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Les information de chacun ou l’intériorisation du renseignement

Publié le 03 août 2007 par Gregory71

Il fut un temps où les informations, ces signes archivables, étaient une denrée précieuse et difficile à constituer pour les pouvoirs politiques. Les systèmes totalitaires au XXème siècle avaient mis en place des systèmes de renseignement[1] coûteux. Ces systèmes avaient comme fantasme, pour une part seulement réalisé, de surveiller chaque individu, de faire en sorte qu’entre le privé de l’intimité individuelle et le secret de l’État il y ait identité, confusion, fusion. Les moyens déployés à cette fin étaient énormes et pesaient parfois même sur l’économie de l’État. Le coût des informations était alors élevé.

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Le système libéral a une autre approche consistant à transformer l’information en valeur puis à retourner cette valeur sur les individus pour intégrer le renseignement en chacun et faire en sorte que la constitution de l’information comme archive soit quasi-contemporaine de son archivage. Ainsi une industrie quelconque, l’industrie musicale, qui gagne en valeur grâce à la vente d’un objet donné (le vynile, la cassette, le CD), l’information utile est diffusée sur un support numérique (le réseau) et perd de sa valeur, puis remis à sa juste valeur sur un réseau marchand (Itunes) pour qu’enfin un Citizen Kane contemporain, Murdoch, puisse constituer une base de données de morceaux gratuits sur Myspace qui est un centre d’observation et de contrôle de la musique actuelle. Murdoch a réussi a faire en sorte, sans que personne ne s’en aperçoive, que la diffusion de la musique ne lui coûte rien et qu’il puisse profiter de retombées indirectes de type publicitaire.

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Il y a là dans cette intériorisation des fonctions de renseignement une structure politique particulière dont l’efficacité de contrôle est importante. L’un des symptômes les plus fort de cette intériorisation est sans doute Twitter où certains internautes écrivent ce qu’ils sont en train de faire. Au-delà de la technologie utilisée on peut se questionner sur la motivation en jeu dans un tel “service”. Qu’est-ce qui pousse en effet quelqu’un à marquer et à rendre accessible ce qu’il est en train de faire au moment où il le fait? Il va de soi que ce qui est ainsi marqué est sans intérêt. Mais là n’est pas la question, ce que Twitter valorise comme raison c’est le réseau social, l’amitié, être visible pour ceux qu’on connait. “O philoi, oudeis philos” (Aristote). Pourquoi une telle relation aujourd’hui entre la politique des réseaux et l’amitié ? Justement parce que c’est de l’un qu’il s’agit et surtout du multiple, de la communauté et du partage d’un message duplice, foncièrement piégé, au nom duquel se livrent les guerres ; une amitié au nom de laquelle on ne veut pas d’amis, un Ami qui oblige à renier tous les autres.

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Ou encore: la joie de l’anonyme révélé. C’est cet affect que j’avais signalé dans Flussgeist: waiting (2006). Au-delà de la poétique que l’on peut apercevoir dans cette constitution de l’information il y a ce fait politique majeur: le pouvoir politico-économique met en place des outils de renseignement, chaque habitant informe ces outils afin de rendre visible ce qu’il est en train de faire. Pour utiliser une image, l’État construit des bureaux vides et chaque citoyen va chaque jour écrit ce qu’il a fait (Twitter), quel est son emploi du temps (Google Calendar), les photos qu’il a prise (Flickr), les gens qu’il connaît (Myspace, Facebook), etc. Il suffit de déplacer chaque service du web 2.0 sur la grille d’un système totalitaire pour comprendre la potentialité politique qui est en train d’émerger. Le coût de l’information est beaucoup moins élevé et l’information est plus viable car plus proch de sa source.

Notes:
  1. On entend ici renseignement comme action d’aller chercher, inventer, compiler des informations. Les services de renseignement sont pour une grande part performatif et trouvent le plus souvent ce qu’ils recherchent car ils le construisent. Habituellement ils sont très actifs en temps de guerre pour s’informer de l’ennemi. Les systèmes totalitaires conçoivent les habitants comme des ennemis. 1984, l’amour est un crime quand il est sans raison car il s’échappe du contrôle étatique.

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