Magazine Politique

Uniforme : l’UMP travestit la question scolaire

Publié le 18 novembre 2011 par Variae

Miracle du sarkozysme, les marronniers fleurissent à l’automne. Nous voici donc repartis pour un tour de débat sur l’uniforme à l’école, idée qui a déjà pointé le bout de son nez à plusieurs reprises depuis 2007, et que l’UMP relance dans le cadre du travail sur son projet présidentiel, avec l’approbation de François Fillon. La méthode est désormais rodée : on nous explique que la proposition vient de la droite populaire, mais que l’Élysée est prudent. Bref, on tâte le terrain, et on joue gagnant à tous les coups : soit cela fonctionne, soit l’assentiment n’est pas majoritaire, et le président sortant peut écarter la proposition et prendre la posture du modéré raisonnable.

Uniforme : l’UMP travestit la question scolaire

Il faut le dire, le coup est bien joué. L’uniforme – ou plutôt, soyons précis, le port d’un « vêtement commun », afin de « gommer les inégalités sociales » et de renforcer « un esprit de cohésion et d’appartenance commune à un établissement » – est une idée qui peut présenter plusieurs avantages du point de vue de l’UMP.

Premièrement, elle permet de quitter en douce le terrain, dangereux, du bilan de la majorité sortante sur la réforme scolaire, les inégalités éducatives (et sociales) et le statut des enseignants, pour se déporter sur la champ des valeurs (autorité, morale) et des débats « sociétaux », comme disent les journalistes. Champ sur lequel l’UMP peut interpréter sa partition préférée, celle des gardiens de l’ordre contre la gauche laxiste et libertaire.

Deuxièmement, elle permet de flatter la nostalgie (frelatée) et l’orgueil national, en jouant à la fois sur la fibre républicaine façon Pagnol et Guerre des boutons (ah le bon vieux temps de la vraie école d’avant 68 !) et sur la promesse d’établissements d’élite à l’anglo-saxonne, avec fraternités et remises des prix en toges. Après tout, il y a bien toujours de la foule pour applaudir la Garde Républicaine quand elle passe à cheval, plumet au vent.

Troisièmement, elle peut aussi, peut-être, rogner sur le territoire de la gauche, pas seulement du côté des républicains un peu réactionnaires, mais aussi, plus subtilement, de celui des anti-marques et anti-consommation, d’une part, et des laïques, d’autre part, puisque l’uniforme veut aussi dire non – j’imagine – aux signes distinctifs divers et variés.

Quatrièmement, c’est le type même du débat interminable et cent fois relancé, qui plaît et touche au-delà des seuls Français s’intéressant de près à la politique.

La manœuvre est donc tout sauf sotte. Raison de plus pour y répondre fermement. Il est plutôt amusant de voir le parti des dérégulateurs et de l’ami des grands patrons – Sarkozy – celui qui, au hasard, a autorisé les publicités pour cette drogue légale que sont les paris en ligne, soudain se soucier de l’impact que pourrait avoir le trop-plein de marketing sur les jeunes Français. Je ne m’étendrai pas sur l’autre énormité évidente que la gauche, j’espère, martèlera si jamais la proposition monte dans le débat : que penser d’un gouvernement qui creuse les inégalités tout en inventant des rustines improbables pour les cacher à l’école de façon vestimentaire ? Qui rêve tout haut d’Eton en ne donnant même pas les moyens nécessaires aux ZEP ?

Mais il y a une autre question plus importante, qui pour le coup peut troubler à gauche, et que Camille Bredin, « secrétaire nationale à l’égalité des chances de l’UMP », développe dans la vidéo précédente. C’est la question, ou plutôt la thèse, de l’école qui serait « un lieu différent ». Tout dépend de ce qu’on comprend par différent. Si différent veut dire sanctuaire, comme on peut parfois l’entendre à gauche également, alors on fait fausse route. Car plus l’école se replie sur elle-même (y compris dans les quartiers difficiles), plus elle devient un camp retranché regardant de façon inquiète (ou ne regardant même pas, d’ailleurs) par-dessus ses murailles le reste de la société, plus elle suscite de violence et d’échec à ses marges. Nier ce qui se passe au dehors, tenter d’imposer un ordre et une uniformisation névrotiques au milieu d’une société de plus en plus individualiste (en bien comme en mal) est une voie non seulement absurde, mais sans issue.

Sans compter que la liberté vestimentaire (dans les limites de la laïcité) est constitutive de la liberté tout court, et qu’elle constitue à mon sens une phase de la construction de l’identité de beaucoup d’adolescents, en particulier pour ceux qui s’inscrivent dans des modes ou des « tribus » qui, pour paraître incompréhensibles ou ridicules aux parents, n’en ont pas moins leur importance à cet âge de la vie.

La relance de ce débat par la droite est fondamentalement un aveu d’échec sur l’école. Le tout est de le démontrer.

Romain Pigenel


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Variae 35066 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine