très vite, ils se sont rendus compte qu'on ne peut pas faire d'une langue sacrée une langue officielle de travail. En effet, l'arabe sacré s'est arrêté au 16e siècle et ne s'est pas enrichi depuis. Et en dix siècles, il s'est créé des milliers de concepts et d'idées nouvelles. Alors on a rapidement créé ce qu'on appelle l'arabe officiel. C'est un mélange d'arabe coranique – peut-être 30% à 50% – et de traductions phonétiques de l'anglais et du français pour tous les mots qui manquent.
La Gazette: Cette multiplicité de langues pose-t-elle des problèmes de compréhension ?
Boualem Sansal: Quelle que soit la langue que vous parlez, il y a beaucoup de gens qui ne vous comprennent pas. Mais le vrai drame, c'est pour l'école et la justice. Au tribunal on est tous dans la situation de quelqu'un de sourd et muet. Le juge le procureur et l'avocat s'expriment dans un arabe classique châtié, qu'il est interdit de traduire, alors que l'accusé parle une autre langue. Il ne comprend donc pas les questions du juge. Parfois, l'avocat traduit discrètement à l'accusé, qui répond dans sa langue. Le juge comprend mais fait semblant de ne pas comprendre. Il y a donc un problème de justice incroyable.
La Gazette: Et pour l'école ?
Boualem Sansal: Le deuxième problème est l'école. À l'école, où parle l'arabe classique aux enfants. Et quand ils rentrent chez eux, il sont dans un autre univers linguistique. Un enfant qui vit en Kabylie parle en kabyle toute la journée. Il passe donc d'une langue à l'autre et ça ne lui donne pas de continuité psychologique. Au contraire, il vit des ruptures, car les deux langues n'ont pas la même logique, ne véhiculent pas la même culture, ce sont deux univers complètement différents.
La Gazette: Que faudrait-il faire alors pour arranger cette situation ?
Boualem Sansal: Ce qu'il faut, c'est un État démocratique. Parce que ce qui importe ce n'est pas tant la solution, c'est la manière de la trouver. Est-ce qu'on la trouve d'une manière dictatoriale, ou est-ce qu'on laisse les gens s'exprimer? Je suis pour cette deuxième méthode. Laissons les gens parler, ils trouveront la solution par eux-mêmes. Ou ils ne la trouveront pas et continueront à chercher, comme dans beaucoup de pays.
La Gazette: Quelle différence entre l'arabe classique et l'hébreu, entre l'islam et le judaïsme ?
Boualem Sansal: L'hébreu a été modernisé, et les religieux ont accepté cette modernisation. Au contraire de chez les musulmans, Le texte religieux n'est pas fait pour être appris par cœur et être récité de manière incantatoire. Dans la religion judaïque, le texte est fait pour être étudié, point par point, pour essayer de comprendre. Ça développe donc des capacités d'analyse, ça permet une gymnastique qui a permis aux Juifs de s'adapter dans tous les pays. La capacité à réfléchir longtemps, parfois des siècles, à des problèmes est très particulier à cette religion. C'est une force qui a aussi permis à Israël d'amalgamer toutes ses populations.
Propos recueillis par Marion Muracciole
 

In : http://www.lagazettedeberlin.de/sansal-dissident-alg-berlin-7089.html
Numéro 36 - 22 octobre 2011
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Ci-après une interview lénifiante (de la part de l’intervieweuse qui n’a pas lu le livre, autrement elle aurait posé des questions bien plus pertinentes.) Mais Boualem Sansal apporte des éléments forts intéressants sur la question de l’Histoire coloniale, sur le rapport mère-fils…
El Watan 22 octobre 2011
Boualem Sansal : «Nous vivons dans la supercherie»
 
Il vient de recevoir le prestigieux prix des Libraires allemands. Il nous parle de son dernier roman et, de manière inédite, de sa propre vie.
-Rue Darwin est votre sixième roman. Vous avez commencé à écrire à l'âge de 50 ans. Qu'est-ce qui a motivé votre orientation vers l'écriture romanesque ?
C’est mon ami Rachid Mimouni qui m’a encouragé à écrire. Il pensait que j’avais du talent. Il faut dire que j’ai été son premier lecteur. Nous étions voisins. Il me confiait ses manuscrits pour que je les lise, et il est très probable que mes critiques lui ont permis de penser que j'avais des prédispositions à l'écriture. A cette époque, je ne pensais pas en avoir la compétence. Quand je voyais le temps qu’il consacrait à l'écriture d'un livre, je me disais que je ne pourrai jamais passer deux années entières sur un texte. C'était de mon point de vue impossible. Pendant des années, nous passions notre temps à débattre de littérature et d’autres sujets. Il nous racontait ses voyages, ses rencontres, ses découvertes. Il nous encourageait à écrire. Il nous a initiés à l'écriture. Il n'avait aucun esprit de vedettariat. Il nous illuminait.
L'assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992 est la seconde motivation. Lorsque j'ai appris la nouvelle tragique, j'ai alors pensé que c'était la fin du monde. Je n'oublierai jamais cette sensation. Nous étions en réunion lorsqu’un collègue est venu nous annoncer la terrible nouvelle. Nous étions tétanisés. Nous avions l'impression que la vie s'était arrêtée. Pour nous, il représentait l'espoir. Les Algériens avaient retrouvé le goût de vivre. Ils pouvaient parler, respirer, espérer. En l'assassinant, ils ont anéanti tout cet espoir. Les années suivantes ont été terribles.
-C’est à ce moment-là que vous avez commencé à écrire ?
Au début, j’écrivais de petits textes dans lesquels je consignais mes réflexions. Je passais beaucoup de temps à lire des ouvrages, romans, journaux. Un jour, j’ai lu dans la presse que des islamistes utilisaient les cimetières chrétiens pour fabriquer des bombes. Dans toutes les civilisations du monde, on respecte les cimetières et les morts. On ne profane jamais ces lieux. J'avais ensuite appris qu'il y avait du trafic autour de ces cimetières. Je notais mes réflexions. Puis, j'ai rassemblé toute cette matière sous forme d’un roman : Le Serment des Barbares. Cette œuvre n'a pas de structure. Elle est très désarticulée mais a été perçue en France comme une écriture nouvelle. Je l'ai envoyée aux éditions Gallimard qui ont accepté de la publier. C'est ainsi que je suis devenu écrivain.
-Rue Darwin semble très personnel. Quelle est la part de votre histoire de vie ? 
Ce n'est pas une œuvre autobiographique bien que je m'inspire de ma propre histoire. En réalité, je ne connais pas mon histoire familiale, juste quelques bribes. Je ne sais pas comment ma famille paternelle a vécu. Cet élément a servi de point de départ pour traiter un sujet récurrent dans mes livres : la quête de notre identité. Dans notre pays, nous vivons constamment dans la supercherie depuis de nombreuses années. Je suis né avant l'indépendance et, pendant la colonisation, à l'école, on nous apprenait que nos ancêtres étaient les Gaulois. On nous enseignait une histoire qui n'était pas la nôtre. A l'indépendance, on a continué à nous enseigner sur la base du mensonge et de la supercherie. L'histoire algérienne est falsifiée, voire occultée.
La version officielle de la guerre de libération, relayée par les médias et les discours politiques, est basée sur le mensonge. Pendant des années, les officiels ont présenté Abane Ramdane comme un chef parmi tant d'autres, mort au champ d'honneur. Cette version est erronée, car cet homme, l'un des cerveaux du Front de libération nationale, a été assassiné après avoir été entraîné dans un piège. Et ceux qui ont commandité et commis son assassinat ont vécu honorés. L'histoire officielle n'est pas fiable. Les tenants du pouvoir algérien ont continué et continuent à nous mentir et à nous faire vivre dans la supercherie.
