Cardano croyait réellement en ce qu’il faisait. Et s’il s’était occupé de l’horoscope de tant d’hommes illustres, pourquoi n’allait-il pas faire le sien ? Et, sans s’en douter, il allait franchir le pas décisif de sa vie.
Par Francisco Cabrillo (*), de Madrid, Espagne
Girolamo Cardano fut un homme de la Renaissance dans le sens plein du terme. Il se consacra à des activités aussi diverses que la médecine, la philosophie, les mathématiques, l’astronomie et l’astrologie et écrit beaucoup sur elles. Cardano est né à Pavie en 1501. Fils illégitime d’un avocat, il sût grimper l’échelle sociale et, après avoir étudié la médecine, il devint un praticien de grand prestige.Son apport à l’économie vint du côté des mathématiques et de la théorie des probabilités. Cardano écrivit dans la décade 1560 – bien qu’il ne sera publié qu’un siècle plus tard – un livre intitulé Liber de Ludo Aleae (Livre des jeux de hasards), que beaucoup de spécialistes considère comme étant à l’origine de la théorie qui intègre la statistique, le calcul de probabilités et l’analyse des marchés financiers.
Comme beaucoup d’humanistes de son époque, Cardano croyait fermement en l’astrologie et était convaincu que la position des astres au moment de la naissance d’une personne déterminait ce qui serait sa vie. Bien qu’aujourd’hui cela peut nous sembler un peu curieux, beaucoup des meilleurs esprits de l’Histoire ont considéré l’astrologie comme une authentique science. Aussi bien dans la Grèce que dans la Rome classique, on essayait de prédire des événements de tous types en analysant les astres. Au travers des manuscrits médiévaux, ces connaissances arrivèrent à l’Italie de la Renaissance. Et à la fin du 15e siècle, Bevilacqua et Aldo Manuzio imprimèrent à Venise le Matheseos, de Julius Firmicus Maternus, le livre le plus important de l’astrologie du monde classique, écrit au 4e siècle. Mais bientôt ces idées entreront avec force dans le monde germanique ; et -ce qui est encore plus curieux – auront un rôle important dans la culture de la réforme protestante. Melanchton, par exemple, considère l’astrologie comme une matière clé dans la formation universitaire luthérienne. Et l’édition la plus diffusée du Matheseos fut celle que publia Hervagium à Bâle en 1551. Cet intérêt aide à comprendre, qu’en plus, soient publiées dans l’Allemagne de l’époque diverses éditions des œuvres de Cardano.
À l’époque, beaucoup d’humanistes accordaient à l’astrologie un niveau scientifique similaire à celui des mathématiques ou de l’astronomie. Et ainsi Nicolaus Pruckner pouvait affirmer – sans l’ombre d’un doute – que les critiques adressées aux astrologues n’avaient pas leur origine dans les défauts de cette discipline, mais bien dans le fait que beaucoup de supposés astrologues étaient incompétents par méconnaissance de l’astronomie.
Travailleur consciencieux, Cardano étudia l’influence des astres dans les biographies d’un grand nombre de personnages illustres, aussi bien de l’Histoire antique que de son propre temps. Il fit ainsi les horoscopes de Cicéron ou Pétrarque. Mais aussi d’Érasme, de Luther, de Dürer et des deux grands rois de l’époque : Charles-Quint et François Ier de France. Le problème fut que, porté par sa passion astrologique, il voulut aller trop loin, car il lui vint l’idée qu’il pouvait aussi bien appliquer ses méthodes de travail à l’étude de la vie de Jésus. Ce qui lui causa pas mal de problèmes. Dans l’Italie du 16e siècle, on pouvait faire l’horoscope d’un écrivain, ou même d’un monarque, et tenter d’expliquer leurs succès ou leurs échecs par l’influence qu’exerçaient sur eux les astres. Mais faire de même avec Jésus-Christ était clairement excessif. Le résultat fut que Cardano termina en prison. Arrêté et enfermé à Bologne en 1554, il ne resta pas trop longtemps en prison. Mais il ne fait aucun doute qu’une expérience aussi peu plaisante lui apprit qu’il devait modérer sa foi en l’astrologie ; ou, au moins, être plus discret à l’heure de rendre publiques ses découvertes.
Cependant, Cardano croyait réellement en ce qu’il faisait. Et s’il s’était occupé de l’horoscope de tant d’hommes illustres, pourquoi n’allait-il pas faire le sien ? Et, sans s’en douter, il allait franchir le pas décisif de sa vie. Parce que, en étudiant, l’influence des astres, il calcula avec précision la date de sa mort. Ce qui lui posait un sérieux dilemme. Il pouvait avoir touché juste avec sa prédiction. Il n’y aurait aucun problème alors. Il mourrait avec dignité et avec son prestige scientifique renforcé. Mais que se passerait-il s’il s’était trompé ? Ne serait-ce pas terrible que les heures passent le jour fatidique et, à mesure que s’approchent les douze coups de minuit, qu’il devienne chaque fois plus évident qu’il s’était trompé, et qu’il n’était, par conséquent, qu’un astrologue médiocre ? Que deviendrait son œuvre ? Personne ne tiendrait plus compte non plus de ses études sur la médecine ou l’arithmétique. Il perdrait son prestige. Il ferait le ridicule. Non. Plutôt la mort (et jamais cette phrase ne fut mieux employée).
Cardano était un homme sérieux et orgueilleux. S’il avait fixé la date de sa mort, il ne dépendait que de lui d’avoir raison. Ainsi, arrivé le moment, il se suicida. C’était le 21 septembre de l’année 1576. L’homme était mort, mais le scientifique avait triomphé.
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(*) Francisco Cabrillo Rodríguez, président du Conseil économique et social de la communauté de Madrid, est professeur d’économie appliquée spécialisé dans la politique économique régionale.
Article originellement publié par Libre Mercado.