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Le corps américain

Publié le 11 novembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Aux États-Unis, le corps physique s’exhibe. On y célèbre la religion du corps exalté, en tension constante avec l’âme.

Par Guy Sorman, depuis New York, États-Unis

Le corps américain

Herman Cain, candidat aux primaires républicaines

Deux héros américains tombent cette semaine de leur piédestal, l’un et l’autre accusés de harcèlement sexuel. Joe Paterno, 84 ans, l’entraîneur de l’équipe universitaire de football la plus populaire des États-Unis, Penn State, doit démissionner pour avoir couvert les agissements coupables de l’un de ses subordonnés, dans les vestiaires, à la mi-temps, envers des joueurs mineurs. Herman Cain, entrepreneur, pasteur évangélique, afro-américain, conservateur, actuel leader improbable des candidats Républicains aux élections présidentielles, se retrouve soudain accusé de harcèlement sexuel (verbal, semble-t-il, par des femmes anonymes ou pas totalement crédibles). Malgré les dénégations absolues de Cain, le soupçon alimenté par les médias de gauche pourrait faire dérailler sa campagne.

Par-delà ces deux personnages symboliques, football et politique, il n’est pas de journal télévisé américain qui n’ouvre sur une affaire sexuelle, des informations scandées par des publicités qui garantissent l’érection à tout âge ou au moins une vitalité sans limite. La majorité des annonces commerciales, aux heures de grande écoute, vantent des médicaments qui nient le vieillissement et ressemblent à des potions d’immortalité. La plupart des reality-shows télévisés sont également en relation avec le sexe, le corps, la rencontre, la quête du partenaire sur des critères avant tout physiques, accessoirement financiers.

De l’industrie pharmaceutique américaine, on aurait attendu quelque remède contre le cancer, mais c’est le Viagra et ses succédanés que l’Amérique lègue au monde. Et quand on demande aux Américains – du moins dans les reality-shows – ce qu’est leur distraction favorite, la réponse inéluctable est le sport. Ce qui laisse perplexe compte tenu du nombre d’obèses, l’obésité étant devenue une sorte d’épidémie nationale. Mais ces contradictions sont surmontées dans des publicités, où l’on voit le consommateur de substances évidemment indigestes absorber, l’une après l’autre, la sauce pimentée qui lui corrode l’estomac, suivie de la médecine qui éteindra le feu : l’important est de ne rien refuser à son corps.

Aux États-Unis, le corps s’exhibe : la mode y porte, le goût de la vie en plein air, l’exaltation de la nature. Lors de mon premier séjour aux États-Unis, en 1962, j’avais découvert, stupéfait, que les toilettes dans les établissements publics n’avaient pas de porte ou quand elles existaient, elles ne fermaient pas. Depuis lors, les toilettes ont des portes, mais si étroites qu’elles ne cachent pas l’intimité.

De cette exaltation du corps, j’ai souvent conclu que l’Amérique était païenne : les rituels religieux le confirment. Toute cérémonie religieuse, quel que soit le culte, gravite autour de l’enthousiasme de la communauté qui chante, trépigne et crie son amour pour Dieu et de soi-même. Les religions aux États-Unis, sous des dénominations variées, constituent une seule religion américaine, où le corps paraît plus essentiel que l’âme. Ou plus exactement, le corps exalté est en tension constante avec l’âme : ce qui enferme les Américains dans une relation bipolaire avec Dieu. On pèche et on se repent : on boit, on est infidèle et on rencontre Jésus Christ ou Bouddha ou Yahweh. La moitié des Américains se déclarent « born again » : ils ont péché, puis ont personnellement rencontré la divinité qui les remet sur le droit chemin. Le puritanisme pactise avec le paganisme. Bill Clinton, en son temps, trompait sa femme, sous l’impulsion du Diable assurément, puis il se précipitait chez un pasteur évangélique qui lui redressait l’âme comme un ostéopathe vous remet d’aplomb.

Le bénéfice de cette religion américaine est qu’elle procure le Paradis ici-bas, avec quelques pilules si nécessaire et le Paradis au-delà puisque la confession publique ou privée est un Viagra de l’âme. Pour en revenir à Herman Cain, son avenir politique est incertain s’il a fauté, mais s’il se repent, il aura prouvé combien il participe de la religion américaine, l’exaltation du corps physique sublimé par sa négation spirituelle.

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