-Ce schéma semble être également récurrent au sein des familles...
Beaucoup de familles, y compris la mienne, vivent dans le mensonge. Il y a eu beaucoup d'événements qui ont été falsifiés dans ma famille. Toute ma vie, je me suis demandé qui était réellement cette femme que j'appelle Djeda. Qui m'a élevé ? A la mort de mon père, ma mère a été chassée par Djeda. Elle s'est trouvée contrainte d'aller à Alger où elle ne connaissait personne. En me gardant à ses côtés, Djeda l'a privée de son enfant pendant quelques années. Je ne sais rien de mon père. Il est décédé lorsque j’avais deux ou trois années. J'ignore s'il avait des frères, des cousins… Je connais plutôt ma famille maternelle. J’ai longtemps porté ces questions relatives à mes origines familiales.
-Et c’est cette quête des origines que raconte  Rue Darwin ?
Je me suis inspiré de mon histoire familiale. Je voulais ainsi sensibiliser le lecteur et attirer son attention sur le fait que nous vivons dans la supercherie et le mensonge. Et même si nous faisons l'effort de trouver des réponses à nos questionnements, nous risquons d'être très surpris. Pour que les êtres humains  vivent correctement, il est nécessaire qu'ils connaissent leur histoire et leur identité. Pourquoi existe-t-il tant de violence en Algérie ? Pourquoi tous ces malheurs ? Car on a fait vivre les Algériens dans le mensonge et sous de fausses identités. Pendant des lustres, on leur a fait croire qu'ils étaient Français.
A l'indépendance, on les a persuadés qu'ils étaient des Arabes. Qu'est-il advenu de leur propre histoire ? Qui sont-ils réellement ? Quelle est leur véritable identité ? La question identitaire est cruciale et problématique en Algérie. Nous avons le devoir de savoir, sinon nous vivrons dans le malheur. Et lorsqu'on sait, on hérite de la responsabilité de dire et d’agir. La transmission est indispensable afin que nos enfants ne vivent pas dans les souffrances que vit le peuple algérien.  
-Par moments, le narrateur a des allures surréalistes. Il est omniprésent et prévoyant. Il a tout vu et tout vécu. Et pourtant, il est plutôt passif et accepte la mainmise de sa mère sur sa vie...
Yazid est un personnage amorphe. Il vit avec sa mère et se voue corps et âme à son bien-être. Il n'a pas d'ambition. C'est un personnage introverti. Est-ce à cause de son histoire ? Il est l'aîné de la fratrie et est différent de ses frères et sœurs qui ont beaucoup d'ambition. Yazid n'a jamais été tenté par quoi que ce soit. Il a vécu dans la solitude, se contentant de vivre le rôle que les femmes ont écrit pour lui. Lorsqu’il vivait à Belcourt, il était un garçon normal. Il jouait avec les copains. Il faisait tout par suivisme. Il allait à l'école, avait des occupations. A son arrivée à Alger, il découvre la grande ville et la guerre. Il participe à la Bataille d'Alger à sa manière.
C'est à Alger qu'il prend connaissance de la colonisation, car, dans son village, elle n'était pas très visible. A Alger, il est très surpris par les immeubles, les rues grouillant de monde, les voitures... C’est à ce moment qu’il découvre les militaires. Puis, à l'indépendance, il est témoin d'une dictature qui se met en place, les premiers mensonges et les discours de Ben Bella qui répétait sans cesse : «Nous sommes Arabes». A l'indépendance, il va au lycée et poursuit des études d'ingéniorat, car à l'époque le pays avait besoin d'ingénieurs. Mais petit à petit, il s'est laissé porter par les événements.
-La mort de sa mère est vécue comme un événement triste par Yaz. Mais n'a-t-elle pas surtout une fonction libératrice pour le narrateur ?
Il faut que les parents meurent pour que les enfants se libèrent. Il faut les tuer symboliquement pour s'émanciper en tant qu'individu. Yazid s'est retrouvé dans une situation qu'il n'a pas choisie. Les frères sont partis, le mari est décédé et la mère est restée seule. Il fallait bien que quelqu'un s’occupe d’elle. Et comme Yazid n'avait aucune ambition, il est resté. Comme presque toutes les mères, celle de Yazid a joué un rôle castrateur à l'égard de son fils. C'est à sa mort qu'il se libère.
Cette configuration est très classique. Dans nos sociétés, les garçons ne deviennent jamais des adultes. Il y a d'abord la mère puis l'épouse qui prend la suite. Pour Yazid, la mort de la mère le prive de sa présence physique mais, en même temps, elle l'oblige à se prendre en charge car toute sa vie il a vécu pour elle. Sa mère n'est plus là pour donner une justification à sa léthargie. Beaucoup d'hommes se reconnaîtront dans ce personnage.  
Hadia Aksous

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Sansal, l’indomptable
Publié le : 2 novembre 2011
Chaque nouveau roman de Boualem Sansal est un livre événement, telle une pierre angulaire sur l’édifice de son œuvre singulière. L’auteur algérien surprenait, à travers le propos bouleversant de son cinquième et précédent roman, Le Village de l’allemand ou le journal des frères Schiller (Gallimard, 2008). Rue Darwin est son nouveau roman.
Déjà, l’intrigue liée à l’opus Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, évoquait la découverte terrible de deux frères, de mère algérienne et de père allemand, qui ont grandi en banlieue parisienne, loin du village d’Aïn-Deb, en Algérie, où ont été égorgés leurs parents en 1994 par le GIA : leur père qui jouissait du titre prestigieux de moudjahid était un officier SS…
Aujourd’hui, Sansal signe un nouveau roman, fresque familial, Rue Darwin, qui exhume un autre tabou, de l’histoire algérienne : l’argent illicite, issu de la prostitution sous la guerre d’Algérie. Et l’auteur n’a pas hésité à s’inspirer directement du destin de sa grand-mère, célèbre mère maquerelle de l’époque ! Sansal dépeint une saga familiale, inspirée de celle de sa fratrie et de son aïeule, chef de tribu. Morte mystérieusement en 1917 alors qu’elle habitait le palais de la reine Ranavella III, de Madagascar, dans lequel elle a reçu Ben Bella et Nasser peu après l’Indépendance, ce qui a fait d’elle une héroïne de la Révolution. Ce palais est, depuis, devenu la propriété de Bouteflika.
Qui mieux que Sansal, apparu sur la scène littéraire en 1999, avec Le Serment des barbares, sonnant l’heure de la carrière d’écrivain de cet ex-ingénieur de formation, docteur en économie puis enseignant à l’université, pouvait écrire sur un sujet aussi brûlant ? Lui, qui a choisi la plume pour dire ses bleus à l’âme, son goût du paradis, celui de ses contemporains, dans une Algérie exsangue, à feu et à sang où la vie des brûleurs de route, des veufs, des ténébreux, des inconsolables a peu de prix. Sa plume, qui s’avère une véritable arme, même pour ses compatriotes, est pourtant trempée d’une vibrante humanité : L’Enfant fou de l’arbre creux, Dis-moi le paradis, Harraga, autant de romans, récompensés par de nombreux prix et succès. Suivent d’autres livres, d’autres cris de révolte : Poste restante : Alger, lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes ; Journal intime et politique ; Algérie 40 ans après… récompensés par une pluie de prix.
