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Et paf, Madeleine (ou la machine à cirer les chaussures)

Publié le 29 février 2008 par Chondre

Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil. Mes amis, collègues et connaissances ne cessent de le répéter. Il est quasiment impossible de me joindre en composant le numéro de mon téléphone portable. C’est un objet que je suis capable d’oublier pendant des semaines. Lorsque je l’allume, la messagerie est souvent saturée. Certains pensent que je les filtre et me font la gueule, d’autres m’appellent sur ma ligne professionnelle et tombent sur Nadine, mon assistante de l’espace. Ceux qui me connaissent bien patientent jusqu’à la fin de journée et composent le numéro de téléphone de notre appartement et sont certains de tomber sur moi.

Il y a trois années de cela, mon amie Madeleine à tenté de me joindre à mon domicile. J’étais fatigué ce soir là et je n’ai pas souhaité lui répondre. Je savais que, si je décrochais, j’allais m’aventurer dans une longue conversation. Nous aurions parlé politique ou de la vie culturelle parisienne. Nos digressions auraient duré des heures. Elle aurait commencé par allumer une cigarette longue, m’aurait demandé si j’avais lu le Figaro du jour, écouté radio classique le matin ou quel était le dernier film que j’avais vu au cinéma. Toujours le même rituel.

Je la connaissais via ma mère. Elle était une ancienne patiente du service d’endocrinologie de la Pitié-salpêtrière. Madeleine était également atteinte de psychose maniaco-dépressive. Sa PMD la rendait encore plus sympathique. Elle était capable de faire les choses les plus dingues. Elle avait acheté en quelques heures un appartement à Deauville sur un coup de tête sans avoir la totalité les fonds, s’était mise en couple avec un espion allemand ou partait régulièrement à l’étranger pour quelques jours sans en avertir ses proches. J’avais parfois l’impression d’être le petit fils qu’elle n’avait jamais eu. Elle passait le réveillon de Noël en notre compagnie. Avec elle, je ne m’ennuyais jamais.

C’était une petite juive rouquine. C’était comme cela qu’elle aimait se définir. Elle me racontait souvent ses histoires folles, lorsqu’elle était petite, pendant l’occupation allemande. Nous allions souvent à l’opéra. Elle avait une culture incroyable. Un soir, juste avant une représentation, elle s’est amusée à lustrer ses escarpins avec une cireuse automatique. La machine a aspiré et broyé l’une de ses chaussure. Elle a monté pieds nus le grand escalier. Elle racontait souvent en se marrant cette petite aventure. Lors de nos dernières vacances en Chine, nous avons pensé à elle tous les jours en souriant. Une machine à cirer les chaussures était disposée face à la sortie de l’ascenseur. C’était la machine à Madeleine.

J’aurais adoré lui dire que j’étais pédé et en couple avec Snooze. Je n’ai jamais osé. Je suis pourtant persuadé qu’elle aurait adoré le rencontrer et qu’ils seraient devenus complices. Il y a trois ans, elle a tenté de me joindre. Il y a trois ans, je n’ai pas décroché le combiné. Quelques jours plus tard, elle s’est apprêtée. Elle a pris ses clefs et son sac à main. Juste avant d’ouvrir la porte d’entrée, elle s’est effondrée dans son entrée et est morte d’un coup. Paf. Son coeur avait lâché.

Et paf, Madeleine (ou la machine à cirer les chaussures)
Je me reproche encore aujourd’hui de ne pas avoir décroché le téléphone, juste parce que je n’avais pas envie de partager ma soirée avec elle à parler de tout et de rien. J’aurais tellement eu envie de lui dire au moins une fois que je l’aimais très fort. Après ses funérailles, ses héritiers se sont déchirés pour se partager le gâteau. Je me suis rendu compte que je n’avais même pas une photographie d’elle. J’aurais adoré garder l’un de ses livres en souvenir.

Depuis, lorsque je dis au revoir à certaines personnes, je les fixe longuement après les avoir serré entre mes bras, embrassé tendrement ou humé leur parfum. Madeleine me rappelle dans ces moments particuliers que nous ne sommes qu’un tas de viande périssable et qu’il ne faut jamais hésiter à dire je t’aime à son entourage, ou même décrocher son combiné.


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