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L’UFC-Que Choisir sonne la charge contre les grands éditeurs

Publié le 02 décembre 2011 par Duxxy28 @duxxy28

L’UFC-Que Choisir sonne la charge contre les grands éditeursSi vous surfez régulièrement sur le net, peut-être avez-vous déjà reçu cet appel à témoin de l’union fédérale des consommateurs : « Vous avez acheté un jeu vidéo et vous n’avez pas pu l’utiliser pleinement à cause de défauts de conception ? Merci de nous faire parvenir votre témoignage en indiquant le nom du (des) jeu(x) et son (leur) éditeur et en précisant si un correctif a été mis à disposition (si oui, dans quel délai). » Les résultats de cette enquête, aujourd’hui publiés, ont permis à l’UFC de porter plainte contre les pratiques retorses en place sur le marché du jeu vidéo. Le geste est certes louable, mais aura-t-il l’effet escompté ?

Comme à son habitude pourtant, l’union est clairement du côté des consommateurs et fustige les politiques de DLC, DRM, sorties hâtives de jeux non débuggés et autres problèmes de rétrocompatibilité pour les softs les plus anciens. Malheureusement, après étude du document, nous autres joueurs sommes en droit de nous interroger sur la pertinence de l’enquête réalisée. En effet, à une méthodologie floue et peu objective s’ajoute un réel manque de connaissances du jeu vidéo, notamment sur PC, et une interprétation des résultats pour le moins douteuse. Rappelons avant de poursuivre que cet article n’engage que son auteur, qui n’a pas la science infuse, et je vous invite donc à vérifier les propos ici tenus par vous-même pour vous faire votre propre opinion.

Une enquête à charge non représentative du milieu du jeu vidéo

Avant même de nous poser des questions sur la réalisation de cette enquête, nous pouvons déjà analyser la question posée au joueurs, pour rappel :

« Vous avez acheté un jeu vidéo et vous n’avez pas pu l’utiliser pleinement à cause de défauts de conception ? Merci de nous faire parvenir votre témoignage en indiquant le nom du (des) jeu(x) et son (leur) éditeur et en précisant si un correctif a été mis à disposition (si oui, dans quel délai). »

L’énoncé en lui-même implique bien sûr que seuls les mécontents répondront et donc que le panel ne sera absolument pas représentatif. On remarquera également que l’UFC se repose sur la bonne foi des joueurs pour indiquer si l’éditeur à patché son jeu et dans quel délai. Or ces dernières informations sont aisément vérifiables sur le site d’un éditeur ou simplement sur les forums Steam, si fouiller le net effraie les enquêteurs. Enfin, le terme « défaut de conception » est éminemment flou, et implique également que le joueur saura différencier un problème dû à la réalisation du jeu d’un problème lié à son matériel ou à ses drivers.

Une autre faute de ce document est de ne pas expliciter comment a été mené l’appel à témoin. A-t-il été envoyé par mail, publié sur le site de l’UFC, dans des journaux, sur des forums, sur des sites spécialisés ? Et dans chacun de ces cas, dispose-t-on d’une approximation du nombre de fois où le message a été vu ? Les seules précisions supplémentaires dont nous disposons sont : « l’association a reçu plus de 560 réponses. Après les avoir analysées, elle en a retenu 459, qui concernent les jeux les plus récents (sortis entre 2010 ou 2011) ou ayant encore un certain succès. » Encore une fois, qu’entend-on par « un certain succès » ? Enfin, nous apprenons que l’enquête a été réalisée sur deux fois deux mois, afin d’être plus représentative. Et si la méthodologie, comme nous venons de le voir, n’est pas tout à fait fiable, nous allons voir que les résultats et leur analyse paraît aussi étrange.