Aux frontières du réel
En 2003, ses prises de positions critiques sur l’arabisation de l’enseignement et l’islamisation de son pays lui valent d’être limogé de son poste de haut fonctionnaire. Qu’à cela ne tienne ! Sansal sera désormais écrivain. Il s’attache depuis, à raconter son pays, en s’appuyant sur la réalité.
Témoin, Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. «L’histoire de cette œuvre est en fait le fruit d’un long cheminement. J’ai découvert ce village, qui existe réellement, il y a vingt-cinq ans de cela», précisait Sansal, poursuivant «Alors que je me promenais dans la région de Sétif en Algérie, pour des raisons professionnelles, je suis tombé tout à fait par hasard sur un village qui a attiré mon attention : il était très différent des autres, extrêmement bien tenu, propret. Puis j’ai pris un café dans le chef-lieu de Sétif, où j’ai fait part de ma découverte. On m’a ainsi appris que cet endroit s’appelait le village de l’Allemand, car un Allemand, ancien moudjahid, y vivait, il en était le chef et également un ex-officier SS qui avait participé aux camps d’extermination nazis. Bien que je n’étais pas encore écrivain, cette histoire n’a pas quitté ma mémoire. Il y a deux ans, à la fin de Harraga, j’y ai repensé en me disant que j’aimerais faire un roman autour de cet homme de la façon suivante : avait-il des enfants ? Comment réagiraient-ils s’ils découvraient que leur père avait participé à un tel génocide ? À la Shoah ? Quelle attitude adopter face à la question d’une révélation si effroyable ? »
Alger, mon amour
Autre personnage emblématique de l’auteur : Alger. « Alger restera toujours ma plus grande découverte, elle incarnait un rêve fabuleux : elle était belle à souhait, désordonnée, cinquante ans après je ne peux pas m’empêcher d’y repenser. Pour le rural que j’étais, toute ville pouvait évidemment être très belle, mais Alger était d’une beauté incomparable, débordante de charmes, gâtée. J’étais en admiration face à ses bâtiments de type haussmannien, la richesse de son architecture, son urbanisme cafouilleux, tantôt européen, tantôt arabe, et sa médina qui m’étourdissait. Je sortais du cercle étroit de mon village pour m’ouvrir à une incroyable richesse et à une diversité humaine ! C’était en 1954-1955, sous l’Algérie française, les Algériens et les pieds-noirs étaient semblables, ils appartenaient à la même famille : leurs comportements étaient identiques, leurs façons de se vêtir aussi. Je trouvais un nouveau paradis». Sansal a, de plus, été couronné à la Foire du livre de Francfort par le Prix de la Paix des libraires allemands. Créé en 1950, ce prix est une distinction internationale prestigieuse décernée chaque année à une personnalité qui «par son activité littéraire, scientifique et artistique, a servi de manière significative la progression des idées pacifistes.» ◆
Fouzia Marouf
In : http://www.lesoir-echos.com
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video   B.Sansal à Tamurt TV 25 10 2011
   in: http://www.youtube.com/watch?v=f4zth1ImFFY
RUE DARWIN
"L'islamisme, même à dose microscopique, détruit un pays"
lundi 26 septembre 2011 
Boualem Sansal se défend d'être un héros. L'écrivain algérien en a pourtant l'étoffe. C'est au péril de sa vie qu'il pousse un cri de révolte contre les islamistes qui gangrènent son pays chéri et contre un régime qui sème la haine et réduit la liberté individuelle. « Tout n'est pas perdu », à condition de connaître son histoire et ses origines. Les siennes prennent racine dans la Rue Darwin (Gallimard). Un roman intense qui retrace une enfance hybride, partagée entre plusieurs identités. Une enfance « écourtée par la guerre », mais enrichie par la force des femmes. On y assiste aussi à la mutation de l'Algérie, qu'il décrit sans complaisance. Quels sont les observations et les combats de Boualem Sansal ? Rencontre avec le lauréat 2011 du prestigieux prix de la Paix des libraires allemands.
Le Vif/L'Express : Vous écrivez que « le seul véritable inconnu, c'est soi-même ». Pourquoi l'identité est-elle un thème récurrent dans votre oeuvre ?
Boualem Sansal : L'identité se lit à livre ouvert, on la révèle par sa façon d'être. Jusqu'à présent, j'abordais la question de l'identité collective, or pourquoi le collectif s'affuble-t-il d'une identité ? Quelle est celle de tout un peuple ? L'Etat construit une pièce de théâtre avec ses actes et ses identités. Les pouvoirs étant dominants, ils imposent ce récit afin que ça devienne une norme. Ceux qui s'en écartent sont en situation difficile. Je suis un être complexe... Héritier d'une longue histoire, j'ai été façonné par trente-six mille choses. Etre réduit à l'identité musulmane revient à être défini sur la marge d'un timbre verrouillé. On doit se mutiler pour y entrer ! Cela nous coupe les pieds, les ailes et les langues. C'est contre ça que je me rebelle. Je refuse la petite identité officielle tant elle est caricaturale. Réapproprions-nous notre identité individuelle et, si nécessaire, l'identité collective, en reconnaissant toutes ses dimensions, en comprenant toute son histoire. Cela exige un travail de reconstruction et de rejet de ce qu'on nous impose.
On ressent, dans votre livre, la nostalgie d'une époque révolue où la cohabitation, notamment avec les juifs, était possible. N'y a-t-il pas, dans des pays comme l'Algérie, une régression dans l'acceptation de l'autre ?
Complètement. Tous les Algériens d'un certain âge vivent avec cette nostalgie parce que l'on a vu comment, depuis l'indépendance, des espaces de liberté ont été rognés. On nous a enfermés dans des identités tellement étroites qu'elles deviennent, comme cela a été dit par d'autres, des « identités meurtrières ». La multiplicité des identités en Algérie était extraordinaire. Par catégories sociales, nous vivions en parfaite entente. Dans le quartier de Belcourt, à Alger, j'allais réviser mes devoirs à la synagogue parce que l'on habitait une petite pièce où il était impossible d'étudier. On aurait pu conserver cela.
Dans ce roman, vous faites un clin d'£il à Camus, qui habitait à deux pas de chez vous. Pourquoi estimez-vous que « quand on le lit, on voit une autre Algérie qui parle à l'humain » ?
Camus incarne le révolté philosophique. Avant, l'idée de l'identité algérienne était extrêmement complexe, alors qu'aujourd'hui elle est réductrice. Albert Camus a perçu qu'un nouveau peuple était en train de naître, ça me fascine. Les gens venaient de partout avec leur histoire, leur espérance et leur identité différente. C'est l'Histoire qui les a mis ensemble sur un territoire. Un pays était en train de surgir, avec sa nouvelle géographie. Il ne s'agissait ni de l'Algérie ottomane ni de l'Algérie française ou musulmane.
En quoi ce pays vous a-t-il façonné ?
C'est celui où je suis né, celui où j'ai toujours vécu. Dans ma famille, on ne s'est pas laissé enfermer par une identité artificielle. Non seulement, je n'ai pas été embrigadé par « cet Algérien nouveau », mais, en plus, j'ai gardé ma liberté et mon identité plurielle. Nous ne sommes, hélas, plus qu'une petite minorité qui disparaît. La nouvelle génération étant totalement formatée, le travail sera difficile à faire. On ne lui explique pas l'histoire, qui a été mise sous le chapeau. Dire qu'il y a quinze ans on pouvait boire et fumer à une terrasse, lors du ramadan ! Même dans certaines banlieues françaises, ce n'est plus possible. Les jeunes Algériens rêvent actuellement d'obtenir un visa pour se réaliser en France.
