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[Multimafieusenales] Bhopal, 25 ans après : 25 000 morts et des centaines de milliers de victimes

Publié le 03 décembre 2011 par Yes

Manifestation indienne contre Dow Chemical
Manifestation indienne contre Dow Chemical
Martina Salvi

Depuis la semaine dernière, des manifestations s’organisent en Inde et dans le monde entier pour commémorer le 25ème anniversaire de la catastrophe de Bhopal qui avait provoqué la mort de milliers de personnes. Aujourd’hui, alors que le site n’est toujours pas décontaminé, de nouvelles victimes apparaissent. Avec des milliers d’autres femmes indiennes Rashida Bi demande inlassablement réparation à Dow Chemical.

Bhopal. Le nom de cette ville du centre de l’Inde reste attaché à la plus grande catastrophe industrielle chimique du siècle dernier. Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984 en effet, une fuite de gaz causée par l’explosion d’une cuve de pesticides produits dans une usine d’Union Carbide (rachetée en 2001 par Dow Chemical) cause la mort de 8 000 à 25 000 personnes -selon les sources- et en blesse des centaines de milliers d’autres. 25 ans plus tard, les 30 000 personnes qui vivent autour du site, souvent dans des conditions extrêmement modestes, continuent d’en payer le prix. Car aujourd’hui encore, 5 000 tonnes de déchets restent enterrés au cœur du site, polluant les nappes phréatiques qui alimentent le quartier en eau. « Selon des experts, cette eau est tellement impropre qu’il ne faudrait même pas se laver les mains avec. Or, les gens la boivent tous les jours ! Environ 100 000 personnes souffrent de cancers, de tuberculose et d’autres maladies mais c’est la « deuxième génération » de survivants qui est aujourd’hui la plus affectée. De nombreux enfants sont en effet atteints de malformations très graves et de lésions cérébrales », rapporte Rashida Bi, une survivante de la catastrophe (voir encadré) qui milite aujourd’hui pour que Dow Chemical nettoie le site et reconnaisse sa responsabilité.Le pari est loin d’être gagné. Car si, selon sa déclaration officielle, l’entreprise n’a « pas oublié cette tragédie » et affirme en avoir « tiré des leçons » en souscrivant au programme Responsible Care*, Dow Chemical déclare toujours n’être « en rien responsable du drame de Bhopal » sachant qu’elle n’a « jamais possédé ou même exploité l’usine ». Et renvoie de fait à Union Carbide qui, en 1989, a indemnisé les victimes à hauteur de 470 millions de dollars, soit près de 6 fois moins que la compensation nécessaire estimée. Il y a « deux poids, deux mesures », estime Rashida Bi. Car Dow a en revanche pris la responsabilité d’Union Carbide dans l’affaire de l’amiante et une autre fuite de gaz aux Etats-Unis. « Une vie américaine semble plus précieuse qu’une vie indienne », dénonce Rashida.

Les victimes face à l’indifférence

De fait, alors que Dow Chemical met en avant, dans ses documents officiels, sa responsabilité sociale et son implication dans les projets destinés à améliorer le sort de la population en Inde, l’entreprise n’a jusqu’à présent pas témoigné d’un grand intérêt pour les représentantes des victimes. Rashida Bi raconte ainsi les différentes tentatives de dialogue qui ont eu lieu depuis le rachat d’Union Carbide: «  Nous avons rencontré plusieurs fois les dirigeants de la société à Bombay. La première fois, en 2001, nous avons pu les voir pour demander qu’ils prennent en charge la responsabilité de la catastrophe mais, quand nous sommes sortis, nous avons été arrêtées par la police. Un an plus tard, nous sommes venues à 500, avec notre balai, l’emblème de notre mouvement qui symbolise le nettoyage du site et notre colère, ainsi que des échantillons d’eau et de terre provenant du terrain de l’usine pour qu’ils les analysent. Nous avons dû leur payer une amende correspondant au prix du temps -10 mn- que le responsable a perdu à nous recevoir… Ensuite, à chaque fois, ils ont porté plainte et nous ont réclamé une amende. » Inlassablement pourtant, les femmes de Bhopal continuent à rendre visite à Dow, en Inde et dans le monde entier ; en Afrique du sud, aux Etats-Unis, dans le Michigan où se trouve son siège social, ou aux Pays-Bas. Mais sans succès. « Ils n’ont même pas pris la peine d’analyser nos échantillons », déplore Rashida Bi.