Résultats et interprétation

L’UFC-Que Choisir sonne la charge contre les grands éditeurs

Rage, injouable à sa sortie pour tous les possesseurs de cartes AMD. En cause, des pilotes développés dans l'urgence et gérant mal les librairies OpenGL

Dans la présentation des premiers graphiques, l’analyse semble juste : 36% des plaintes concernent le PC, 58% si l’on ne compte que les réponses indiquant justement la plateforme concernée par les doléances. Au passage, en ôtant 38% des réponses pour cause de matériel non cité, nous retirons 174 réponses sur les 459 retenues et arrivons à un total de 285 réponses pertinentes. Le panel se réduit. Cette prédominance du PC est expliquée de façon assez pertinente à cause de la variété du matériel possédé par les utilisateurs. Il est vrai qu’en travaillant sur des consoles, le problème de compatibilité disparait immédiatement étant donné que toutes les Xbox360 sont identiques en terme de composants. Hélas, ces problèmes de compatibilité matérielle semblent dans l’étude uniquement imputable aux développeurs de jeu. Je vous invite donc à aller faire un tour sur la page des drivers 11.11c de AMD (donc la quatrième version rien que pour ce mois) et de lire le changelog, en particulier la partie concernant les améliorations apportées à Rage. Ce jeu constitue un vrai cas d’école et démontre à quel point l’utilisateur voit son expérience affectée par son matériel. Il s’avère en fait que le dernier ID Software utilise OpenGL pour son moteur, une bibliothèque très mal gérée par les cartes AMD. Rappelons en outre que les premiers drivers Radeon censés améliorer l’expérience contenait en fait une ancienne version d’OpenGL et rendait donc les parties encore plus pénibles. Et dans les témoignages sur « Les pannes relatives au dysfonctionnement du jeu », que retrouve-t-on, sans se poser la question de la véritable origine de la « panne » ?

« Rage, impossibilité de jouer à cause d’une incompatibilité avec les drivers de la carte graphique. Problème corrigé par les constructeurs du matériel ATI et Nvidia au bout de 1 semaine, le patch officiel de l’éditeur est arrivé dans les mêmes délais à quelques jours près. Alexandre, Alès. »

Le plus intéressant reste ici que le joueur attribue explicitement le dysfonctionnement aux constructeurs de matériel, alors que l’enquête n’y fait jamais allusion. Il aurait également été bon de savoir combien de joueurs se sont plaints de plantages ou de corruption de sauvegardes suite à diverses bidouilles sur les fichiers de configuration. Des récriminations concernant une partie impossible à lancer sur Skyrim après avoir touché au fameux « ugridstoload » auraient été cocasses (la solution par ici, chapitre « Eviter les crashes »). Mais il semble que de ce point de vue le travail ait été bien réalisé.

Viennent ensuite le classement des jeux les plus récriés et des éditeurs les plus cités lors des témoignages : on retrouve EA cité à 27%, UbiSoft à 12% et Activision à 11%… chiffres correspondants à peu de chose près à la part de marché pour chacun des éditeurs, si on se réfère aux chiffres de l’année dernière (sources à la fin de l’article). Les jeux présentés quant à eux sont  dans l’ordre : Battlefield 3, Call of Duty Black Ops, Dead Island, Fallout : New Vegas, et Rage. En voici l’explication :

« Sans surprise, les jeux « blockbusters » les plus récents sont les plus cités. Si cela peut paraître normal sur le plan « statistique », cela l’est beaucoup moins sur un plan commercial et en dit beaucoup sur l’évolution de ce marché. »

Etant moi-même un peu demeuré, j’aurais apprécié qu’on m’explique pourquoi. Pourquoi un fait statistique normal, et donc conforme aux faits constatés par le passé et aux prévisions effectuées induirait une mauvaise évolution du marché ? En quoi le fait que les éditeurs les plus présents chez les joueurs soient les plus critiqués est-il commercialement anormal, surtout si l’on prend en compte le fait que les problèmes ne sont pas tous de leur fait, comme montré plus tôt ? Cette affirmation anodine de prime abord est au mieux l’expression d’une pensée confuse, au pire une preuve de mauvaise foi camouflée en lieu commun douteux. Au fait, un petit jeu s’est caché dans l’enquête : saurez-vous trouver les fautes dans le nom des jeux ? Fall out en deux mots et Black op sans s. Ce ne serait pas grave si cela ne révélait pas un manque de professionnalisme flagrant et une profonde méconnaissance du monde du jeu vidéo.