Pourquoi n'est-ce plus possible aujourd'hui ? A cause d'un pouvoir qui impose une identité réductrice ?
Les régimes totalitaires veulent un peuple à leur main. Ils construisent une identité. Ils se légitiment par des mensonges et des exclusions, jamais par des idées de rassemblement. Ensuite, les théoriciens théorisent cela ; ils construisent des slogans, des histoires. Ils sacralisent, ce qui fait qu'après il est très dangereux de déconstruire. Pourtant, on ne peut pas accepter cela. Il faut se révolter, il faut se réapproprier les choses. J'ai l'impression que ce moment est arrivé dans le monde arabo-musulman.
L'identité de l'Algérien nouveau que le pouvoir a voulu fasciner est-elle celle d'un islamiste ? A propos de Hédi, le jeune frère islamiste de votre héros, vous suggérez que c'est l'école publique qui l'a ainsi formaté ?
A partir de l'indépendance, le pouvoir a voulu construire un peuple nouveau. Par petites touches et par des phrases très simples : « Nous sommes arabes. Nous sommes musulmans. Nous sommes socialistes. » Cette période-là a conduit à l'échec, trente ans après : pays détruit, chômage, industrie non productive. Les islamistes sont arrivés et ils ont dit : « Si vous avez échoué, c'est parce que vous n'avez pas été de vrais musulmans. Le Coran est la solution. Vous devez vous convertir, partir ou mourir. » Certains se sont adaptés au péril de leur vie.
Les Algériens ont-ils déjà dressé le constat de l'échec de cette stratégie islamiste ?
L'échec est visible sans l'être. Les islamistes assurent n'être pas vraiment rentrés dans le vif du sujet puisque le pouvoir est encore détenu par des « mécréants ». Dans leur entendement, il faut procéder à une épuration, prendre le pouvoir et installer une république islamique. Eux ne reconnaissent pas l'échec. Nous, on voit bien que l'islamisme, même à dose microscopique, détruit un pays. Par rapport à la première médication socialiste, l'islamisme a cette particularité de détruire les familles. Dans nos pays, la famille est hyper-importante parce qu'elle est la cellule de base. Chez l'être humain, quand quelque chose détruit la cellule, c'est le cancer, les métastases, et la mort assurée.
Dans votre livre, Yazid, pour rassurer sa maman et se rassurer, parle à propos de son jeune frère d'islamiste modéré, de taliban politique... mais sans trop y croire. Vous aussi, vous ne croyez pas à l'islamisme modéré ?
Non, je n'y crois pas. L'islamisme modéré relève de la stratégie. Les islamistes se repositionnent comme les partis d'extrême droite qui, à un moment donné, jouent la carte de la modération pour élargir leur base sociale et atteindre le pouvoir. Lorsque surviendront les difficultés, l'islamiste modéré ne pactisera pas avec le démocrate au détriment de l'islamiste radical. Il ira vers l'islamiste radical. C'est sa famille naturelle. En Turquie, l'AKP [NDLR : Parti de la justice et du développement, au pouvoir] est un parti islamiste modéré, mais il ne fait pas alliance avec les démocrates. Il pourrait sceller cette alliance pour forcer l'armée à sortir du champ politique. Non, il préfère composer avec l'armée.
Où placez-vous le curseur de la frontière entre islam démocratique et islamisme. Quand le chef du Conseil national de transition libyen annonce que la charia constituera la principale source de législation, qu'en pensez-vous ?
Je suis catastrophé. Pourquoi a-t-il cru nécessaire de dire cela ? Il n'en a pas le droit. Le CNT ne représente rien ; il n'a aucune autre légitimité que la victoire contre Kadhafi. Dans six mois, quand les Libyens disposeront de leur assemblée constituante, qu'il fasse cette proposition aux électeurs, soit. C'est la démocratie. Mais là, le CNT se met dans la peau des vainqueurs. Dans un contexte où il y a d'autres priorités (parachever la libération du pays, assurer la sécurité, récupérer les armes...), pourquoi cette annonce ? N'est-ce pas un appel aux islamistes pour commencer, déjà, à se mobiliser ou est-ce une tactique pour éviter que les islamistes prennent le maquis ? Je suis très méfiant. Les islamistes sont de grands stratèges.
Déjà dans Le Village de l'Allemand, vous dénonciez l'islamisation des banlieues françaises. La lutte contre l'islamisme, c'est le combat de votre vie ?
Je n'ai aucune compétence pour parler du Coran et du message coranique. Mais l'islam qui est enseigné depuis une cinquantaine d'années par les institutions, par les écoles coraniques, est un islam radical. Cet enseignement porte en lui les germes de l'islamisme. Il ne peut pas produire des hommes de paix et de tolérance. Dans l'islam sunnite, il n'y a pas de clergé. C'est tout le drame du monde musulman. Il faut que, dans les pays musulmans, on commence à enseigner un autre islam. On ne peut pas être optimiste.
Espérez-vous tout de même des changements des révoltes arabes ?
Je suis pessimiste. L'autre drame du monde arabo-musulman est l'absence de société civile. Le vecteur de la démocratie est la classe moyenne, éduquée et ouverte, et la société civile qui produit du sens pour le peuple. Notre société civile est à l'étranger. Son message est forcément rejeté. La seule société organisée est aujourd'hui l'armée. La conclusion s'impose : de nouvelles dictatures sous une façade acceptable, une gestion de la société par les services secrets et le clientélisme, des marionnettes pour créer l'illusion démocratique...
Pourquoi restez-vous en Algérie, alors que vous y êtes menacé et censuré ?
Parce qu'il y a une certaine utilité à rester. Tout n'est pas perdu. Le « printemps arabe » est surtout vrai en Tunisie et en Egypte grâce aux réseaux sociaux. La classe moyenne y est essentielle pour traduire en propos leurs actions. Les femmes se battent aussi, leur lutte est bien plus intéressante.
Comme le rappelle ce roman, vous avez été élevé et porté par les femmes. Que vous ont-elles appris de la vie ?
Les femmes sont extraordinaires. Même dans les rêveries débridées elles s'avèrent très concrètes. On a beau gouverner ce pays par les légendes, elles ne s'en satisfont pas. Lors des premières émeutes algériennes, en octobre 1988, les hommes ont vécu l'euphorie. L'Algérie des femmes n'était pas faite de discours, mais de créations de centaines d'associations, existant toujours. Les seuls progrès, réalisés dans ce pays, c'est aux femmes qu'on les doit. Celles qui m'ont élevé m'ont appris le courage et la faculté à ne pas se dérober. C'est une grande vertu, même si je ne me perçois pas comme étant courageux.
Pourquoi la mort de votre mère a-t-elle donné naissance à ce roman ?
Quand j'étais petit, le rabbin disait que « c'est aux enfants d'enterrer leurs parents ». A 60 ans, c'est cependant terrible ! Contrairement à ma fratrie, qui a vécu dans d'autres pays, je n'ai jamais quitté ma mère, alors j'ai vu la mort se dessiner sur son visage. Cela faisait longtemps que je pensais tirer un roman de notre histoire, mais c'est compliqué de parler de sa propre famille. D'autant que nous avons vécu dans le silence et le secret. Je ne me sentais pas le droit de faire un livre autobiographique, or il s'est imposé, afin d'en tirer des enseignements. Comment nous, les vivants, héritons-nous de l'histoire du passé ? Cette même question se trouvait déjà dans Le Village de l'Allemand, à savoir utiliser le peu qu'on sait de notre histoire pour la questionner à nouveau. Après avoir abordé ce thème à travers le peuple, je l'applique à l'échelle familiale et individuelle.
