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et machines d'histoire(s)

Publié le 22 janvier 2008 par Deklo
 
  Yang Zhenzhong -  I will die
  Alors vous avez cette puissance qui s’organise dans le but de se préserver. Et ce qui est appelé la société, ça va être, quand même, un mode d’organisation de cette puissance. Vous voyez d’une part, qu’il n’y a pas d’opposition entre société et individus, que ça ne se conçoit pas par dualités, corrélations supra/infra, macro/micro, puisqu’une société, c’est une organisation de puissances, d’autre part que ça ne s’articule pas par des mécanismes de pouvoir, puisque ça s’agence par effectuations de possibilités. Le pouvoir, c’est une possibilité parmi les possibilités, y compris, par exemple, une possibilité d’impossibilité, qui répond aux nécessités possibles. Vous avez cette tension où tout ce qui est possible n’est pas nécessaire et tout ce qui est nécessaire n’est pas possible, mais où ce qui est effectué est tendu entre nécessités et possibilités. Il faut voir les échos d’effectuations, les possibilités qui se saisissent qui rendent possible, les nécessités rendues possibles qui saisissent les possibilités, etc… On peut appeler ça des chaînes ou des séries. Ou des échos d’effectuations donc. J’insiste sur l’agencement de cette conception. Vous n’avez pas des structures et des renvois indéfinis qui débordent l’individu et le rendent impuissant, impuissant à agir sur des choses mouvantes, impuissant à être ce qu’il ne sait plus qu’il est, là, vous avez des mouvements d’effectuations qui se provoquent, se génèrent, se fabriquent et ouvrent les possibilités de cet individu. Le pouvoir, donc, ne va certes pas être un contrôle absolu sur toutes les choses, mais une marge de manœuvre sur une « séquence conséquentielle » d’échos d’effectuations. Vous n’avez pas un individu qui subit des effectuations dont il est aux prises, mais un individu qui agit, qui agit jusqu’à subir en tant qu’action, sur des effectuations là où il a prise, entre ses nécessités et ses possibilités. Que ce soit clair : cet individu est impuissant à tout contrôler et à tout savoir, cela ne prouve pas qu’il ne contrôle ni ne sait rien, ni même qu’il est contrôlé et su par ce qu’il ne contrôle ni ne sait pas. Je dénonce ici ce glissement nauséabond et fantasmatique du structuralisme qui ne s’est pas débarrassé de ses absolus, bien au contraire. L’individu est impuissant à tout contrôler, tant mieux, ce n’est pas à l’absolu qu’il se mesure. Cette impossibilité n’est pas dépressive, elle est réjouissante dans ses séquences conséquentielles d’effectuations, puisqu’une impossibilité, la possibilité d’une impossibilité, ce n’est pas l’impossibilité d’une possibilité, ce n’est pas de l’impuissance, mais l’ouverture de toutes les autres possibilités. Il a fallu une tristesse assassine et folle pour s’appesantir, s’enliser, s’épuiser dans des impossibilités jusqu’à se faire impuissant.
  Vous avez cette machine organisationnelle, on peut remonter à la nature, non pas la nature de la machine, mais la machine de la nature, on peut faire ça aussi, c’est très drôle, on peut la prendre quand elle découvre le feu, tiens. Il y a ces foudres qui s’abattent, ces feux qui se déclenchent et se propagent, imaginez les êtres humains entourés comme ça de feux, non pas en permanence, mais de temps en temps, foudroyés, c’est-à-dire aussi très surpris, rendus impuissants par la surprise de ce feu qui s’abat. Et puis, là vous mesurez la puissance de ces machines, ces êtres qui vont rendre possible de le produire eux-mêmes ce feu et en le produisant eux-mêmes de croire le contrôler. Alors, c’est comme toute effectuation, le feu, c’est suivi d’échos conséquentiels, ça ouvre des possibilités et des nécessités, ça brûle, ça réchauffe, ça éclaire, ça cuit, etc… Imaginez, il faut bien que ça serve à quelque chose l’imagination, imaginez l’effervescence de ces gens, l’agitation que provoque leur découverte, tout ce que ça rend possible. Vous voyez, la question ne se pose pas de leur contrôle absolu du feu, mais de leur marge de manœuvre, de ce qui va être possible avec ce feu, ce qui va être possible de ce qui est nécessaire à ce qui ne l’est pas, par exemple tout faire brûler par accident, c’est une effectuation aussi. Bon et puis, alors ça c’est le miracle de l’humanité, vous avez ces êtres humains, sans doute assez mécontents de ne pas tout contrôler, qui vont se mettre à danser autour du feu, à prier, à se livrer à toutes sortes d’activités incantatoires. Vous voyez ces gens se détourner des effectuations et fabriquer, élaborer un pouvoir magique et hallucinogène qui tend à palier leur impuissance à tout contrôler.
