J. C. Juncker : On ne peut pas «faire le bonheur des Grecs malgré eux», 3 novembre 2011
Si M. Friedman, gourou de l’ultra libéralisme, pouvait encore prodiguer ses conseils, il n’aurait pas proposé autre chose que le remède qui est administré à la Grèce. Une cure d’austérité, une supplémentaire. Avec comme horizon, la mise en coupe réglée des biens publics, le sabrage des prestations sociales accompagné d’une paupérisation de masse. Avec de surcroit une pression consistant à mettre sous l’éteignoir toute velléité démocratique. L’Europe est devenue le prototype du risque 0 dans l’entreprise de libéralisation de l’économie. Rien ne doit contrecarrer cette marche inéluctable. Et si fugacement, le referendum agité par G. Papandreou a déstabilisé le bel édifice propagandiste, on a surtout constaté une rémanence des réflexes de 2005. Même ostracisme, même comportement de meute, même ton péremptoire sur ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas.
Christopher Dombres
Le recours au populisme est un artifice connu. Les think-tanks néo-libéraux se prévalent de le combattre en caricaturant le mal comme une hystérie gaucho-nationaliste. Les revirements récents du Front National sur les thématiques sociales donnent du grain à moudre aux tenants de la mondialisation libérale. Puisque l’extrême droite s’oppose à la mondialisation, exhalant des relents nationalistes, cela prouve évidemment que le bonheur global se niche dans les bienfaits du libre-échange. Or l’un des arguments connexes à la pédagogie du marché aujourd’hui en Europe, c’est le dénigrement des grecs comme entité, groupe, humains. La forte propension que ces Méditerranéens développent à contourner le fisc par exemple. Ou à se laisser vivre tel des cigales à contrario des vertueux Allemands.
Le populisme consiste à dresser les groupes d’humains entre eux. En l’occurrence, établir des modèles purs (les allemands) qu’il faut rejoindre, et des antimodèles impurs (les grecs). Que ce type de raisonnement clivant ne choque plus grand monde. Qu’il puisse être propagé par les experts ou éditocrates en dit long sur l’intégration de la rhétorique populiste. Une rhétorique dont les propagandistes européens se servent pour stigmatiser un pays, ses habitants. Il parait naturel aujourd’hui, une fois le train de la pensée unique passé, ayant tout renversé sur son passage qu’on puisse assener que la vertu budgétaire demeure l’alpha et l’oméga de toute pensée politique. Que le modèle déflationniste allemand basé sur leur phobie de la crise des années 20 puisse devenir le standard universel. De l’Estonie à Chypre.
Il existe dans tous les pays de l’union un bataillon de journalistes bien informés, qui traite la thématique européenne en community manager. Distiller la bonne information comme un rouage du système. On peut parier qu’un eurosceptique serait nettement moins tuyauté pour devenir comme le prétend N. Demorand, le meilleur journaliste français sur l’Europe. Le rédacteur en chef du quotidien de gauche omet d’évoquer les points de vues et les affinités de son champion. Mais surtout sa frénésie partisane ; on ne se lasse pas de ses saillies péremptoires contre A. Montebourg ou J. L. Melenchon. Petit détail piquant, ces titulaires bénéficiant d’un abattement fiscal de plus de 7 000 euros annuels opérant dans un média largement déficitaire et subventionné, font l’apologie de la rigueur budgétaire. Des autres.
Et pas que des Grecs. Car cette pédagogie a aussi des effets internes. Le supplice des Grecs, les coup de sangs anti dettes de J. M. Aphatie (et bien d’autres) qui claironnent sur les antennes et la conversion au monétarisme friedmanien de la presse permettent aux gouvernements de droite et aux prétendants de gauche de se lancer dans une course effrénée à la rigueur. Tout conspire à l’édification d’une seule (et unique) politique issue des croyances néo-libérales. Des recettes qui échouent (pour une majorité de citoyens) depuis plus de 30 ans. Et dont on stérilise la moindre inflexion, comme dans l’éventualité d’un referendum. Où les Grecs auraient pu décider de la manière dont ils seraient saignés. La pression du G20 et des agences de notation ont eu raison de cette misérable tentative. L’immense J. Quatremer n’y a vu seulement qu’un coup de poker d’un politicard en fin de course. Et un juste retour à la normalité après l’abandon du projet.
De toute évidence. L’Europe souffre de déficits budgétaires, mais bien plus grave, elle est gangrénée par un déficit démocratique. Lourd.
Vogelsong – 7 novembre 2011 – Paris