Quel enseignement en tirez-vous ?
Tout comme dans Le Village de l'Allemand, il y a le devoir de savoir. Je n'accepte pas l'idée qu'on vive dans l'ignorance. Nous devons connaître notre histoire ! Je m'en veux de ne pas avoir posé de questions à ma mère, mais je n'ai pas osé lui faire mal ou l'obliger à me mentir. Ainsi, ce livre aborde aussi le devoir de transmission. La vie est une continuité, d'autres vont venir après nous. Une fois qu'on « sait », que faut-il transmettre à ses enfants ? Devons-nous les protéger ? Autre devoir : celui de la responsabilité. Le savoir peut engendrer des torts ou mener à la folie. Parmi les déviations, il y a la vengeance et les identités meurtrières. On vit sur les secrets et les mensonges, il faut l'accepter ou y ajouter les siens.
« La trahison est une plaie qui ne se referme pas. » Pourquoi est-elle au coeur de vos livres et à partir de quand se trahit-on soi-même ?
A un moment donné, on se sent « traître » car on a failli à quelque chose, on a franchi une certaine ligne. Dans mon discours du prix de la Paix des libraires allemands, je vais dire que « le seul véritable chemin vers la vérité est la droiture ». La question en creux est celle de la trahison, de l'irresponsabilité. Quand on ne cherche pas à savoir, on tergiverse, on louvoie, on temporise... Ma vérité ? Je ne sais pas, c'est une quête sans fin. On ne peut pas répondre à certaines questions. Ce que j'écris dérange, mais je n'ai jamais épousé de théorie ou bougé de mon coin. Le petit garçon sympathique de la rue Darwin est toujours intact en moi.
PROPOS RECUEILLIS PAR GÉRALD PAPY ET KERENN ELKAÏM
In: http://www.levif.be/info/actualite
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Boualem Sansal en exclusivité : "L’Algérie est prisonnière d’une dictature qui a tout brouillé"
Dans cet entretien, Boualem Sansal parle de son nouveau roman "Rue Darwin" (Gallimard, 2011) et répond pour la première fois, par l'analyse, aux invectives dont il a été victime en Algérie à la sortie de son précédent roman "Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller"…
D’emblée, "Rue Darwin" est-il autobiographique ?
Boualem Sansal: "Rue Darwin" est un roman, pas une autobiographie. J’y ai mis un peu de moi, un peu de ma famille, mais aussi beaucoup d’autres choses, prises chez les uns et chez les autres. Il faut aussi que les gens se reconnaissent un peu dans un roman sinon ils ne sentent pas concer-nés et ne le liront pas.
Quel(s) sens donnez-vous au mot "pupille" par lequel Faïza qualifie les enfants nés dans "la grande maison" sachant aussi qu’il est surtout usité dans "pupille de la Nation" qui désigne depuis 1917 les enfants victimes de guerres ?
Par pupille, j’entends simplement orphelin. Je ne voulais pas utiliser le mot bâtard, les enfants n’ont pas à porter des noms pareils, ils ne sont pour rien dans les travers et les hontes de leur société.
Le narrateur vit doublement son "illégitimité" : celle intime de sa naissance et celle d’un pays dont la naissance à l'indépendance, aussi, est frappée d’illégitimité. Quelle est celle qui le traumatise au plus profond de lui-même ?
Les misères s’ajoutent, le narrateur vit durement son illégitimité à laquelle s’ajoute celle de son pays que tous ses gouvernants, d’hier et d’aujourd’hui, ont pris comme s’il était un pays abandonné, un bâtard, comme s’il sortait du néant. Or ce pays a son histoire et son peuple, comme le pupille a des parents même s’il ne les connaît pas.
Pourtant, c’est un survivant de multiples guerres. Pourquoi fouine-t-il dans le bourbier de sa "guerre" des origines ?
Fouiner n’est pas le mot. Le propre de l’homme est de chercher, de comprendre. S’il cesse de chercher, c’est qu’il est mort.
Pourquoi retourne-t-il à la rue Darwin et non au village de la "grande maison" ?
La rue Darwin est le lieu où deux chemins de vie pour se sont croisés pour Yazid, l’un hallal, l’autre haram, pour reprendre des expressions à la mode. C’est là que le monde a basculé pour Yazid, c’est là qu’il a occulté son ancienne vie et qu’il s’est muré dans le silence pour protéger sa nouvelle vie, sa nouvelle famille. Il va là où s’est nouée l’histoire, pour la dénouer. La vérité est certes toujours en soi, mais on a besoin d’un cadre et d’un cérémonial pour que la chimie s’opère.
Djedda, Malika, Ferroudja meurent emportant avec elles leurs secrets. Est-ce une défaite intime de Yazid ?
Yazid a toujours tout su, comme il le dit lui-même, mais il a aussi toujours occulté. L’homme est ainsi, il cache ce qui le dévalorise aux yeux de la société. Le silence est une lâcheté, un reniement, une mutilation. Mais en parlant, en se mettant à nu, on se met en danger, on peut en mourir, on est souvent poussé à vivre dans la marge, à s’exiler. C’est l’éternel dilemme, dire ou se taire. La mort de Djeda, Malika et Farroudja, est à la fois une défaite pour Yazid et une victoire, une défaite car leur disparition lui enlève le moyen de savoir, de confirmer ce qu’il soupçonne, et une victoire puisqu’il se décide à affronter sa propre vérité. Il retourne donc à la Rue Darwin, là où a fini son ancienne vie, et où une nouvelle vie a commencée.
Yazid part à la quête de ses origines. Il en sait les lieux géographiques (Ouled Abdi, rue Darwin, Paris) mais butte constamment sur ceux de sa conception et de sa nomination. Se dit-il alors qu’il est vain d’avoir une partie, un territoire sous "X" ?
Tant que l’on n’a pas nommé les choses, on est dans l’inconnu, dans le doute, "sous X" comme vous dites. Nommer n’est pas si facile, parfois, les mots nouveaux nous projettent dans des univers qu’on aurait justement voulu ne pas connaître.
Dans les descriptions consacrées à la rue Darwin où le narrateur arrive en 1957, se profile l’ombre d’Albert Camus: "L’Etranger" s’ouvre sur la mort de la mère de Meursaut qui enclenche une quête de la Vérité de même pour Yazid dans "Rue Darwin". Y voyez-vous un rapport ?
Il y a des rapports avec tout et des résonances partout. Camus habitait Belcourt, au 93 rue de Lyon, à deux pas de la rue Darwin. Sa mère était aphasique. Eux aussi étaient de deux mondes. Toute sa vie Camus était dans la souffrance de ne pas pouvoir échanger avec sa mère. Que se seraient-ils dit, Camus lui-même ne le savait pas. Il était dans le même rap-port complexe avec le pays (comment le nommer d’ailleurs : Algérie, France, Algérie française, Algérie algérienne ?). Il l’aimait tant, mais pourtant il le quitte et n’y revient jamais, sauf un court moment en janvier 56 pour lancer son appel à la trêve civile.
Yazid est-il en quelque sorte L' Etranger dans sa propre famille et dans son pays natal?
Le rapport est évident une fois qu’on le dit. Yazid et Camus sont deux étrangers, non pas seulement à leur famille et leur pays mais à eux-mêmes. Pour être soi-même il faut être dans sa vérité, en paix avec elle. Ce n’était le cas ni pour l’un ni pour l’autre.
L’absurdité de la quête de Yazid tient-elle de la psychanalyse ou de l’Histoire ou des deux ?