  J’ai pris l’exemple du feu, parce que c’est une découverte éblouissante évidemment, mais ce n’est qu’un exemple. Ce que j’essaie d’esquisser, c’est la capacité de l’être humain à halluciner et à voir dans quoi elle s’inscrit, parce que j’y vois l’émergence de la question du sens en tant que pouvoir magique de contrôle absolu. Vous avez ce que Hegel appelle une « nature hostile » et une réaction de « divinisation ». On voit bien en quoi elle est hostile cette nature, c’est qu’elle n’est pas absolument contrôlable, c’est que l’être humain est une puissance d’effectuation, mais n’est pas la seule puissance de toutes les effectuations, qu’une effectuation comprend elle-même une puissance d’effectuations. Vous avez un être humain qui se vit comme dépassé par les échos d’effectuations des effectuations dont il est la puissance, il fait tel truc, ça a telles conséquences de faits, et les effectuations que les effectuations ont en puissance, tel fait a telles conséquences de faits. Et vous devez forcément pressentir le point d’achoppement, ce à quoi l’être humain ne peut décidément pas se résoudre, le contrôle qu’il ne peut pas admettre de ne pas avoir, je ne peux pas croire que vous ne le ressentiez pas intimement, dans ce qui vous fait être, celui de sa propre mort, celui d’être une puissance qui tend à se préserver en train de mourir. Ca c’est bien la seule ontologie qui se dégage de la nature, la seule nature de l’être humain de la nature, non pas qu’il est bon ou mauvais, libre, fort ou raisonnable, ça c’est du délire spéculatif, non, regardez, la nature de l’être humain, la seule nature de l’être humain, sa seule ontologie, c’est qu’il est en train de mourir.
  Qu’est-ce qui va faire qu’en même temps qu’il saisit les possibilités et qu’il rend possible, c’est-à-dire qu’il va prendre à bras le corps la réalité, jouir en tant que puissance, avoir la jouissance, qu’est-ce qui va faire qu’en même temps, l’être humain va délirer un contrôle absolu fou, recouvrir le monde de son flux de parole et de pensée, l’envahir de son esprit et de ses fantômes ? Vous voyez l’émergence de la parole et de la pensée en tant qu’instances qui vont leurrer l’être humain, tout autant palier son impuissance à tout contrôler que la maintenir. Vous voyez le verbe créer les dieux, c’est-à-dire le sens, en tant que pouvoir magique de contrôle absolu qui se substitue à la réalité du monde. Vous avez une réalité d’échos d’effectuations, dans laquelle l’être humain est une puissance qui produit et adapte des effectuations, et puis vous avez un monde imaginaire qui recouvre cette réalité. Ca va jusqu’à cet être qui ne touche jamais une terre qu’il a entièrement recouverte de goudron, sous un ciel entièrement masqué par les effectuations de sa production polluante, qui ne voit jamais l’horizon, entouré par les remparts de ses constructions. C’est-à-dire cet être tellement halluciné par lui-même qu’il a recréé un monde dans l’espoir impuissant et vain de pouvoir enfin tout contrôler.
