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Ma Génération

Par Gerard

 

D'avoir 20 ans dans les années quatre-vingt nous pensions de bonne foi avoir 20 ans à la puissance 4. C'est que nous avions jeté la droite et pensions donc en avoir fini avec les vieux cons. Nous avions notre Fête de la Musique, notre SOS Racisme et nos radios libres - nos émissions durant lesquelles nous pouvions tirer le joint et nous soûler à l'antenne tout en parlant à la nuit.

Pourtant d'étranges mots venaient. Je me souviens de "killer" par exemple. Il fallait être un "killer". Moi à qui on avait vraiment appris à "killer" silencieusement au sein de la bonne armée française et ses troupes de "voltigeurs", je trouvais le propos un brin ridicule. Il y avait aussi "mondialisation", qui n'était pas le dialogue attentif de culture à culture, mais l'infection planétaire des thèses de l'ultralibéralisme dont nous venions, pensions-nous alors, de nous défaire avec l'élection d'un socialiste à la tête de l'Etat.

Je n'ai rien aimé de ma génération. Rien. J'appartenais encore trop à la précédente, celle de 68, des Love-In, des Tribus du Golden Gate Park, des communautés d'Enfants-Fleurs, des "Further on the road"... J'ai trop aimé les guitares folk et les robes gitanes. J'étais un espion du passé sous les traits du jeune homme, un passeur de torche qui revenait chez lui bredouille, en ces années "killer".

Les plus beaux, les plus belles, les héros, les rebelles, on les avait perdu dans ce SOS terrible : Suicide, Overdose, Sida. Ca dégageait des marges de manoeuvres pour les autres, les suiveurs, les médiocres. Nous fûmes des poseurs : pas des poseurs de bombes. Pour enfoncer le clou ma génération étrange s'attribua le nom atroce de Yuppie. Le cool version salopard. La nouvelle branchitude reaganienne. "Je suis de gauche tendance Reagan", disait Montand, cet âne.

Un peu avant la fin de cette décennie sinistre, sans coeur ni vraie fureur, j'étais à Berlin à me les geler tandis que le Mauer était jeté à bas. Dans l'air vif de cet hiver 89 j'entendis disctinctement le tic-tac du temps retrouvé. Je devais être con. Revenu à Paris, chacun ne parlait plus que de la "fin de l'Histoire". Je m'insurgeai. En vain. La fin de l'Histoire devint la nouvelle pose de la branchitude intellectuelle. Le monde finissait là, occidental, blanc, banal, chiant. Le futur ne s'ouvrait plus qu'aux gestionnaires. Je sus alors que nous avions eu vingt ans pour rien.

  


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