La quête est-elle absurde ? Elle est la vie et le chemin. C’est l’histoire qui est absurde, on sait si peu d’elle, pourquoi elle fait ceci et pas cela, pourquoi elle prend cette voie et pas celle-là, nous ne pouvons le savoir. Pourquoi a-t-elle donné cette vie à Yazid, est la question. Il est normal qu’il cherche à savoir, à comprendre. Que peut la psychanalyse ? Rien, sinon ajouter aux mystères de l’histoire les mystères des lectures erronées que l’on en fait.
Symboliquement, Yazid n’est-il pas l’envers de la justification obsessionnelle de l’identité, des origines, du héros et donc de l’idéologie des filiations?
Yazid est un cas particulier. Des êtres ayant une vie aussi compliquée ne sont pas légion. On est dans les affaires exceptionnelles, on ne peut pas de là inférer des conclusions qui concerneraient un peuple. Il se cherche, il cherche une famille et il se découvre de deux mondes antinomiques. Peut-on exister de cette manière, il faut choisir l’un ou l’autre monde, l’une ou l’autre identité. On peut éventuellement comparer la situation de Yazid à celle du binational qui est de deux pays avec des cultures très différentes. Vivre entre deux chaises doit être très pénible, on doit tout le temps entrer en procès avec soi-même pour décider. Il y a des moments où le choix est cornélien, par exemple en matière d’éducation des enfants. C’est là qu’on découvre que les cultures ne s’additionnent pas comme des pièces de monnaie et que les contradictions peuvent mortelles.
L’Algérie est-elle comme Yazid, sortie de la "Grande maison" de Djéda ou est-elle encore celle de "La Grande maison" de Mohamed Dib ?
L’Algérie est une prisonnière, elle vit sous une dictature qui a tout fermé, tout brouillé, pour que personne ne voit rien de ce que le magicien fait là-haut dans sa tour. Il faut la sortir de cette prison, voilà ce qui importe. Après on verra à quoi elle ressemble, qui elle est et d’où elle vient.
Vos personnages, depuis "Le serment des barbares", et surtout dans "Le village de l’Allemand...", se retournent toujours vers leurs origines défaites, brouillées. Pourquoi cette obsession du passé ?
La seule chose que nous connaissons est le passé et encore plutôt mal. Nous ne pouvons rien savoir du futur (qui au demeurant peut être très court), et du présent (qui est très fugitif) nous ne voyons que les contraintes. Le passé occupe en fait tout le temps, il existe depuis l’origine du monde, il conditionne tout. A notre échelle, une petite vie humaine, le passé, le présent et le futur ne font qu’un. Ils sont indissociables. Dans tous mes livres, on va de l’un à l’autre comme on passe d’une pièce à la suivante dans un appartement. Quand nous parlons de l’indépendance de l’Algérie par exemple, c’était hier, nous étions là, et à présent nous en parlons comme si c’était aujourd’hui, alors que, si on regarde bien notre situation, nous sommes toujours colonisés, toujours spoliés de nos biens et de notre histoire ; l’indépendance est à venir, la vraie guerre de libération n’a pas commencée, le Front de libération nationale n’est pas encore créé. Peut-être que cela viendra en 2012, à la fa-veur du printemps arabe.
De toutes les femmes qui peuplent le roman, peut-on dire que c’est Faïza, quelque peu enjouée, moins traumatisée que les autres, qui tend la main à Yazid ?
Faïza est un personnage exceptionnel. Je ne sais pas si dans la réalité elle était comme ça ou si je l’ai inventée ainsi, mais, comme Djeda, elle est au-dessus de l’histoire, de l’identité et du reste. Elle est totalement maîtresse de son destin. L’Histoire aime bien de temps en temps inventer des personnages hors normes. Elle nous les donne pour nous inspirer, nous guider, nous faire traverser des périodes dangereuses. Faïza a sauvé toute une tribu, elle l’a faite passer d’une rive à l’autre, elle l’a sortie de son statut de tribu proxénète pour l’amener dans le monde des gens normaux. C’est miraculeux.
Djéda est une figure littéraire à rebours du personnage classique de l’aïeule tel que représenté dans la littérature algérienne: symbole de sagesse, tisseuse, diseuse de contes, gardienne de la mémoire. Or, Djéda, est une matrone, une mère maquerelle et, à ce titre, témoin gênant des gouvernants de son temps qui ont profité de sa "grande maison" et de sa fortune. Pourquoi ne parle-t-elle pas dans le texte alors qu’elle au coeur de l’énigme algérienne?
Djéda n’est pas une aïeule comme une autre. Elle est super exceptionnelle. Elle est la chef d’une grande tribu, une mère maquerelle qui gouverne un monde bizarre, une tribu qui pour échapper à la misère dans laquelle l’avait plongée la colonisation, a voué sa vie à la prostitution, une sorte de colonisation d’un peuple de femmes désarmées. Une femme pa-reille mérite à elle seule un grand roman, qui dirait la chronique de cette tribu, et toutes les histoires extraordinaires que cette femme d’exception a vécues au cours de sa longue vie. Dans ce roman, elle est observée par un enfant, il ne la voit pas comme la verrait et l’entendrait un adulte. Il la voit comme une grand-mère un peu gentille, un peu ridicule, un peu méchante, que tout le monde respecte et craint. Avec l’âge, Yazid a nourri des sentiments ambigus à son égard où se mêlaient admiration, affection, curiosité, mépris, haine. "Rue darwin" n’est pas le roman de Djéda, il est le roman de Yazid.
Il y a très peu de dialogues et le récit est entrecoupé de commentaires, d’impressions, d’analyses, de critiques sociales et politiques plus fournis, nous semble-t-il, que dans vos précédents romans...
Je crois que je suis plus un conteur qu’un romancier. Le romancier installe ses personna-ges dans la scène et les laisse vivre leur histoire devant le public. Dans cette configuration, le public est passif, il regarde, il écoute les personnages dialoguer, il aime ou n’aime pas ce qu’on lui présente. Le conteur se met lui-même sur la scène et parle au public. Celui-ci doit imaginer et pour l’aider le conteur fait plein de digressions, de commentaires, de descriptions (ce qui lui permet aussi de passer son propre message et de tenir le public en ha-leine).
Ce roman est plus proche de "Harraga" par ses personnages féminins. La petite fugueuse que recueille Chérifa dans sa solitude pourrait être l’arrière petite-fille de Djéda ?
Il y a en effet une grande similitude entre "Rue Darwin" et "Harraga". Je crois que les femmes sont des êtres naturellement romanesques. Elles donnent toujours beaucoup de force aux romans, même si dans l’histoire elles tiennent des rôles secondaires et agissent peu. Les hommes le sont beaucoup moins, il faut qu’ils soient plongés dans des situations exceptionnelles pour paraître romanesques. En tout cas, moi j’ai toujours du mal à faire ressortir le côté romanesque de mes personnages masculins alors que la chose vient naturellement pour les personnages féminins. Regardez comme Chérifa de Harraga et Faïza de Rue Darwin dégage une grande force romanesque, c’est tout naturel chez elles.
De tous vos romans, celui qui a soulevé le plus de polémiques malsaines en Algérie est "Le village de l’Allemand". A votre avis, pourquoi ?
