En parler, ne pas en parler. De la petite saloperie du jour, dans cette campagne électorale qui commence sous les pires auspices que l’on puisse imaginer – rumeurs, ragots, mensonges, insultes, entre fin de règne et fin du monde, ou du moins fin de l’Europe telle qu’on l’a connue. Une petite saloperie, donc, lâchée par Claude Guéant dans l’interview politique rituelle du Journal Du Dimanche, juste à temps pour faire l’actualité d’un morne dimanche d’automne.
En parler, de cet aveu en passant sur un contrôle de DSK au bois de Boulogne par la police – aveu en passant, mais occupant quand même un quart de la synthèse de l’interview de Guéant sur le site du JDD, la synthèse en ligne que tout le monde lira. En parler pour dénoncer la manœuvre, l’acharnement sur un homme à terre et qui n’est plus dans le jeu politique, l’acharnement à pourrir la campagne, à salir la gauche par procuration, l’acharnement, peut-être, à cacher le jeu trouble des hommes du Président dans l’affaire du Sofitel.
Ou alors ne pas en parler. Pour ne pas se faire prendre, justement, dans les rets de cette stratégie de diversion de l’UMP, qui permet à la majorité sortante de balader journalistes, opposition et opinion de polémique en polémique (hier, c’était la prétendue germanophobie, demain ce sera autre chose encore), et d’éviter ainsi son bilan et le débat politique sur les grands enjeux de 2012. Ne pas en parler parce que la gauche, décidément, a déjà perdu bien assez de temps et de plumes avec le feuilleton DSK. Ne pas en parler en remarquant que finalement Guéant ne fait que répondre à une question que lui pose le JDD, et qu’il est peut-être simplement, pour le coup, victime de son image et de ses sorties de route des derniers mois. On ne prête qu’aux riches.
Mais quand même. A la relecture de ces quelques lignes de Guéant, il y a quelque chose qui cloche.
« En décembre 2006, la police aurait interpellé Dominique Strauss-Kahn dans le bois de Boulogne. L’avez-vous su ? Oui, j’ai entendu parler de cette histoire au cours de laquelle monsieur Strauss-Kahn avait été contrôlé au bois de Boulogne par les fonctionnaires en charge de la surveillance de cet endroit lors d’un contrôle de routine. Mais, il n’y a aucune procédure à ce sujet. Il n’était pas tombé dans un guet-apens de la police! Il n’était pas suivi. Ce n’est quand même pas la faute de la police s’il était là-bas ce soir-là! »
« J’ai entendu parler de cette histoire ». Pour mémoire, en décembre 2006, Claude Guéant est alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, et donc grand patron de la police française. Depuis quand un directeur de cabinet de ministre de l’Intérieur – et de quel ministre ! (on connaît les liens de Nicolas Sarkozy avec le monde de la police) – « entend »-il vaguement parler de ce qui se passe dans sa propre administration ? Etait-il donc une sorte de touriste, ne s’occupant que des affaires personnelles de son ministre et délaissant totalement le ministère ? Ou veut-il nous faire croire que ce genre de découverte, concernant un des patrons de l’opposition, ne remonte pas immédiatement au sommet de la hiérarchie ? Nous prend-il, pour dire les choses simplement, pour des idiots ?
Deuxième mot étrange, « cette histoire ». Une histoire, c’est quand il se passe quelque chose. Et donc, en l’occurrence, quelque chose de répréhensible par la loi. Un simple contrôle de routine, même dans un endroit inattendu, n’est pas une histoire. Guéant précise qu’il n’y a eu « aucune procédure » suite à ce contrôle. Alors il n’y a pas eu d’histoire, et encore moins d’histoire mythique au point que l’on en « entende parler » dans tout le ministère. Ou bien avez-vous, Monsieur le Ministre, quelque chose d’autre à ajouter ? Si ce n’est pas le cas, vous auriez dû parler d’un contrôle de routine comme il peut en arriver à tout le monde. Vous vous gardez bien de le faire.
Enfin, il y a cette superbe locution, « contrôlé au bois de Boulogne ». Un délice de suggestion, de métonymie, d’euphémisme. On pourrait dire « contrôlé en banlieue parisienne ». Mais Guéant sait bien que « contrôlé au bois de Boulogne » va directement être traduit, chez les lecteurs, par « contrôlé en compagnie de prostituées ». Dire le moins pour dire le plus. Et admettons que cela ait été le cas, je repose ma question : était-ce dans les limites de la légalité ? Si oui, en quoi y a-t-il une « histoire » digne d’être évoquée par un ministre de l’Intérieur ? En quoi faut-il aborder le sujet de la « faute » que constitue le fait d’être au bois de Boulogne ?
Guéant en a dit trop, ou pas assez. Un peu comme si Xavier Bertrand glissait, dans un entretien, que tel ou tel dirigeant politique a été vu dans un service de chimiothérapie, sans en dire plus. Et il y a de toute évidence une intentionnalité perverse derrière ces propos que l’on imagine soupesés au gramme près. Entretenir le doute, tout en faisant semblant de disculper sa victime (« aucune procédure »). Chapeau l’artiste ! Les prochains mois s’annoncent mouvementés.
Romain Pigenel