Magazine Politique

Les mots de la politique (20) : la germanophobie

Publié le 03 décembre 2011 par Variae

Amis Allemands qui lisez ces lignes, je sollicite votre totale attention pendant quelques secondes. Si vous vivez actuellement en France, PRENEZ GARDE. Gardez votre calme, conservez un sourire constant, mais rassemblez vos affaires, regagnez votre domicile, et réservez de toute urgence un billet nach Berlin. Vous n’êtes plus en sécurité. Un terrible péril vous guette dans l’Hexagone : la bête immonde de la germanophobie.

 

Les mots de la politique (20) : la germanophobie

Tous les jours, d’innocents passants en salopette de cuir et tee shirt Oktoberfest se font lyncher par des foules gauloises démentes, la bave aux lèvres, quand elles ne sont pas occupées à brûler des drapeaux allemands en pleine rue. La CGT bloque des dépôts alimentaires pour y organiser des autodafés de conserves de choucroute. Pas plus tard qu’hier, une meute d’étudiants de l’UNEF a défoncé les portes de l’ambassade d’Allemagne à Paris, passant à tabac son personnel et dévastant ses locaux.

A moins que ce ne soit l’ambassade d’Angleterre à Téhéran ? Le doute m’envahit. Peut-être, ami allemand, que tu ne risques en fait rien en France. Si l’on ne peut plus faire confiance à d’aussi grandes éminences intellectuelles que Jean Quatremer, Dany Cohn-Bendit ou Alain Juppé, où allons-nous, je vous le demande ! Tous ont, la main sur le cœur, le cœur au bord des lèvres, dénoncé solennellement la germanophobie qui envahit notre beau pays. « Germanophobie hystérique », même, selon Jean Leonetti, « ministre des affaires européennes » dont on découvre l’activité ministérielle au détour de cette saillie – c’est déjà ça.

La cause de cette subite indignation ? Quelques mots des socialistes Arnaud Montebourg et Jean-Marie Le Guen, qui ont eu le malheur d’émettre un comparatif, pour l’un, entre Merkel et Bismarck, et pour l’autre entre les renoncements à répétition de Nicolas Sarkozy et celui de Daladier à Munich. Honte, honte à eux et sur toute la gauche ! Que la première comparaison vienne en vérité du patron des socialistes … allemands, Sigmar Gabriel, et que la seconde soit un lieu commun éculé de la langue française n’a apparemment frappé personne. Que l’inénarrable Quatremer soit en guéguerre personnelle contre Arnaud Montebourg depuis des semaines, que Cohn Bendit, Juppé et Leonetti soient en compétition électorale avec le PS, n’a, sans aucun doute, aucun lien non plus avec la violence de leurs réactions.

On pourrait rire de ce qui est bien pour le coup une flambée verbale hystérique et grotesque, de ce savant montage en épingle de propos (de Montebourg, de Le Guen) tout au plus maladroits et ayant eu le mérite de poser le débat sur le couple franco-allemand et la crise européenne. Mais cela n’a en fait rien de drôle. Depuis quelques années, on assiste à une inflation verbale sur le thème de la –phobie. Homophobie. Islamophobie. Christiano-, cathophobie. Prolophobie ( !). Et maintenant donc le retour de la germanophobie. Ces mots mettent leur puissance au service de la dénonciation d’une discrimination subie par une communauté, une catégorie, une classe sociale. Ce faisant, ils mettent également un signe d’égalité entre toutes ces –phobies. Et c’est là que surgit le malaise. Car derrière ces concepts, il y a des situations, des intentions et des auteurs qui n’ont pas grand-chose à voir – c’est le moins qu’on puisse dire. Quel rapport entre l’homophobie, désignant les brimades (jusqu’au meurtre) et le rejet subis par des citoyens demandant l’égalité des droits, et la christianophobie mise en avant par des intégristes chrétiens pour bloquer des salles de spectacles ? Evidemment, aucun. Le même exercice pourrait être fait en comparant un à un tous les concepts « phobiques » que j’évoquais auparavant. Outre l’effet de mode, ces constructions lexicales peuvent devenir le vecteur de manipulations idéologiques pernicieuses, permettant à des forces politiques ou religieuses de s’inventer des ennemis chimériques, pour mieux prendre la pose, ensuite, de victime. Ou leur permettant de se refaire une virginité tout en rejetant leurs propres vices sur leurs adversaires. Que penser de Juppé et Leonetti qui imputent une xénophobie anti-allemande aux socialistes, tout en appartenant à une majorité qui organise la précarisation (c’est un euphémisme) des étrangers en France ? Qui prêche la naturalisation tout en la refusant dans les faits, comme le relate dans Libération mon ami Amine El Khatmi ? Pourquoi se taisent-ils, le fils spirituel de Chirac et le fantomatique ministre des affaires européennes, quand leur collègue Guéant dénonce le fléau de l’immigration ?

Il y a plus inquiétant encore. En inventant une nouvelle –phobie chaque jour ou à l’occasion de chaque nouvelle polémique politicienne, on fait perdre toute force au suffixe. Que nous restera-t-il, comme mots, pour dénoncer le racisme ou l’extrémisme si par malheurs ils devenaient un fait de société majeur en France ? Si comparer Merkel à Bismarck fait de moi un germanophobe, alors la xénophobie, par exemple, ou l’homophobie, ce n’est pas bien grave. Les mots les plus lourds de sens, les plus importants s’usent quand on les emploie inconsidérément. Mais c’est peut-être tout l’effet recherché par certains dans cette ridicule polémique qui n’honore pas ce début de séquence présidentielle.

Romain Pigenel

Les autres mots de la politique, traduits par Variae, sont ici.


Retour à La Une de Logo Paperblog