  C’est ici que je vois l’agencement des rapports situationnels comme fabrication de sens dans cette hallucination de contrôle absolu. Les rapports situationnels sont réactifs, c’est l’être humain qui se vit impuissant, par un caprice hystérique et vorace qui veut que s’il n’a pas le contrôle sur tout, alors il considère n’avoir le contrôle sur rien, qui fait que s’il meurt, alors toute sa marge de manœuvre d’effectuation et de contre-effectuation, sa vie même, ne vaut rien, qu’il est déjà mort, qu’il boude sa vie. Tout ce et ceux sur quoi il n’a pas le contrôle, le renvoient à son impuissance fondamentale, à sa panique folle, d’être en train de mourir. C’est ce que j’entends dans cette parole de Jésute – cet homme qui disait pouvoir déplacer les montagnes par la prière, qui le disait pour ne pas avoir à le faire – : « mon royaume n’est pas de ce monde ». J’entends un être qui n’admet pas ne pas avoir de contrôle sur tout ce qui l’entoure, renoncer à rien contrôler pour imaginer un monde dans lequel, alors, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a le contrôle absolu, puisqu’il en est le fils. Vous saisissez ce rapport réactif, à quoi il répond, comment il entérine cette impuissance en même temps qu’il y répond, comment il nie la réalité, là où l’être humain peut exercer sa puissance, pour produire des pouvoirs magiques dans un monde halluciné ? Là je vois l’être humain situer et être situé dans des images et des symboles, dans ses productions qui nient la réalité en tant que puissance d’effectuation où il finit toujours par mourir, pour fabriquer un monde où tout prend sens, c’est-à-dire où il croit tout contrôler et délire son immortalité.
  Ca donne donc la fabrication des dieux, vous voyez sur quelle béance elle se fonde, quelle béance elle creuse en s’y fondant. Concevez ces êtres qui vont voir l’intervention divine dans tout. Si l’être humain ne peut pas avoir ce contrôle absolu, il va le fabriquer. Il va fabriquer ce pouvoir, et le monde sur lequel ce pouvoir va s’exercer. Vous avez ce monde où la foudre s’abat, par rapport à quoi l’être humain ne peut pas se situer, il peut produire du feu, il a une marge d’adaptation, d’utilisation, d’effectuation, mais il ne peut pas contrôler absolument le feu… pourtant il faut bien que ce pouvoir magique de contrôle absolu soit quelque part… alors ce feu, vous allez le voir s’agencer en tant qu’intervention de ce pouvoir magique, par exemple celui des dieux. Ce feu ne renvoie plus du tout à l’impuissance, mais au pouvoir, il semble même apporter la preuve de ce pouvoir, un pouvoir par rapport auquel l’être humain peut fabriquer du sens et se situer, il peut prier les dieux de ne plus abattre leur foudre, de faire pleuvoir, de gorger la terre de nourriture, d’affaiblir ses ennemis, de déplacer les montagnes, etc… Comme il invente et un pouvoir magique de contrôle absolu, celui des dieux, et un monde, le monde que les dieux créent, le monde sur lequel les dieux ont un pouvoir, comme il est l’inventeur des dieux, du pouvoir et du monde, qu’il le sait – la foi en dieu ne marche qu’à savoir que dieu n’existe pas, vous retrouvez ça chez tous les mystiques – alors il peut halluciner son impuissance.
  Il faut voir un monde où l’être humain parle à dieu, c’est le même qu’un monde que la science fait parler ou qu’un monde où l’être humain parle aux médias, un monde où tout ce qu’il fait, jusqu’aux « circonstances les plus insignifiantes » comme dit Renan, prend sens, c’est-à-dire le situe. Ca, c’est cette merveilleuse propension de l’être humain à se soumettre à qui le regarde, le situe, parce que le regarder, le situer, c’est lui faire croire à son immortalité. Il faut voir ce qui se met en jeu dans ce verbiage, le contournement, le détournement de sa puissance d’effectuations, l’investissement d’une parole qui crée les dieux, ou la science ou les médias, ou tout pouvoir absolu, qui eux-mêmes créent un monde de sens. Alors, qu’un jour, cet être humain désemparé devant la foudre ait pu expliquer scientifiquement les causes de cet effet, c’est bien ce qui a pu lui arriver de pire, parce que ça l’a conforté dans son délire de contrôle impuissant, de fabrication de sens dans lequel il se situe là où il n’est pas, à savoir là où il nourrit l’espoir de ne pas mourir, et certes il ne meurt pas, parce qu’il est déjà mort. Il faut voir que la science, dans son rapport différentiel aux religions, ne se constitue pas comme leur annulation, mais à se construire contre elles, les prolonge. Il faut voir que la science comme les religions expliquent le monde et guérissent les malades. Et les malades guérissaient grâce aux soins thaumaturgiques, comme ils guérissent maintenant grâce aux thérapies scientifiques, en partie par la foi, en partie parce que les thaumaturges et les scientifiques créent les maladies qu’ils guérissent, en partie par effectuations. Il faut voir que les religions et les sciences, plus ou moins en opposition symétrique, plus ou moins en parallèle, se fondent en tant que pouvoir magique de contrôle absolu.
