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Par Eric Mccomber
Le roman n’est pas une fiction

PIERRE-YVES THIRAN
MÉTRO
Publié: 17 novembre 2011 21:32
Mis à jour: 17 novembre 2011 21:37

Tandis que le Salon du livre de Montréal bat son plein, il nous a semblé indiqué de nous pencher sur ce qui fait la particularité de la littérature. Nous avons ainsi rencontré Éric McComber, qui lance ses jours-ci son troisième roman, La solde. Publié par la toute nouvelle maison d’édition La Mèche, La solde raconte la descente aux enfers d’Émile Duncan, personnage que l’on retrouve également dans Sans connaissance, le deuxième roman que l’auteur a fait paraître en France en 2007.

PYT : Émile Duncan, le héros de La Solde, est sous anti-dépresseurs. C’est aussi un personnage qui boit beaucoup. Pourquoi les médicaments et l’alcool sont-ils si importants dans votre roman?

EMC : Eh bien, parce que ce personnage est absolument incapable de supporter la douleur. Il doit altérer sa conscience pour étaler les paiements de sa souffrance.

PYT : Le 11 septembre est évoqué dans le roman. Y a-t-il un lien entre la douleur d’Émile et les attentats?

EMC : Oui, il y en a un. C’est d’ailleurs apparu au cours de la rédaction; à un moment donné, les attentats sont remontés à la surface comme un cadavre à la surface d’un lac. Les attentats amplifient la douleur sur tous les plans : social, financier, mais aussi sexuel. Et c’est là qu’on peut faire un pont entre l’histoire de l’humanité et l’histoire d’un homme, celle d’Émile Duncan par exemple.

PYT : Il faut préciser que votre roman est cependant très drôle. Il est donc possible de présenter la douleur de façon drôle?

EMC : Ah oui, absolument – grâce au rythme. Ça, ça me vient du blues, où on parvient à dire des choses terribles en tapant du pied.

PYT : Vous êtes en effet chanteur de blues, tout comme votre personnage. Peut-on dire qu’il s’agit de votre alter ego?

EMC : Eh oui, on peut.

PYT : Émile Duncan était déjà le personnage central de votre précédent roman, Sans connaissance. Quelle est son importance?

EMC : Elle est considérable dans ces deux récits. C’est par lui que tout s’incarne. Ce qui me rappelle d’ailleurs ce que l’auteur français Paul Valery disait de la posture de l’écrivain qui, dans une fête, se poste à l’écart et, adossé à un mur, prend des notes. Ce n’est absolument pas ma posture à moi. Pour moi, l’écrivain participe à la fête, et il danse, même s’il est grotesque, et c’est en dansant qu’il prend des notes. De la sorte, il parvient à faire quelque chose que celui qui reste adossé au mur ne peut pas faire : il saisit le rythme sur le vif. De l’intérieur, si je peux dire.

PYT : Et c’est là que les choses deviennent plus incarnées?

EMC : Exactement.

PYT : Est-ce là l’une des grandes différences entre le roman et l’essai? Entre ce qu’on appelle la fiction et la non fiction?

EMC : Absolument. Le roman est plus incarné. Par exemple, à propos du 11 septembre, puisqu’on en parle, eh bien, vous pouvez avoir un roman et un essai. Le roman, s’il est bien écrit, c’est-à-dire si l’écrivain a réussi à capter le rythme de l’onde de choc des attentats, à travers des tas de choses, notamment la sexualité, vous dira davantage la vérité sur ces événements que l’essai, tout passionnant que celui-ci puisse être. L’essai ne sera jamais assez incarné pour dire la vérité, il y aura toujours une sorte de froide distance entre l’essayiste et son sujet.

PYT : Qu’entendez-vous par «vérité»?

EMC : Je persiste à affirmer que la vérité est un concept un peu foireux. Mais le roman peut s’en approcher dans la simplicité. Sauf qu’il est très difficile d’accéder à cette simplicité. Tout le labeur du romancier qui fait sérieusement son travail est d’arriver à cette simplicité. Prenez, je ne sais pas moi, prenez une forêt par exemple. Eh bien, une forêt va vous être présentée comme une ressource; tout d’ailleurs n’est plus que ressources, des arbres jusqu’au sous-sol, en passant par les êtres humains.

PYT : Les ressources humaines…

EMC : Oui, les fameuses ressources humaines. Dans ce monde, tout est vu à travers le filtre des ressources, n’a de réalité sérieuse qu’à travers ce filtre. Or, une ressource, c’est bien sa fonction, est sommée de produire : de l’énergie, des biens, du travail. Et tout ça est tellement étouffant aujourd’hui, tellement délirant, que ce que ça produit principalement, c’est de la douleur. Du malheur. Quand une chose ou une situation fait souffrir ou ennuie, c’est qu’il n’y a plus de musique, que le rythme a été écrasé. Bref, pour faire une histoire courte, je dirai que la vérité du roman est celle de la simplicité d’une chose dégagée du poids de l’obligation de produire. Il s’agit donc ni plus ni moins de poésie. Le cœur du roman, le cœur qui bat et qui danse, c’est la poésie.

PYT : Mais tout ne peut être présenté dans cette simplicité…

EMC : Non, vous avez raison. Dans La solde, les choses sont présentées avec leur charge d’aliénation, c’est-à-dire avec leur façon de composer, de vivre avec l’obligation dont je parle. Tout est à la fois simple et habillé par cette obligation, d’où un tas de situations douloureuses et, en même temps, comiques.

Colonne

Extrait de La solde

«Je suis seul chez moi, la guitare sur les genoux. Mes cordes, trop neuves avant-hier, atteignent le paroxysme de leur sonorité. Je gratte un mi. Ma guitare sonne mieux que jamais. J’ai un frisson en entendant ce mi. L’esprit du blues, ce qui me touche ici-bas, est dans ce simple mi qui me ramène sur terre, étouffé juste ce qu’il faut dans les basses, percussif, rutilant, chatoyant. Ce mi, tout con, est l’aboutissement de vingt-cinq ans de piochage. Ce mi est le dix millionème mi que je joue, mais il est un des premiers beaux, un des premiers vrais. J’essaie de comprendre ce que je fais de mieux qu’avant et je n’y arrive pas. Je penche la tête pour voir mes mains. C’est comme si ma chair avait fini par assimiler ce que la musique veut d’elle. L’acier des cordes vibre, coincé entre mes doigts et les frettes. Sous mon bras, contre ma poitrine, le fond de la caisse chante, sa voix large et claire. Par la rosace jaillit le miracle anodin, la fontaine improbable, la clairière inouïe, ce mi, enfin beau.»

© Éric McComber

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