Le combat des femmes de la Chingari Trust Survivantes de la catastrophe, Rashida Bi et Champa Devi Shukla font partie des personnes emblématiques du mouvement de défense des victimes de Bhopal. Leur combat a débuté en 1987 avec le syndicat « Bhopal Gas Peedit Mahila Stationery Karmachari Sangh » qui regroupait des femmes travaillant dans une papeterie créée par le gouvernement dans le cadre d’un programme de réinsertion des victimes. Puis, en 1999, elles lancent un procès contre Union Carbide et entament une grève de la faim. Récompensées en 2004 par le Goldman environmental award, connu comme le Prix Nobel de l’environnement, elles décident alors d’utiliser les 125 000 dollars qu’elles reçoivent pour fonder la Chingari trust, une fondation qui soigne près de 300 enfants victimes de malformations ou de lésions cérébrales et aide leurs mères à trouver un travail. Les femmes sont en effet les plus affectées par la catastrophe car, en plus des maladies qu’elles peuvent développer tel le cancer du sein, elles souffrent souvent de l’opprobre social. « Par la force des choses, ce sont donc elles qui sont le plus impliquées dans les associations de victimes », souligne Rashida Bi.

Parallèlement, de multiples actions en justice sont en cours, dans plusieurs villes d’Inde et aux Etats-Unis (voir article lié) mais aucune n’a pour l’instant abouti. « Je n’ai aucun espoir que la justice soit un jour rendue », soupire Rachida qui dénonce l’attitude de la justice et du gouvernement indiens, qu’elle juge tous deux clairement en faveur de Dow Chemical. « Le gouvernement a peur de décourager d’autres entreprises étrangères de s’implanter dans le pays », estime-t-elle. Ainsi, le gouvernement n’a pas jugé bon de demander l’extradition de l’ex-patron d’Union Carbide, Warren Andersen, en fuite depuis 1984 aux Etats-Unis, ni de fournir de l’eau potable à toute la zone contaminée (seule une petite partie des quartiers pollués ont accès à des citernes depuis mai 2009), encore moins de procéder au nettoyage du site qu’il juge officiellement comme non pollué. Pour les 25 ans du drame, les autorités indiennes ont même décidé d’ouvrir l’usine au public pendant une semaine, histoire de « dissiper les peurs » des habitants, selon le responsable du ministère de l’Aide et de la Réinsertion chargé de l’affaire Bhopal. Une décision qui paraît aussi incompréhensible que dangereuse sachant que des matériaux hautement toxiques sont encore sur place…

Plus jamais ça

« Dernièrement, le gouvernement a fait deux propositions concernant ces déchets, ajoute Rashida. Soit ils pouvaient être brûlés dans une ville du Nord Ouest du Pays, soit ils étaient simplement déplacés dans une autre…Or nous n’avons pas les compétences en Inde pour traiter ces déchets toxiques, ils doivent être pris en charge par Dow, aux Etats-Unis. Nous ne voulons pas d’un deuxième Bhopal… »

De son côté, Dow Chemical tente toujours de renforcer son implantation sur le sous-continent en multipliant les projets de recherche. Cependant, elle doit faire face à l’hostilité croissante des associations de victimes et de leurs sympathisants. Ainsi l’institut indien de technologie (ITT) refuse toujours d’ouvrir ses portes aux subventions et aux recruteurs de la société tandis qu’au début de l’année des militants ont démoli le centre de recherche de Dow à Pune, au Nord ouest de l’Inde, ainsi que celui de Chenai, dans le Sud est. A l’occasion du 25ème anniversaire de la catastrophe, plusieurs ONG et associations de victimes ont également annoncé leur volonté d’intensifier leurs actions. Le 19 novembre, des centaines de personnes se sont déjà réunies devant le siège de Dow Chemical à New Delhi et d’autres manifestations sont prévues dans 80 villes indiennes et 800 autres lieux à travers le monde, dans la semaine du 3 décembre. Car 25 ans après l’accident, l’ampleur du drame et surtout sa gestion par Union Carbide et Dow Chemical pose de sérieuses questions sur la réalité de la responsabilité sociale affichée par les entreprises.

Actualisation: le 7 juin 2010, huit personnes, parmi lesquelles le président de la branche indienne d’Union Carbide, Keshub Mahindra, ont été reconnues coupables pour leur responsabilité dans l’accident par le tribunal de Bhopal. Déjà accusées d’homicides en 1987, la Cour suprême avait cependant réduit leurs chefs d’accusation dix ans plus tard…Aujourd’hui encore, les deux ans de prison qu’ils devront réaliser est perçu comme une “insulte” par les victimes. L’affaire qui a également secoué le parlement a entraîné la prise d’une série de mesures pour réparer les conséquences de la catastrophe. L’Inde va notamment tenter d’obtenir l’extradition de l’ancien Pdg de Union Carbide, Warren Anderson, en fuite aux Etats-Unis depuis 1984.

* programme volontaire de l’industrie chimique visant à établir des normes de protection pour le personnel des entreprises et des communautés vivants autour des sites de protection.

Bhopal, 25 ans après – Sites et riverains – responsabilité sociale des entreprises.


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