Viennent ensuite des demis-vérités sur les durées de vie des jeux actuels et les DLC. Les jeux sont trop courts, le jeu n’est pas vendu entier… Pire, nous apprenons qu’il est parfois nécessaire de payer pour obtenir des éléments essentiels pour finir le jeu ! Or prendre en compte le temps nécessaire pour terminer un jeu ne représente pas sa durée de vie. Sonic Generations se termine en cinq heures. Vous passerez pourtant aisément trente heures dessus. Battlefield 3 offre une campagne solo courte et exécrable, mais quid du multijoueur ? Le DLC de Deus Ex : Human Revolution ? Parfaitement dispensable et certainement pas un pan de l’histoire en tant que tel, plutôt une manière de prolonger l’aventure. Et je n’ai jamais vu de jeu nécessitant un deuxième passage à la caisse pour être terminé. Le problème ici n’est pas le combat contre les DLC abusifs et les temps de jeu rachitiques mais les arguments et assertions proposés. Avec une argumentation faible, une juste cause ne saurait être reconnue comme telle et en est même affaiblie.

L’UFC-Que Choisir sonne la charge contre les grands éditeurs

Les DRM et méthodes d'activation sont présentes directement sur la page su magasin Steam. Ici, Anno 0270.

Enfin arrivent les problèmes liés au jeu en ligne et aux DRM. Dans le premier cas, il n’est jamais question de la qualité de la ligne internet du consommateur, d’éventuels blocages d’un antivirus ou d’une solution possible par la mise à jour d’un logiciel tiers comme Punkbuster. Pour les DRM en revanche, les remarques sont assez justes. On nous explique que les jeux nécessitent des clés qui, une fois enregistrées sur le réseau, nous empêchent de revendre le jeu et tuent le marché de l’occasion. Sont également critiqués les activations obligatoires sur le net ou l’impossibilité d’installer son logiciel sur plusieurs machines dans certains cas. Seule fausse note ici, l’affirmation que les DRM sont souvent mal indiqués sur les boites de jeu ou sur les plateformes de téléchargement. Au dos de beaucoup de boite de jeux, on retrouve spécifiés les DRM présents et les prérequis à l’installation du jeu. Et sur Steam, la « Gestion des droits numériques tiers » est systématiquement signalée sur la page magasin du jeu.

Et ce qui devait arriver arriva

Une méthodologie obscure, peu justifiable, des résultats en faible nombre et peu pertinents, une analyse biaisée et des arguments à la limité de la malhonnêteté intellectuelle, le tout rédigé par des étrangers au monde du jeu vidéo. A part créer un buzz médiatique, cette enquête ne pourra malheureusement faire que du tort aux joueurs. Avec des preuves aussi faibles et une telle méconnaissance du marché, l’UFC-Que Choisir part bille en tête vers un procès perdu d’avance, offrant par la même occasion une belle jurisprudence aux gros éditeurs en défaveur des joueurs. James Rebours, président du S.E.L.L. (Syndycat des Editeurs de Logiciels de Loisir), ne s’est d’ailleurs pas gêné pour contrer l’étude point par point dans un entretien paru sur le site Chalenges.fr. Bien sûr, le procès n’a pas encore eu lieu mais je suis particulièrement pessimiste sur sa conclusion.

Au final, on retiendra de cette enquête un bon coup de pub pour l’Union Fédérale des Consommateurs et un cadeau empoisonné pour les joueurs. Chacune des protestations évoquées est pourtant légitime : marre des jeux bâclés ou amputés pour sortir à temps, des expériences de quatre heures les yeux bandés et une main dans le dos, des DLC miteux vendus à prix d’or, marre enfin des DRM qui nous empêchent de profiter de notre bien, payé de notre poche. Mais avec un justicier en carton pour nous appuyer, nous risquons vite de connaître les lendemains qui déchantent une fois le soufflé médiatique retombé. Pourtant, là-bas au loin dans les lignes ennemies, une lueur d’espoir persiste. Elle est portée par les indépendants souvent réfractaires à ces pratiques nuisibles au consommateur, et par certains développeurs comme les fondateurs de CD Projekt qui militent en actes plutôt qu’en effets de style grandiloquents et inefficaces. Et vous, que pensez-vous de cette enquête ?

Sources :

L’enquête de l’UFC-Que Choisir

Une étude sur le marché du jeu vidéo

Le bilan financier d’Ubisoft au troisième trimestre 2010/2011

Le bilan financier d’Electronic Arts au premier trimestre 2011

La réponse du S.E.L.L. à l’enquête, pour Challenges.fr


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