Le débat stratégique est décidément fructueux. Ces temps-ci, on s'interroge sur la guerre, tout simplement : ce que c'est, à quoi ça sert, comment on la fait.... Oh ! bien loin des angélismes habituels que vous trouverez dans le grand public, du style "la guerre, c'est mal".
1/ Le premier à dégainer fut Vincent Desportes, dans un long article paru le mois dernier dans DSI : "Peut-on encore gagner une guerre ?". Il creusait le sillon qu'il parcourt depuis quelques années, à la suite de son constat sur la guerre au milieu des populations : selon lui, la guerre n'est plus gagnable aujourd'hui, à cause de la fragilité du soutien de l'opinion publique, de la perte de légitimité des interventions, des adversaires ne respectant pas les lois de la guerre... Du coup, ça ne vaut plus le coup. Après ce constat pessimiste, on se demande à quoi sert de conserver une armée ?
2/ Benoist Bihan (voir son blog) réagit à ce propos dans DSI de ce mois-ci : il répond qu'au contraire, "les armées servent, d'abord, à faire la guerre". Les lecteurs d'égéa, géopolitologues cultivés, auront reconnus l'hommage au livre fondateur d'Yves Lacoste sur la "géographie ça sert, d’abord, à faire la guerre".
3/ BB explique que les armées ont trois fonctions : celle de "faire la guerre" n'est que la première d'entre elles, même si elle est constamment à notre esprit d'Occidentaux. A côté toutefois, l'armée sert aussi à des fonctions de maintien de l'ordre, intérieur ou extérieur. Enfin, elle sert à des fonctions de représentation, permettant aussi bien le show of forces (diplomatie de la canonnière) qu'à des fonctions diplomatiques (cf. les textes de Couteau-Bégarie sur la diplomatie navale) ou même de cohésion nationale (rôle symbolique de l'armée).
4/ BB explique ensuite qu'à la suite de l'arme nucléaire, on a empêché la guerre : désormais, on ne mène plus que des combats, actes techniques dé-corrélés de l'acte politique qu'est, fondamentalement, la guerre. On ne combat plus l'ennemi (le mot à disparu) mais l’adversaire, dans un vocable qui rappelle la compétition sportive (à ceci près que l'adversaire en question ne joue pas le jeu). Bref, on est passé dans une "diplomatie coercitive", du maintien de l'ordre. Dès lors, en fait, nous ne savons plus faire la guerre, cette première fonction de l'armée.
5/ Ces considérations s'interrogent en fait sur la nature "militaire" de la guerre. Je crois qu'il faut effectivement revenir au fait nucléaire qui a empêché, pour longtemps, cette guerre "classique". Signalons d'ailleurs, à propos du débat nucléaire en cours (15 commentaires en dix jours à la suite de mon billet) qu'il ne faut pas se tromper : quand on dit "l'Europe c'est la paix", on se trompe : en fait, c'est la paix qui permet l'Europe. Et c'est la bombe qui permet la paix. Vouloir sortir de la bombe au motif qu'on est en paix revient à ne pas apercevoir les liens de causalité. Sortir du nucléaire revient à permettre le retour de la guerre classique....
6/ Mais il faut aussi réfléchir à la nature non militaire de la guerre. Le sujet est soulevé notamment par Pierre Hassner, dans le numéro d'octobre de la RDN, où il s'interroge sur les notions de "Guerre, stratégie, puissance". Désormais, il y a d'autres guerres, non meurtrières, mais qui relèvent quand même du vocabulaire stratégique : ce texte est nécessaire, car il ne se restreint pas au seul cadre militaire, comme le font Desportes et Bihan. Mais il rejoint d'autres débats contemporains. Ainsi, j'attends beaucoup de l'intervention de Stanislas de Maupeou sur la notion de cyber guerre, lors du prochain colloque sur le sujet, le 29 novembre prochain (inscription ici).
O. Kempf