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Autour d'un thème : Etre, N'Etre, Naître - Délivrance (4ème partie)

Par Sandy458

 

L’escalier craqua, la Mère s’éloignait avec son fardeau, emportant le mystère de la vie et de la mort, ce qui doit être et de ce qui ne le doit pas, ce qui dérange enfin et ce qui doit disparaître.

Un soupir s’échappa de la couche où la parturiente s’agita brièvement avant de replonger dans l’inconscience.

La chair faisait ses adieux à la chair.

S’arrachant au silence pesant de la maisonnée, La Mère se coula discrètement dans la nuit, se fondant dans l’anonymat de l’obscurité, là où les chats eux-mêmes se méfient des ombres et des ruelles luisantes aux mille embuches.

Un paquet de linge soigneusement replié encombrait ses bras.

«  … laissez la mort aux loups… »

Des frissons parcouraient ses membres.

Une ombre s’anima dans l’encoignure d’une porte, s’en détacha et se campa fermement devant elle lui bloquant le passage.

«  Qu’en est-il ? »

La forme humaine était immense, stature de géant, voix surgie des abimes.

Levant les yeux pour mieux discerner celui qui l’interpellait, La Mère sentit une goutte de sueur glacée coulée entre ses deux omoplates. La sensation était d’autant plus désagréable que le froid mordait plus férocement qu’une gueule de loup affamé.

-   C’est fait, mon bon Seigneur. L’enfant est né mais il n’a pas survécu. Je n’ai pas eu à intervenir. C’était un garçon, la mère s’en remettra et…

-   Il suffit. J’ai entendu ce que je désirais, je n’ai pas besoin de vos babillages. En parlant de cela, avez-vous bien respecté le secret des événements ? Personne ne doit avoir connaissance de ce qui s’est déroulé cette nuit entre ces murs. Celles qui parleront seront châtiées.

-   Oui, mon bon Seigneur, j’ai gardé le plus grand secret. Louison en fera de même, je m’en porte garante. Quant à la jeune servante, elle repartira bien tôt dans sa campagne familiale. Qui croirait une oiselle aussi mal dégrossie ? »

La silhouette leva une main impatiente pour intimer le silence.

« Bien. Tout ceci n’est jamais advenu. Aucun enfant n’est né cette nuit. »

La main désigna le paquet serré contre la femme d’un geste impérieux.

 « Ceci doit disparaître. »

La Mère opina du chef, les yeux posés sur son ballot de linge funeste.

Une brise glaciale passa sur son visage, la silhouette s’éloignait dans la nuit, forme obscure  et formidable qui se découpait dans la neige vierge. Elle disparut au détour d’une ruelle laissant La Gaillarde figée, transie de froid et de saisissement.

 

 

«  … laissez la mort aux loups… »

Il ne subsistait plus que de larges empreintes dans la neige pour témoigner de la nature humaine et tangible  de l’ombre qui s’était tenue devant la matrone.

Oui, un homme, non pas un spectre, mais un homme dont le cœur froid et détaché lui avait glacé les entrailles plus sûrement que si elle avait conversé avec un revenant. 

Un léger souffle gonfla le paquet de linge, un souffle délicat mais qui allait en   gagnant en puissance et en détermination. Un souffle qui revenait de très loin puisque quasi imperceptible, il avait manqué de sceller le devenir de l’enveloppe qui l’abritait.

Interdite, La Mère se demanda un  instant par quel prodige le miracle de la vie avait finalement remporté la victoire sur les griffes de la mort.

La Passeuse de Vie avait fait son office, à son insu. Elle avait tutoyé la vie et avait repoussé la mort. Cette fois encore, cette dernière repartait bredouille, sans dépouille et sans âme pour nourrir les créatures hurlantes qui grattaient les portes des foyers où se déroulaient les enfantements.

Aussi, les loups s’en trouveraient fort marris, leurs mâchoires claqueraient sur le néant, leurs panses resteraient vides.

« Tu vivras, bâtard de France. Tu vivras, je t’en fais le serment. » murmura La Gaillarde en posant une main légère sur les linges d’où émanait une chaleur bienfaisante.

Ce n’était que folie, elle bafouait sa parole. Perdait-elle la raison ?

Elle pourrait le payer fort cher, au péril de son existence même, si cela se savait.

Mais, devant ce souffle inespéré qui gonflait les langes, elle avait choisi la vie et  la vie avait choisi son chemin.

Follement mais fermement.

A suivre …?


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