Peuple-monde, notion tout droit issue de Fernand Braudel. Tout pour me plaire donc. L’auteur s’explique ainsi sur son dernier ouvrage :
« Le judaïsme fut une prise de risques. Si l’on se déclare - comme le dit Raymond Aron - un peuple différent et que l’on vit l’histoire dans ses tourmentes, on se trouve en éveil face à l’extraordinaire développement du temps. Les Juifs n’habitent pas l’espace, ils habitent le temps. Le génocide hitlérien a montré que le risque pouvait être maximal. Paradoxalement, il a aussi ouvert à une redécouverte de la terre d’Israël. Le judaïsme est donc finalement une réalité plutôt heureuse doublée d’un danger très grand. »
Après avoir terminé cet essai très personnel d’Alexandre Adler, je ne puis le croire quand il se présente comme « athée ». Je dirais plutôt que c’est un homme « hanté » par l’idée de Dieu, le dieu unique des Hébreux, celui qu’ils reçurent de Moïse, qui était, lui, vraisemblablement issu d’une noble lignée pharaonique.
Voici donc un essai, en forme d’évocation érudite des origines du monde occidental, un survol éblouissant de savoir et de sagesse du développement de la pensée juive depuis les premiers écrits bibliques, en passant par l’irruption « comme toute armée » de la Kabbale (Tradition) dans les nouvelles écoles philosophiques de France au 8ème siècle, culminant au 13° siècle avec le Zohar, en réponse à la crise du judaïsme médiéval déchiré entre Chrétienté et Islam.
Une longue imprécation lucide en forme de psaume non dénué d’espoir. Une explication utile des sources et facettes du sionisme divisé, aujourd’hui en Israël, entre trois mouvements politiques incompatibles : les expansionnistes territoriaux essentiellement religieux, les idéalistes imprécateurs à la protestation inaudible et un Etat machiavélien incapable de porter des valeurs transcendantes.
Car la lucidité d’Alexandre Adler est extrême. Il livre la vision d’un hypermnésique qui a tout engrangé des vicissitudes de l’histoire de notre dernier siècle (entre autres). Il pose des questions qui font mal : Israël retrouvera-t-il toutes ses potentialités intellectuelles pour les appliquer à la question de la transformation démocratique du monde musulman, clef de sa réussite et de la survie de l’Etat hébreu ?
Une piste : le fait qu’il y ait toujours, dès l’Antiquité, un fil rouge révolutionnaire qui traverse le judaïsme et qui recèle une remise en cause radicale des sociétés constituées : Spinoza, Freud, Einstein en marquent les jalons importants.
L’ouvrage, dense et touffu, n’est pas des plus faciles à lire pour qui n’est pas familier des concepts philosophiques comme moi. Il se mérite. Mais la conclusion est éblouissante, prophétique, pleine d’espoir. A ne pas manquer.
Le peuple-monde, destins d’Israël, d’Alexandre Adler. Chez Albin-Michel, 204 p. 16€