Magazine Société

[Spiritualités & Traditions] Matthieu Ricard, photographe.

Publié le 18 novembre 2011 par Yes

Interview dans l’Est Républicain, (suite et fin)- Festival de photo de nature de Montier-en-Der

Jeudi 17 novembre 2011

- Comment travaillez-vous au Tibet, au Népal ou au Bhoutan ?

Il m’arrive de ne pas prendre une seule photo pendant des mois. Puis vient le jour où les personnages, le lieu et la lumière surgissent de si belle façon que l’on ne peut résister à en faire une image, une offrande à tous ceux qui poseront leurs yeux sur elle.

A Montier-en-Der, vous allez présenter les photos prises dans un ermitage situé sur les hauteurs de Katmandou. Pouvez-vous nous parler de ce reportage ?

Il ne s’agit pas à proprement parler d’un « reportage », puisque j’ai simplement passé un an dans un ermitage. « Voyage immobile » est le fruit d’un travail qu’un photographe, moi-même y compris, a rarement l’occasion, le loisir, voire le désir d’accomplir : rester assis dans le même endroit pendant un an pour attendre la lumière.

Ce n’était d’ailleurs pas mon but et je ne séjournais pas dans mon ermitage pour faire de la photographie, mais pour poursuivre ma pratique spirituelle. Cependant, contemplant un paysage sublime depuis le matin, bien avant l’aube, jusqu’à la nuit, une lumière extraordinaire venait parfois illuminer la scène qui s’offre continuellement à mes yeux émerveillés. Ces images, toutes prises de la terrasse de mon ermitage ou à quelques dizaines de mètres de là, sont le fruit de cette longue « attente sans attente » et de la joie d’être le témoin de l’harmonie de la nature qui se mêle intimement à la félicité de la méditation.

- Votre statut de moine vous ouvre-t-il des portes fermées à d’autres ?

C’est certain. Le fait d’être associé aux grands maîtres spirituels qui sont au cœur de la société bouddhiste permet de vivre les aspects les plus intimes de la culture himalayenne. Le fait d’être moine également permet de participer aux enseignements et aux cérémonies qui ne sont pas toujours accessibles aux visiteurs. Le fait d’avoir vécu si longtemps dans ce monde m’a également permit d’accéder à des lieux extraordinaires, où peu de personnes ont l’occasion de se rendre.

- Portraits, paysages… Il s’agit de deux exercices très différents…

Pas nécessairement. Visages de paix, terres de sérénité… ces deux aspects sont intimement liés. La grandeur des paysages et la beauté de la nature invite à la contemplation. Ceux qui vivent dans ces paysages en reflètent souvent la beauté sur leurs visages. Un photographe doit être ouvert à tout ce qui inspire, qui ce soit un sourire ou un lever du jour sur une mer de nuages.

- D’ici, on a l’impression que vous êtes au contact d’une nature intacte, préservée. Est-ce le cas ?

C’est juste. Lorsque je suis allé au Mont Kailash, par exemple, et que, tôt le matin, j’étais assis au bord de l’immense lac Manasarovar, à 4300m d’altitude, le silence était tel que les appels d’un couple de canards, des nettes rousses, à prés d’un demi kilomètre, semblait venir de juste à coté. Dans de tels lieux, la méditation et tout autant au dehors qu’au dedans.

Mais malheureusement, ce « troisième pôle » de notre planète malade fond trois à quatre fois plus vite que les pôles Nord et Sud. On dénombre 40 000 glaciers de diverses tailles sur le plateau tibétain. Tous fondent rapidement. Au réchauffement général qui affecte l’ensemble de la planète s’ajoute le phénomène de la pollution qui, se déposant sur la neige, fonce la couleur des glaciers, si bien qu’ils absorbent davantage la lumière, ce qui accélère leur fonte.

Au total ce sont maintenant 400 lacs glaciaires qui au Népal et au Bhoutan menacent de briser leur digue naturelle et d’inonder les régions peuplées des vallées en contrebas. Une fois ces inondations passées, et après que la surface des glaciers aura encore diminué, surviendra la sécheresse, puisque les torrents et les rivières cesseront d’être alimentées par la fonte des neiges.

47% environ de la population mondiale, en Chine, en Inde et dans d’autres pays dépend pour son agriculture, son approvisionnement en eau et donc pour sa survie du bassin hydrographique (Indus, Brahmapoutre, Yangtsé, le Fleuve Jaune, Irrawady, Salouen, Mékong) délimité par le plateau tibétain. Les conséquences de l’assèchement de ces grandes rivières seront désastreuses.

- Votre plus grande émotion photographique ?

Celle de photographier un grand maître spirituel. Ce n’est pas toujours aisé, car bien souvent on préférerait simplement rester assis en sa présence et la photographie reste un acte quelque peu décalé. Néanmoins je suis si heureux d’avoir pu photographier tous ces maîtres — nombre d’entre eux ne sont plus de ce monde aujourd’hui — afin que d’innombrables personnes puissent encore voir leur visage au travers des mes images.

image
image
image
image
image
image
image

Matthieu Ricard | Blog.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Yes 3349 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine