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Les Soudans et les confins centr-est-africains

Publié le 22 novembre 2011 par Egea

Confins centrestafricains ? des confins peuvent-ils être au centre, ou à l'est ? Et pourquoi poser la question aujourd'hui, et ainsi ? Et pourquoi mettre Soudan au pluriel ? et pourquoi le classer dans "pays du Nil" ? Encore un billet bizarre. Où va-t-il chercher tout ça ?

Les Soudans et les confins centr-est-africains
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1/ Le Soudan, quand on regarde les cartes de la fin du XIX° siècle, était presque une dénomination générique, évolutive, non fixée ni limitée. Sous domination anglaise depuis l'expédition de Kitchener en 1898, il n'obtint son indépendance qu'en 1956 : la représentation étatique du Soudan, telle qu'elle s'est fixée dans nos cartes (et nos têtes) est, somme toute, récente. Le Soudan est un pays neuf. L'était : car ceci explique ce qui se passe aujourd'hui.

2/ En effet, la remise en cause actuelle (voir article du Monde) du Soudan intervient à la suite d'une double rébellion : l'une au sud, l'une à l'ouest, avec le Darfour, encore en cours de manière latente. Les différentes étapes ont abouti à la création du Soudan du sud (dire sud-Soudan est en effet une mauvaise traduction de l'anglais). Et ce qui était sensé mettre un terme aux différends (la création d'un Etat indépendant) n'a fait, visiblement, que les entretenir et les déplacer.

3/ Lors de la création de l’État de Juba, cet été (voir billet), on s'interrogeait beaucoup sur la pérennité de cet État "failli à sa naissance" : allait-il survivre, n'allait-il pas sombrer dans le chaos? On observe au contraire que les troubles se manifestent désormais au nord, dans le Soudan canal historique.

4/ Tout d'abord, les troubles de frontières ont persisté : on a beaucoup parlé d'Abyei, un peu moins du Kordofan sud. On a appris récemment l'existence d'une rébellion dans la province du Nil bleu et on évoque même un "Congrès Beja" qui serait actif à l'est du pays. Les Darfouriens, se sont quant à eux plus ou moins réunis, à cause de l'affaiblissement du régime de Khartoum, à cause aussi des armements récupérés à la suite de certaines actions de mercenariat en Libye. au profit de Kadhafi (ainsi, les fameuses armes qui inquiétaient beaucoup de commentateurs ne sont pas toutes partis chez AQMI). Toutefois, on commence aussi à entendre parler de troubles au Soudan du sud, notamment dans la province de Jongleï, limitrophe de l’Éthiopie.

5/ Est-ce une simple balkanisation ? un épisode de plus de l'abandon des structures "étatiques" à l’occidentale, abandon qui serait le destin commun des pays de la région, à l'image des sécessions qu'on observe en Somalie (Somaliland, Putland) ou en Éthiopie (Érythrée) ? Possible, mais pas suffisant pour tout expliquer.

6/ C'est ici que la notion de confins devient intéressante : en effet, j'observe que les troubles, il y a une dizaine d'années, touchaient plutôt la zone de rift, à l'Est de la RD Congo, avec la connexion Burundi Ruanda. Même si les choses ne sont pas totalement réglées (attention aux élections en RD Congo à la fin du mois), la zone des troubles s'est déplacée. Alors, des séparatismes ethniques (d’ailleurs plus ou moins fabriqués) intervenaient dans une zone de haute démographie ; Désormais, on observe ces troubles dans une zone d'assez basse démographie, avec des résonances un peu différentes. Elles interviennent surtout dans les confins traditionnels entre l'Afrique équatoriale et l'Afrique sahélienne, entre Noirs et Arabes, entre chrétiens/animistes et musulmans. Selon cette analyse, la géographie physique se joindrait à la géographie humaine pour organiser un dioptre géopolitique majeur. Pourtant, on ne peut se limiter à cette simple explication, qui est classique.

7/ J'ai en effet le sentiment que trois facteurs viennent s'ajouter : le premier est l'eau, que j'ai déjà évoqué (par exemple, au sujet des eaux du Nil, ici) ; le second est le pétrole, et surtout son évacuation. On sait en effet que le pétrole est assez fréquent au Soudan du sud. Et qu'il 'est évacué pour l'instant par Port Soudan, sur la mer Rouge. Mais un projet existe d'un oléoduc alternatif passant du Soudan du sud au Kénya pour rejoindre l'océan Indien. Cette raison expliquerait le déclenchement de l'offensive kényane en Éthiopie (et pas seulement la raison touristique, malgré le billet amusant que j'avais commis).

8/ J'ai écrit ailleurs que l'intervention en Libye n'était pas due au pétrole. S'agissant de ce qui se passe actuellement au Soudan, je serai beaucoup moins affirmatif. Il y a beaucoup de calculs pétroliers dans ce qui se déroule en ce moment.

9/ Je constate enfin, et c'est la troisième différence, que les régimes à tendance islamistes de la région (malgré les différences flagrantes de centralisation et de gouvernance), à savoir celui de Khartoum et celui des Chébab, font face à la même difficulté : des sécessions armées croissantes, plus ou moins directement soutenues de l'étranger, et qui effritent peu à peu leur domination. Il y a ainsi probablement une lutte idéologique en sous-main contre les islamistes de la région.

10 / Nous avons commencé avec l'histoire, pour constater que le Soudan était un pays très artificiel : comme beaucoup, bien sûr. Mais les chocs en cours rendent presque inéluctable son émiettement. Et la tendance dépasse le seul Soudan pour être une une question régionale, aux confins de la corne, de l'Afrique centrale, du Sahel et du rift. Comme si les confins ne pouvaient rester dans leur entre-deux, et choisir leur camp.

O. Kempf


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