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Pour un État fort, mais sans État

Publié le 25 novembre 2011 par Copeau @Contrepoints

Par Stéphane Geyres, de l’Institut Coppet

Pour un État fort, mais sans État
La notion d’État est régulièrement au centre de nombreux débats, théoriques ou pas, entre libéraux de différentes obédiences. Bien des auteurs authentiquement libéraux font référence à ce terme, tour à tour pour en faire la source, l’objet même de tous nos maux, ou pour expliquer que finalement, il reste un mal nécessaire de toute société, du fait de la sécurité civile dont il serait le garant.

Une discussion récente avec un apprenti libéral m’apprenait ainsi que Pascal Salin lui-même faisait l’objet de joutes verbales acharnées pour le classer parmi les minarchistes (favorables à un État minimum, en général strictement régalien) ou comme un libertarien pur (donc opposé à toute forme d’État).  Il est vrai que la lecture d’un ouvrage immense comme son livre « Libéralisme » ne permet guère de trouver une position tout à fait explicite de ce grand libéral sur ce sujet. Pascal Salin est un fin communiquant qui évite d’entrer dans de tels débats pour faire mieux passer son message.

Et il faut bien reconnaître que des ambiguïtés analogues se retrouvent chez bien des auteurs, y compris un Ludwig von Mises dont le chef d’œuvre Human Action tourne continuellement autour de cet État honni mais indispensable, sans jamais trancher sur son besoin ou non.

Alors quoi, sommes-nous donc à jamais pris dans ce débat qui pourrait marquer dès lors le talon d’Achille des théories libérales ? Il me semble que non car une lecture existe qui pourrait  bien régler la question, une lecture simple qui plus est, comme tout ce qui est libéral.

Il faut dire que le terme « État » est largement ambigu, et que selon moi ceci contribue grandement à ces incompréhensions. On y colle régulièrement le même sens que des concepts comme l’État-autorité (régalien), l’État providence (telle la sécurité sociale, plus contestée), dans un autre genre le gouvernement ou les divers pouvoirs séparés, mais aussi l’administration et ses fonctionnaires, bref, la bureaucratie. Il me semble pourtant qu’il est possible d’approcher l’État d’une manière qui devrait réconcilier la plupart des libéraux, minarchistes comme libertariens, tout en aidant je pense aussi à expliquer aux novices les plus et les moins de Léviathan.

Une expression usuelle devrait nous mettre sur la piste : les fonctions régaliennes de l’État. La police et la justice, voire la défense – non, l’émission de monnaie n’a aucune raison d’être régalienne, encore moins la santé – constituent habituellement cet ensemble. Le terme important n’est pas ‘régaliennes’ mais ‘fonctions’. Même un libertarien pur et dur sera d’accord, ces fonctions doivent être assurées dans une société libre et pacifique.

Mais là où il y a probablement malentendu, c’est que ces fonctions ne supposent automatiquement pas un organe, une organisation quelconque pour les fournir. Nous vivons certes dans une société où l’État régalien fournit ces fonctions via une organisation elle aussi étatique – qui plus est rattachée au pouvoir en place – à savoir l’administration bureaucratique. Pourtant, c’est précisément leur nature bureaucratique et dépendantes du pouvoir politique qui rend les fonctions régaliennes non libérales. C’est parce qu’elles sont sous la coupe du pouvoir et non exclusivement au service des citoyens que police, justice et armée posent problème. Ce sont pouvoir et bureaucratie qui constituent Léviathan et non police ou justice.

Bien des auteurs, dont Rothbard, ont ainsi imaginé et démontré l’efficacité d’une organisation sociale où les fonctions régaliennes – toutes les fonctions régaliennes – seraient assurées par des entreprises capitalistes privées agissant sur le marché libre, comme les restaurants le font déjà pour une fonction encore plus essentielle : se nourrir.

Il s’agit donc de différencier fonction et organe pour aborder l’ambiguïté précédente sous un autre jour. On se rend compte ainsi qu’il est possible d’envisager un modèle où l’État joue son rôle, voire même celui d’un État ‘fort’, cher à Alain Madelin par exemple, sans pourtant que cet État n’ait de substance propre ou spécifique, mis à part à travers la réalisation sur le marché des fonctions régaliennes via des entreprises privées concurrentielles.

C’est finalement bien la même chose que la fonction essentielle ‘se nourrir’, qui est non pas régalienne mais carrément vitale, où sans intervention d’un État-bureaucrate quelconque, des milliers d’entreprises à la fois en réseau et en concurrence se relaient pourtant pour assurer non seulement la nourriture de tout un peuple, mais sa restauration.

Avec un tel modèle en tête, peut-être que les divers courants libéraux réussiront-ils à se rejoindre pour constituer le fleuve rugissant dont nous avons besoin pour bousculer la social-démocratie poussiéreuse ? Si cet article peut y contribuer, j’aurais eu l’impression d’une vague utilité.


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