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Echappée belle

Par Deathpoe

A peine dix heures du matin et l'envie de boire devient de plus en plus forte. Simplement, sentir en rêvant la gorgée de vodka qui glisse le long de la gorge après avoir brûlé l'intérieur des joues. Une bonne rasade qui monte droit au cerveau, et sans un battement de cil, sans un tressaillement de dégoût.
A la bibliothèque universitaire depuis maintenant deux heures, je fais tout pour ne pas me laisser emporter par mes impulsions. De la même manière que je sais qu'il ne faut pas que je boive ne serait-ce qu'une goutte sous peine de ne pouvoir m'arrêter avant l'ivresse totale, je feins de ne pas jeter un oeil à cette fille en robe, assise deux places à ma gauche. Même, je suis plus concentré sur sa conversation que sur ma lecture, et cela devrait me permettre d'oublier toute idée de l'aborder, qui ne me paraît plus aussi impossible qu'auparavant depuis que je suis vendeur.
Ecrire m'apparaît comme tout aussi vital à cet instant. Je n'écris à cet instant rien de ce que je souhaiterais écrire, rien de fondamental, de bouleversant, rien qui ne transmette quoi que ce soit à quiconque. Simplement, balancer chaque idée, sans en faire le lien, et faire en sorte, dans l'absolu, que la pensée se traduise presque instantanément en écrit, me fait oublier en partie la volonté de puissance, parfois infantile et fière, que me procurent le sexe et la boisson.
Le sexe est puissance, contrôle de soi et de l'autre. De la sorte, il me serait incapable d'agir en homme en baisant n'importe qui. Je n'ai même aucun souvenir quant à l'idée que je me faisais du sexe auparavant. Je crois qu'il y avait déjà cette mystification, cette fulgurance que j'ai toujours recherchée dans les émotions, la littérature, dans les décisions instantanées qui rendent un acte totalement irréfléchi mais pour autant non dénué de subtilité. Si le corps qui me fait face n'est pas habité d'émotions intransigeantes, pures et brutales, ce pourrait être le plus beau cul que j'aie jamais vu, caressé, la langue la plus douce sur mes lèvres que je préfèrerai être indifférent, ne pas me donner la peine de l'effort vain, puisqu'il ne bouleverserait pas.
Cette considération, compte tenu de mes tendances aux excès, me rassure au moins quant à la possibilité de ne pas être seulement impulsions et inconscience. Je n'ai peut-être pas pleinement conscience d'être une réalité, mettons à peine une entité presque imperceptible, aux yeux des autres et surtout aux miens, mais j'acquiert au moins peu à peu la certitude de ne pas être un animal.
En jetant ces lignes et, surtout, en sachant qu'elles allaient être probablement lues, au moins par une dizaine de personnes, j'en ai oublié, d'une manière simple et pratique, toute envie de boire et de faire s'évaporer mon esprit et ma douleur. j'avale mon Dicodin du jour sans eau. Maintenant, je préfère de loin un café-clope.


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