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Survivant: Accident d’un cascadeur

Publié le 14 novembre 2011 par Raymond Viger

Témoignage d’un survivant

Les cascades de la vie

Yanick ne devrait pas être en vie. Victime d’un sévère accident de voiture à 17 ans, les médecins ne lui donnaient pas 24 heures à vivre. Vingt ans plus tard, il regarde tous les obstacles qu’il a eu à franchir après avoir vaincu la mort.

Didier Tremblay   Dossier Santé

cascadeur-accident-cascade-filmRien ne distinguait Yanick des autres adolescents. Doué à l’école au début du secondaire, le divorce de ses parents l’amène à vivre une crise d’adolescence mouvementée qu’il noie dans l’alcool. Sensible comme bien des jeunes de son âge.

Face à face avec la mort

La journée s’annonçait joyeuse. Le 21 décembre 1990, à l’approche de Noël, Yanick et deux de ses amis vont en auto faire leur magasinage des fêtes. Le jeune homme est à l’avant, côté passager. Son ami est à l’arrière. Martin, un de ses meilleurs amis, conduit. Les trois sont de bonne humeur. Ils ne sont pas sous l’effet de l’alcool ou de drogues. La voiture ne roule pas à pleine vitesse. Malgré tout, leur vie bascule en une fraction de seconde.

Ils sont victimes d’un face à face. Sous l’impact, le passager à l’arrière est projeté vers l’avant. «Il n’était pas attaché. Il m’est rentré dedans.» Le cervelet de Yanick, qui régule la fonction motrice de son corps, absorbe le choc. «Plus tard, le médecin m’a expliqué que c’est ce qui contrôle le cerveau et que, dans l’accident, c’est comme s’il avait été dans un malaxeur.»

10 jours de coma

Yanick est emmené à l’hôpital d’urgence. Son état est critique. «Le premier diagnostic ne me donnait pas plus de 24 heures à vivre. Puis, à la fin de la journée, on me donnait 48 heures. Une fois ce délai passé, les médecins n’avaient plus aucune idée. Mais vu l’impact et les dommages à mon cervelet, ils prévoyaient 16 mois de coma. Et plus tu restes dans le coma, plus les séquelles sont graves.»

cascade-accident-cascadeur-film-actionLe 31 décembre, soit 10 jours plus tard, Yanick émerge à la surprise générale et contre toutes les prévisions médicales. «Je ne reconnaissais pas ma mère, mes amis. J’ai reconnu le père d’un de mes amis mais lui, je ne l’ai pas reconnu!» Le jeune homme est confus, désorienté. «Le coma, je ne le souhaite à personne. C’est le néant total. Quand tu te réveilles, tu n’as aucune idée qui tu es. J’ai halluciné mes amis, mon accident. À travers la fenêtre de ma chambre, à l’hôpital, je voyais la neige. Mais je n’en avais pas conscience. Je ne savais pas qu’on était en hiver.»

Réadaptation impossible

Un malheur n’attend pas l’autre. Yanick doit subir une trachéotomie après que le tube qu’on lui mettait dans la bouche pour le nourrir ait touché ses cordes vocales qui ont enflé. Son traumatisme crânien paralyse tout son côté droit qu’il ne peut bouger. «Mon médecin est venu me dire qu’il ne pensait pas que je serais capable de parler et de marcher. Il m’a énuméré plein de choses que je ne pourrais plus faire. Ma paupière droite était fermée, mon bras droit ne levait pas. Alors j’ai levé mon gauche et je lui ai présenté mon majeur.»

Yanick développe une volonté de vivre qu’il ne se connaissait pas. Il puise dans cette énergie pour se battre. «Ma mère était tout le temps avec moi, à l’hôpital. Il y avait souvent des amis qui venaient me visiter. Mais je me sentais seul parce qu’ils ne pouvaient pas se battre pour moi. Quand tu es dans un lit d’hôpital et que la moitié de ton corps ne bouge plus, tu ne sais pas ce qui se passe. J’ai dû me la poser, la question: est-ce que j’abandonne? La réponse la plus facile, c’est oui. Mais je me suis convaincu que je pouvais réussir.»

Le jeune homme est déterminé. Il va faire mentir tous les médecins qui ne croient pas qu’il se relèvera un jour. Il travaille sur son attitude. «Quelqu’un est entré dans ma chambre et je l’ai entendu dire: ‘‘C’est dont de valeur, t’étais si fin.’’ Je l’ai mis dehors immédiatement. Je n’avais pas besoin de ça. D’autres me disaient: ‘‘tu dois être furieux contre Martin qui conduisait.’’ Ben non. Je ne pouvais pas me payer le luxe d’avoir de la haine envers qui que ce soit. Fallait que je me batte pour moi, pour ma survie.»