Ce ne sont pas les romans ou les auteurs qui font les polémiques, les écrivains veulent que leurs livres soient lus et discutés, pas jetés au feu et se voir eux menacés. Ce sont les lecteurs, le public, la société qui font la polémique et souvent pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ces livres et ces auteurs. Les Algériens ont vécu des moments difficiles, ils sont en colère, ils sont angoissés, ils ont les nerfs à fleur de peau, ils sont pris dans un sys-tème sclérosé qui a sclérosé les pensées de beaucoup de gens. Dans une société apaisée et ouverte, "Le village de l’Allemand" serait passé inaperçu, en tout cas il n’aurait pas soulevé la tempête qu’il a soulevée en Algérie. Regardez, ce roman qui met les Allemands devant leur terrible passé nazi a été très bien reçu en Allemagne, Il a été lu, discuté, critiqué éventuellement, tout ça calmement. Il a été reçu de la même manière en France alors que le livre contient une critique forte du gouvernement français que j’accuse d’avoir abandonné ses banlieues et leurs habitants au pourrissement. En Algérie, ce fut un torrent d’insultes et de menaces alors que le livre n’a le plus souvent pas été lu pour ceux qui le critiquaient avec rage. Mais avant le Village de l’Allemand, il ya eu de grandes polémiques autour de "Poste restante Alger "et avant cela, autour de mon premier roman "Le serment des barbares" . Cela dit, l’esprit de polémique a touché d’autres auteurs, notamment, Anouar Benmalek, Salim Bachi, Yasmina Khadra, Malika Mokaddem, etc. Mais bon, avec le temps et la démocratie, ces comportements sont appelés à disparaître. Imaginez ce qui se passerait si dans un pays comme la France qui publie chaque année, à la rentrée de septembre seulement, plus de 800 romans, on faisait autant de polémiques que chez nous où au mieux nous avons à chaque rentrée au plus une dizaine de livres à lire. Il y a à peine 20 ans, on vous lynchait si vous critiquiez le socialisme ou la révolution agraire, aujourd’hui vous pouvez en dire ce que vous voulez, personne ne vous écoutera. Nous sommes encore dans l’enfance, ceci explique cela.
Pourtant la relation qu’établit l’un des fils de l’ex-bourreau nazi mais héros algérien de la guerre de libération, à savoir le lien entre l’islamisme et le nazisme, est d’une acuité pertinente…
La leçon qu’on est tenté de tirer est qu’il ne faut dire à la société que ce qu’elle veut ou peut entendre. Mais en faisant cela, l’écrivain, l’intellectuel se trahit, il se comporte en populiste, en supplétif des pouvoirs dominants. Les gens doivent le savoir, dans toutes les révolutions il y a un côté blanc et un côté noir. S’il n’y avait que du blanc dans la révolu-tion algérienne, la révolution du 1er novembre 54 comme dit le pouvoir, comme si le peuple n’avait jamais rien revendiqué avant 54, rien entrepris avant le FLN, on se demande pourquoi l’Algérie est si malade depuis le premier jour de l’indépendance. Comment et pourquoi serions-nous passés, du jour au lendemain, de l’héroïsme et l’abnégation les plus purs, à ces sentiments abominables qui nourrissent la dictature, le régionalisme, le népotisme, l’incivisme, l’inculture, et j’en passe. Moi j’ai découvert l’histoire de cet allemand mais si on cherche, et on le fera un jour, lorsque la démocratie sera installée, on découvrira de drôles de choses. Il y a la grande histoire, bien sûr, un peuple qui a combattu pour sa liberté, histoire qu’il faut laisser aux soins des historiens, mais il y a aussi les histoires des hommes, pas toujours héroïques et propres, qui elles intéressent plutôt les écrivains. Au-jourd’hui, la société algérienne n’est pas prête à les entendre, les propagandes ont creusé des sillons profonds dans nos cerveaux, il faut du temps et des soins pour qu’ils se résorbent. A leur petite échelle, nos livres y contribuent.
Entretien réalisé par Rachid Mokhtari
Par Free Algérie | 05/01/2012
In : http://www.freealgerie.com


Liberté samedi 15 octobre 2011
Conférence intitulée "qu'est-ce que la littérature algérienne francophone aux Etats-Unis" “Un décalage entre le champ éditorial et le champ universitaire”
Par : Sara Kharfi
 Si les théories littéraires ont évolué depuis des décennies, c’est toujours par le prisme idéologique que la littérature algérienne parvient aux lecteurs américains.
Le Centre d’études diocésain Les Glycines a abrité, avant-hier soir, dans l’enceinte de sa bibliothèque, une conférence portant sur la littérature algérienne aux États-Unis d’Amérique, animée par Alexandra Gueydan-Turek, professeur assistante d’études francophones à Swarthmore College où elle enseigne la littérature maghrébine et la littérature migrante d’expression française.
La conférencière s’est appuyée sur deux axes de réflexion pour décortiquer l’intitulé de sa conférence : les jeux et les enjeux éditoriaux, et le travail de l’université dans l’enseignement de la littérature maghrébine aux États-Unis qui est aux antipodes de la première institution.
Le premier axe auquel Mme Gueydan-Turek a consacré la grande partie de sa communication, dissèque les dispositifs mis en place par les éditeurs américains -qu’elle considère comme étant des “dispositifs de filtrage”, s’appuyant surtout sur des considérations économiques. L’universitaire s’est intéressée à l’étude des paratextes et des messages scripto-visuels, c'est-à-dire tout ce qui entoure une œuvre littéraire (première de couverture, quatrième de couverture, préface, postface, avertissement de l’éditeur etc.). Pour étayer son postulat, elle a constitué un corpus composé de plusieurs textes algériens traduits aux États Unis, et précisément Nedjma de Kateb Yacine, l’Interdite de Malika Mokeddem, et le Village de l’Allemand de Boualem Sansal. Cette littérature parvient aux Américains par le biais de la traduction, ce qui ne la favorise pas vraiment et l’avantage pas réellement. Car vidée de sa substance et de son esthétique, cette littérature ne peut être appréhendée que par le prisme de l’idéologie. Et ce n’est pas les exemples qui manquent ! Sorti en 1956 avec un avertissement de l’éditeur (cet avertissement a été abandonné dans les années 1980 pour l’édition française), le roman Nedjma a été traduit et édité aux USA en 1961, avec le même avertissement de l’éditeur  français qui signalait : “Les procédés narratifs dans Nedjma sont parfois déconcertants pour le lecteur européen. […] Le rythme et la construction du récit, s’ils doivent quelque chose à certaines expériences romanesques occidentales, -ce que nous ne contestons pas ici- résultent surtout d’une attitude purement arabe de l’homme face au temps. La pensée européenne se meut dans une durée linéaire ; la pensée arabe évolue dans une durée circulaire ou [sic] chaque détour est un retour… Cette confusion des temps…correspond à un trait si constant du caractère, à une orientation si naturelle de la pensée que la grammaire arabe, elle-même, en est marquée […] À propos de Nedjma, on nommera sans doute Faulkner. Quant à nous, nous croyons qu’il faut chercher ailleurs l’explication des singularités du roman que voici”.
Idéologie et exotisme
En 2001, Nedjma a été réédité, en 2001, aux éditions de l’Université de Virginie, avec le même avertissement. Si dans le contexte des années 1950/1960, cet avertissement posait les jalons d’une littérature algérienne qui, bien que produite en langue française, se distinguait de la littérature française avec ses spécificités propres, dans le contexte de 2011, cet avertissement est largement réducteur. La conférencière s’est également intéressé au roman, l’Interdite de Malika Mokeddem, dont l’édition américaine The Forbidden Woman présente dans sa couverture des femmes voilés intégralement, alors que la première de couverture française (édition Livre de Poche) présente une femme de profil au cou dénudé et aux cheveux attachés.