  Je reprends : vous avez des êtres humains qui ne peuvent se résoudre à ne pas contrôler tout et tous, parce que ce serait se résoudre à mourir, qui inventent des instances qui contrôlent tout, les dieux, la science, etc., comme ils inventent et s’inventent eux-mêmes en tant qu’instances contrôlables. Les rapports situationnels, articulés entre sens, immortalité et contrôle absolu trouvent là leur émergence. Vous avez ce délire de contrôle absolu qui fabrique l’impuissance qu’il comble. Et ça va jusqu’à cet être humain structuraliste qui ne contrôle plus tout, mais qui est contrôlé par tout. Vous voyez l’hypothèque du contrôle absolu sur la mort non seulement maintenue, mais même réactualisée. Alors l’idée, ça ne va pas être de se fonder ailleurs dans une logique de rapports différentiels, pour toutes sortes de raisons, par exemple parce que cela reviendrait à emporter avec vous ce à quoi vous voulez échapper, mais aussi parce que vous n’avez pas affaire à des choses fixes et définies, sur lesquelles vous appuyer pour rebondir, mais à des mouvements, des mouvances. Il va donc s’agir de tracer des lignes, des perspectives et de foncer dans le tas. L’idée, c’est de dégager la puissance d’effectuations, jouir des marges de manœuvres. La puissance, c’est la marge de manœuvre dont vous jouissez entre nécessités et possibilités, jusqu’à l’impossible de la mort. Vous avez cette marge, précisément parce qu’il y a cette impossibilité. Et bien en tant que puissance, vous allez regarder votre marge dans les religions, votre marge dans les sciences, votre marge dans le sens ou le non-sens, c’est pareil, etc. Vous allez sans doute contourner le mythe du pouvoir magique, c’est-à-dire vous allez sans doute l’ébrécher, faire une brèche, créer votre marge. Il se peut qu’il s’effondre. Il est déjà effondré. Depuis un siècle, il fonctionne à être effondré, c’est bien la preuve que c’est magique. Mais ça ne va pas être votre problème. On s’en fout du pouvoir magique. On sort de la logique des rapports différentiels, on ne va pas se construire par opposition, différenciation ou identification avec quoi que ce soit. On a des êtres humains en proie à leur impuissance qui se livrent à leurs danses théurgiques autour du feu, grand bien leur fasse. On va voir aussi leur puissance d’effectuations dans tout ça, la marge qui s’en dégage, ce qu’il y a de praticable. Et même, on va faire feu de tout bois, c’est-à-dire, n’est-ce pas, aller là où on est puissants, dans nos possibilités d’effectuations. Vous voyez, ça peut se réorganiser, mais par le déséquilibre, par l’effondrement, par effectuations annexes de la marge que vous allez dégager. La puissance, c’est à la fois la force, la tension elle-même, et sa méthode.
  Vous avez cet être humain qui se laisse foudroyer dans son impuissance. Vous regardez ça comme un idéal, vous le fonder dans son pouvoir magique, vous n’en faites rien ou vous faîtes la même chose, c’est-à-dire son contraire ou autre, ailleurs. Vous trimballez ce pouvoir d’impuissant. Et puis vous regardez comment ça s’organise, comment ça fonctionne, avec quoi ça s’articule, et là vous dégagez les marges, là vous foncez dedans pour créer vos brèches, là vous effondrez le monstre qui se perçoit comme un système, un idéal, une image, un truc qui se regarde, vous effondrez cette perception même et vous utilisez tout ce que vous pouvez, vous saisissez toutes les possibilités que ça offre, vous rendez possible. Je voudrais vous faire pressentir la jouissance de cette activité.

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