À l’hôpital Charles-Lemoine, Yanick force son corps à lui répondre. Il doit réapprendre à parler et à marcher. «Je me fâchais souvent! Parce que réapprendre ces choses naturelles, à 17 ans, c’est dur.» Il parcourt inlassablement l’étage sur lequel il se trouve. «J’étais censé être avec une marchette. Mais je n’ai jamais voulu.» Quand il remarque que les infirmières le regardent, il s’accroche à la rampe pour qu’on ne lui impose pas de marchette. Après 3 mois et demi, il obtient son congé de l’hôpital. «Et je suis sorti sur mes deux jambes», dit-il fièrement.

Un survivant

Un an après son accident, la vie de Yanick reprend son cours. Il est en réadaptation pour rééduquer son côté droit, paralysé. Il est de retour à l’école, conduit sa voiture et joue même au rugby. «Je suis retourné voir mon médecin parce que j’avais un problème de crampe à la main. Ça me dérangeait, pour l’école. Le médecin, dès qu’il m’a vu, m’a dit de sortir tout de suite de son bureau : Yanick, tu ne devrais même pas être en vie. Tu devrais au mieux être un légume. Et tu marches, tu conduis, tu vas à l’école. Tu l’as fait tout seul. Alors fais la même chose pour ta main.»

Le jeune homme sort revigoré de cette rencontre. Il réalise à quel point sa volonté est puissante. Il termine son secondaire puis s’inscrit aux HEC. Faute de moyens financiers, il doit quitter avant d’obtenir son diplôme. Ce qui déçoit l’un de ses professeurs qui appréciait sa présence et son implication. «Si ça n’avait pas été de mon accident, je ne sais pas ce que je ferais aujourd’hui. Mais depuis, je ne peux pas me contenter de juste être bon. Il faut que je me dépasse. C’est mental. C’est moi qui me mets cette pression. C’est ce qui m’a fait tripper, avec la réaction de mon prof aux HEC. Je pensais que j’étais juste bon. Mais quand il m’a demandé de ne pas abandonner son cours, j’ai compris que j’étais plus que bon.» Yanick sent que sa volonté peut lui permettre de faire ce qu’il désire. Et comme il a déjoué la mort, il savoure la vie à chaque instant. En chemin pour sa séance de réadaptation, il remarque une agence de casting. «Je me suis dit, tiens, je pourrais faire ça, moi.

Un nouveau départ

Alors je suis allé suivre des cours de cinéma. Quand on me voyait jouer, les gens disaient ‘‘wow!’’ J’ai fait une pièce de théâtre. J’avais le rôle principal. Oui, il fallait que je travaille plus fort pour mémoriser mes textes. Mais j’ai le caractère pour ça.»
Yanick assure qu’il avait plusieurs contrats. Jusqu’au jour où il parle de son accident et de son traumatisme crânien. «J’ai été catalogué: incapable, handicapé. J’ai senti la différence. Alors j’ai fait de la figuration et du doublage.» Yanick n’en veut à personne. Comme pour son accident, il ne dirige pas sa rage vers les autres. Il s’en sert pour se motiver. Il veut être membre de l’Union des Artistes (UDA). Personne ne va l’en empêcher. Plutôt que d’être acteur ou comédien, Yannick développe ses aptitudes de cascadeur. Et c’est au siège social de l’UDA qu’il croise celle qui est devenue sa femme. C’est aussi pour elle qu’il abandonne le métier de cascadeur. «Je n’en fais plus! Parce que, quand tu es cascadeur, ce n’est pas juste au cinéma. Tu le deviens dans la vie!»

Yanick regarde le chemin parcouru ces 20 dernières années. Il n’est pas peu fier. «Qui aurait cru en 1990, alors que j’étais sur mon lit d’hôpital, que je serais devenu membre de l’UDA et marié avec un bijou de femme? Je ne devais même pas survivre! La vie m’a donné une deuxième chance. Et je l’en remercie. Mais j’ai eu des périodes difficiles. C’est fou de voir la réaction des gens une fois qu’ils savent ce qui m’est arrivé. Alors j’en parle rarement. Parce que les gens ne comprennent pas. Même les médecins ne comprennent pas. Je devrais être mort. Ou un légume. Et je veux plus que n’importe qui. Ça dérange. Ça fait chier. Mais ça ne fait que commencer. Je n’ai même pas 40 ans encore!»

Yanick aime la vie. Il touche un peu à tout. Il a travaillé auprès d’handicapés, de gens qui ont vécu un traumatisme crânien. Il fait des conférences de motivation pour expliquer comme la vie est belle et ce que la volonté en chaque personne peut faire. Et il pense retourner aux HEC, pour terminer ce qu’il a commencé. Parce qu’il ne veut pas juste être bon. Il veut être le meilleur.

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