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L'ordonnance, un ordre?

Publié le 08 novembre 2011 par Jean-Didier
"L'ordonnance, c'est un ordre!" Ces mots ont claqué à quelques mètres de moi. C'est un confrère qui vient de les prononcer.
L'ordonnance, un ordre? Oui, celui d'un prescripteur à moi, dispensateur. Le mot ordonnance vient du latin ordinare: mettre en ordre, ranger, donner un ordre. Prescription, lui-même, dans son étymologie (praescriptio) contient cette notion d'ordre formel.
L'ordonnance étant un ordre, à qui s'adresse-t-il?
A moi, de toute évidence. Mon métier consiste à mettre à votre disposition les médicaments. Je suis dans l'obligation de vous délivrer les médicaments prescrits dans la limite de leur non-dangerosité. Je ne peux donc pas vous donner un médicament figurant sur les listes des substances vénéneuses (j'aime ce nom) sans ordonnance. Alors oui, cette dernière s'apparente bien à un ordre.
Et pourtant, je pourrais vous ressortir les études ENEIS 1 et 2, Polychrome ou encore EVISA (1-4) qui montrent l’importance de l’iatrogénèse médicamenteuse en ville et l’impérieuse nécessité de s’attaquer à ce fléau pour notre système de soins. Je pourrais vous ressortir la review Cochrane sur l’impact de l’implication du pharmacien de ville dans la prévention de cette iatrogénèse. Mais tout çà, je l’ai déjà fait précédemment. Et pis, des bruits de couloirs disent que je ne suis pas innovant, que le travail en collaboration en ville se fait déjà.
Alors je vais vous parler de l’ordonnance. De ce qu’est, pour moi, une ordonnance. C’est un mille-feuille. Un mille-feuille auquel on rajoute une couche de crème à chaque nouveau symptôme. Oui, j’avoue, je caricature. Quoique. Je passerais sous silence la corrélation linéaire entre le nombre de médicaments prescrits et le nombre d’interactions médicamenteuses ainsi que le fait que 7% des prescriptions des médecins généralistes contiennent des interactions ou des contre-indications potentiellement graves (4, 5). L’ordonnance est donc un mille-feuille ; quand je la lis, les lignes bougent. Oui, les noms des médicaments, de certains, sont en surbrillance. Ils se promènent même sur l’ordonnance, s’accolent à d’autres. Suis-je fou ? Non. Mon cerveau travaille. Il va puiser dans mes quelques connaissances encore utiles, dans mes lectures. Certains médicaments, par eux-mêmes, se font petits, tout petits, pour ne pas que je les vois. D’autres m’interpellent. C’est tout çà qui se passe lorsque vous me tendez (tendiez) une ordonnance. Je la vois danser ; je en suis en capacité de lui ouvrir le cœur et pourquoi pas, de l’aider à mieux battre.
L’ordonnance ne m’est pas un ordre.
L’ordonnance est un objet de savoirs partagés entre le médecin et le pharmacien.
L'ordonnance étant un ordre, à qui s'adresse-t-il?
A vous bien évident. Vous, pauvres ignorants malades. Vous, obéissants patients. Vous, qui ne ressentez rien, qui n’avez pas de vécu avec vos médicaments.
Alors oui, on pourrait encore vivre sur le mythe de la confiance absolue du patient envers le médecin, fondée sur son savoir-guérisseur. Ce serait faire fi des travaux de sociologie sur l’observance et en éducation thérapeutique (6-10). C’est nier le patient comme individu. Ne pas le reconnaître comme égal. Car oui, le patient nous est égal, à nous, professionnels de santé. Il vit avec la maladie. Il vit avec les médicaments. Il vit la maladie. Il vit les médicaments. Expérience, représentations, culture, a priori, croyances sont autant de connaissances ou sources de connaissances sur le médicament qui s’expriment lors de la prise (ou non) du médicament.
L’ordonnance ne vous est pas un ordre.
L’ordonnance est un objet de savoirs partagés entre vous et nous.
L’ordonnance n’est pas un ordre. C’est une construction à laquelle malades, médecins, pharmaciens, psychologues, infirmières, assistantes sociales, aides-soignantes participent.
1. Michel P, Quenon J. Colloque ENEIS 2010. Paris: Ministère de la Santé; 2010.
2. Michel P, Quenon J, Djihoud A, Bru Sonnet R. Leçons pour la gestion des risques liés aux soins extra-hospitaliers - Synthèse des analyses approfondies. Bordeaux: CCECQA; 2009.
3. Michel P, Quenon J, Djihoud A, Tricaud-Vialle S, de Sarasqueta A, Domecq S. Les évènements indésirables graves liés aux soins observés dans les établissements de santé: premiers résultats d'une étude nationale. Etudes et Résultats. 2005(398).
4. Clerc P. Etude Polychrome - Rapport final INSERM: INSERM; 2009.
5. Astrand B, Astrand E, Antonov K, Petersson G. Detection of potential drug interactions - a model for a national pharmacy register. European journal of clinical pharmacology. [Research Support, Non-U.S. Gov't]. 2006 Sep;62(9):749-56.
6. Pradier C, Bentz L, Spire B, Tourette-Turgis C, Morin M, Souville M, et al. Efficacy of an educational and counseling intervention on adherence to highly active antiretroviral therapy: French prospective controlled study. HIV clinical trials. [Clinical Trial
Randomized Controlled Trial
Research Support, Non-U.S. Gov't]. 2003 Mar-Apr;4(2):121-31.
7. Tarquinio C, Fischer GN, Barracho C. Le patient face aux traitements: compliance et relation médecin-patient. In: Fischer GN, editor. Traité de psychologie de la santé. Paris: Dunod; 2002. p. 227-43.
8. Tourette-Turgis C, Isnard Bagnis C, Pereira-Paulo L. L’éducation thérapeutique dans la maladie rénale chronique, le soignant pédagogue. Paris: Comment Dire; 2009.
9. Tourette-Turgis C, Rebillon M. Infection par le VIH : Accompagnement et suivi des personnes sous traitement antirétroviral. Paris: Comment Dire; 2001.
10. Tourette-Turgis C, Rebillon M. Mettre en place une consultation d'observance aux traitement contre le VIH/sida - De la théorie à la pratique. Paris: Comment Dire; 2002.


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