La couverture américaine dénature totalement le propos même du roman, mais si on s’appuie sur des considérations commerciales, cette couverture attirerait davantage le lecteur américain. Car dans l’imaginaire américain, “il faut constamment s’interroger sur la violence”.
Alexandra Gueydan-Turek s’est aussi intéressée au cas du roman le Village de l’Allemand de Boualem Sansal, dont le titre américain est The German Mujahid (la mémoire de la “Shoah” étant largement présente aux États Unis, et Mujahid apporte un brin d’exotisme). Malgré les amalgames et les comparaisons improbables de la conférencière qui a, trouvé des associations là où il n’y en avait pas, notamment entre la littérature beure et la littérature algérienne, les exemples d’Alexandra Gueydan-Turek ont permis de découvrir que la littérature algérienne aux États-Unis n’a pas le meilleur rôle et qu’elle ne peut pas se suffire à elle-même. L’idéologie est fortement présente, et l’exotisme réduit l’écriture algérienne à une sorte de sous-littérature, ou une littérature “connexe”, sans esthétique particulière.
Dans la deuxième partie de sa conférence, l’universitaire a expliqué qu’il y avait “un décalage entre le champ éditorial et le champ universitaire”, et que les spécialistes du domaine tentent de donner une autre image de la littérature algérienne.
Sara Kharfi
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La Tribune samedi 15 octobre 2011
Synthèse par Sihem Ammour
Dans sa conférence intitulée «Qu’est-ce que la littérature algérienne francophone aux Etats-Unis ?», animée, jeudi dernier au Centre d’études diocésain d’Alger, la professeur de littérature maghrébine et littérature migrante d’expression française au Swarthmore College, Alexandra Gueydan-Turek, a jeté un véritable pavé dans la mare à propos de l’attitude des éditeurs américain vis-à-vis de la littérature algérienne. D’emblée, elle mettra en exergue le fait que le choix des œuvres de littérature algérienne d’expression française se fasse à travers un filtrage des maisons d’édition pour des considérations commerciales. Elle estimera, à ce sujet, que «le choix de traduire un auteur algérien d’expression française parmi tant d’autres, ou celui d’un titre précis sélectionné de sa bibliographie, est étroitement lié à des considérations commerciales ; la majorité des romans traduits aux Etats-Unis sont ceux qui abordent des thèmes en rapport Avec le terrorisme, l’islamisme et tout ce qui a trait à la politique», rapporte l’APS. L’intention qui est derrière ce choix de livres est, selon Gueydan-Turek, «la création d’une polémique sur tout ce qui provient de l’Algérie», sans apporter davantage de précisions. Alexandra Gueydan-Turek, déplorera également, la faible présence de la littérature algérienne sur le marché international de la traduction, mettant en exergue le fait que les éditeurs américain exercent  un contrôle visible pour la sélection des œuvres à traduire. Gueydan-Turek a cité des exemples d’auteurs algériens traduits aux Etats-Unis, notamment Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Rachid Mimouni, Assia Djebar, Malika Mokeddem, Tahar Djaout, Boualem Sensal et Yasmina Khadra.
En outre, elle a soulevé la problématique que pose la plupart des couvertures des livres traduits, souvent illustrés d’images pas forcément fidèles aux textes, et qui réduisent l’Afrique du Nord, aux yeux des étudiants américains, à des images exotiques.
Elle a précisé que la première perception qui se fait chez les lecteurs, étudiants notamment, à travers les couvertures, les préfaces ou encore les avertissements contenus dans ces livres, était modifiée après la lecture de l’intégralité du roman. L’autre problème qui se pose est celui des préfaces qui, malheureusement, sont souvent faites par des historiens et non des hommes de Lettres ou des universitaires spécialisés dans la littérature. Afin d’atténuer les effets pervers des choix commerciaux qui malmènent la profondeur de la littérature algérienne, dans les cours universitaire, des discussions critiques sur la forme littéraire des écrits, les contextes historique et culturel sont aussi enseignés aux étudiants,  recadrant ainsi les éditions, dont la présentation donne «une idée complètement faussée de la littérature algérienne». 
S. A
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APS
(APS) vendredi 14 octobre 2011
La traduction des romans algériens d’expression française peine à trouver une place aux Etats-Unis (universitaire)
ALGER - La traduction des oeuvres littéraires d’auteurs algériens d’expression française qui demeure "rare" aux Etats-Unis, se fait selon des dispositifs de "filtrage" mis par les maisons d’édition pour des considérations commerciales, a estimé jeudi à Alger, Alexandra Gueydan-Turek, professeur de lettres au "Swarthmore College".
S’exprimant lors d’une conférence au Centre d’études Diocésain sur le thème "Qu’est-ce que la littérature algérienne francophone aux Etats-Unis ?", cette enseignante de littérature maghrébine et littérature migrante d’expression française, a précisé que le choix des oeuvres à traduire se faisait selon un "contrôle visible" de la part des éditeurs.
Pour elle, le choix de traduire un auteur algérien d’expression française parmi tant d’autres, ou celui d’un titre précis sélectionné de sa bibliographie, était étroitement lié à des considérations commerciales, expliquant que la majorité des romans traduits aux Etats-Unis sont ceux qui abordent des thèmes en rapport avec le terrorisme, l’islamisme et tout ce qui a trait à la politique.
L’intention qui est derrière ce choix de livres est, selon Gueydan-Turek, "la création d’une polémique sur tout ce qui provenait de l’Algérie", sans apporter davantage de précisions.
Par ailleurs, elle a affiché une sorte de réticence envers les couvertures des livres traduits, souvent illustrés d’images, pas forcément fidèles aux textes, et qui réduisaient l’Afrique du Nord aux yeux des étudiants américains en images d’exotisme.
A cet égard, l’oratrice a fait savoir que la première perception qui se fait chez les lecteurs, étudiants notamment, à travers les couvertures, les préfaces ou encore les avertissements, contenus dans ces livres, est modifiée après la lecture de l’intégralité du roman. Elle a aussi déploré le fait que les préfaces sont faites par des historiens et non des hommes de lettres ou des universitaires spécialisés dans la littérature.
Outre les discussions critiques sur la forme littéraire des écrits, les contextes historique et culturel sont aussi enseignés aux étudiants afin de recadrer les éditions, dont la présentation donne, selon elle, une idée "complètement faussée" de la littérature algérienne.
Gueydan-Turek qui a cité des exemples d’auteurs algériens traduits aux Etats-Unis, notamment Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Rachid Mimouni, Assia Djebar, Malika Mokeddem, Tahar Djaout, Boualem Sensal et Yasmina Khadra, a toutefois déploré la "faible" présence de la littérature algérienne sur le marché international de la traduction.
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Alexandra GUEYDAN-TUREK, est diplômée de l’université de Yale et professeur assistante d’études francophones à Swarthmore College (États-Unis) où elle enseigne la littérature maghrébine et la littérature migrante d’expression française. Elle travaille plus spécifiquement sur la mobilité des textes maghrébins et les stratégies déployées par leurs auteurs à cet effet. Elle est l’auteur de nombreux articles sur la question, dont « Border-crossing and zones of negotiations in Mouloud Mammeri’s La Traversée », in SITES, 2009, « Homeland beyond homelands: Reinventing Algeria through a transnational literary community in Assia Djebar’s Le Blanc de l’Algérie », Cincinnati Romance Review, 2010, et « Visions of Odalisques: Orientalism and Conspicuous Consumption in Leila Sebbar », in Research in African Literature, 2011. Son projet actuel porte sur l’étude comparée de la circulation des textes algériens d’expression française au sein des marchés éditoriaux maghrébin, français et américain._______________

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