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Politiques de mobilité urbaine dans le Grand Nouméa : depuis 3 ans, on tire les bords mais est-on sûr d’avancer ?

Publié le 06 décembre 2011 par Servefa

Une sage parole m’est parvenue aux oreilles récemment à propos des politiques de mobilité urbaine du Grand Nouméa. Elle disait que le plus important n’était pas de ne pas avancer assez vite mais surtout de ne pas reculer.

La question se pose pleinement dans le Grand Nouméa sur les trois dernières années.

Imaginons les réponses sous la forme d’un dialogue en un jeune et ambitieux élu persuadé de participer à une politique nourrie au parfum du changement (noté EA) et un urbaniste impatient et un peu désoeuvré (noté UI).

EA : Il serait d’une rare malhonnêteté de penser que la politique de mobilité mise en œuvre depuis 3 ans n’inscrive pas l’agglomération dans une démarche novatrice qui apportera des solutions importantes à nos usagers. Pour illustrer mon propos, un projet phare, celui de transport collectif en site propre (TCSP), que notre équipe politique a décidé de mettre en œuvre, qui permettra aux populations de prendre un bus rapide et confortable hors des bouchons. Il y aura donc moins de voitures et moins de bouchon et la circulation sera fluidifiée. Nous avons d’ores et déjà obtenu une importante contribution de la part de l’Etat et travaillons sur une taxe, invisible pour l’automobiliste, pour financer ce magnifique projet qui verra le jour en 2018 au plus tard, sauf retards imprévisibles, bien-sûr.

Politiques de mobilité urbaine dans le Grand Nouméa : depuis 3 ans, on tire les bords mais est-on sûr d’avancer ?

UI : Sur le TCSP, et par rapport à ce que vous venez de dire, trois points sont essentiels:

 1/. Il y a 3 ans, le plan de déplacement de l’agglomération était en cours de réalisation. En France, il n’y a pas un plan de déplacement qui n’ait pas donné lieu à un TCSP. Cela signifie que dès lors qu’on avait pris la décision de faire un plan de déplacement, de manière implicite, on savait que cela allait mener à un TCSP, d’ailleurs la Province Sud travaillait dès 2007 sur cette question. La décision de réaliser un TCSP, qui vous semble une avancée, une sorte de victoire, était finalement écrite. Qu’elle vous semble une victoire en dit finalement long sur la mécompréhension des politiques de mobilité de votre équipe.

 2/. Le projet de TCSP en cours prend parfaitement soin de ne pas gêner l’automobiliste : on s’arrange pour le faire passer là où, surtout, il ne contraindra pas les automobilistes et en plus, avec des parcs-relais, il abandonne la périphérie à la voiture individuelle. 

3/. Sans vouloir mettre en lumière vos connaissances lacunaires, affirmer que le TCSP permettra de fluidifier la circulation est très incorrect. En ingénierie des trafics, on considère en effet que la congestion est un équilibre: toute place libérée sur la route sera récupérée par une demande latente. Donc toute personne dans le bus libérera de la place pour un autre automobiliste qui entretiendra la congestion. C'est un point important car il interroge l'efficacité de toutes les politiques de mobilité, même les plus vertueuses, en matière de lutte contre la congestion. C'est pour cela qu'il s'agit d'élargir la réflexion:  une politique de mobilité urbaine n’est pas qu’une question de transport mais aussi d’aménagement. Il faut changer la ville pour changer de mobilité ! Pour créer une ville des proximité, notamment. 

Comment a-t-on changé la ville depuis 2008, en acquiesçant silencieusement la politique d’urbanisation diffuse de Païta ? En invitant à la construction d’hypermarchés, symboles de la dépendance à l’égard de l’automobile, en continuant à obliger à la construction de stationnements dans les plans d’urbanisme ? Vous voyez bien que le TCSP n'est qu'une part infime de la solution.

Pour finir ma réponse, j'aimerais revenir sur la taxe créée pour financer le TCSP. L’automobiliste en ville apporte de nombreuses nuisances qui ont un fort coût pour la collectivité, et vous, avec votre fantastique courage, vous vous félicitez de créer une taxe qui surtout ne le touchera pas alors même que d’autres villes, comme Amsterdam, mettent en œuvre des procédés pour que l’automobiliste paye une taxe en fonction du kilométrage parcouru et de l’heure de l’utilisation de la voirie, pour ne pas citer les exemples de plus en plus nombreux en faveur des péages urbains.

 Je vous pose donc la question: une politique de mobilité qui ne contraint pas les automobilistes est-elle une politique de mobilité qui avance ?

EA : Ne comprenez-vous pas qu’en politique, il faut du temps et agir dans l’ordre. On ne pourra contraindre l’automobile que lorsqu’une offre alternative existe, en attendant, il faut bien agir pour les automobilistes !

UI : Il aurait été possible de bricoler un TCSP cheap n’light pour une période transitoire en attendant que le projet définitif voie le jour. Mais non, on a préféré construire un échangeur et faire des études pour un pont à Berthelot, tout en sous-vitalisant l’organisme en charge du TCSP. Il aurait été possible de proposer des cheminements cyclables sécurisés ? Mais non, personne ne semble travailler sur cette question, on en reste à la bagnole et son cortège de nuisances.

Et puis justement, dans certaines villes, comme Londres, c’est en n’agissant pas pour les automobilistes, ce qui a été douloureux, certes, qu’il a été possible de mener après une politique de mobilité ambitieuse et réussie.

Politiques de mobilité urbaine dans le Grand Nouméa : depuis 3 ans, on tire les bords mais est-on sûr d’avancer ?

Lorsque vous dites « il faut bien agir pour les automobilistes », non seulement vous proposez des solutions qui auront au mieux des effets pour les automobilistes minimes et à très court terme mais en plus vous plombez l’avenir. Est-ce pour cela que vous êtes élus, pour plomber l’avenir ?

EA : Dans votre aveuglement critique vous omettez de constater que avons aussi amélioré le maillage des voies pour diluer le nombre de voitures et réduire les distances parcourues, en particulier par la réalisation d’un nouvel échangeur. Ces nouvelles connexions sont des avancées importantes pour les modes doux car elles offrent des raccourcis pour les cycles et les piétons.

Politiques de mobilité urbaine dans le Grand Nouméa : depuis 3 ans, on tire les bords mais est-on sûr d’avancer ?

UI : Effectivement, nous voyons tous que depuis deux ans, au moins deux milliards de francs ont été engagé pour faire des routes sans trottoirs et surtout un échangeur anachronique. 

Pouvez-vous me rappeler combien ont été investi pour un réseau cyclable ? Quelques millions de peintures pour des itinéraires sans cohérence ? Combien pour favoriser la marche à pied ? Quelques centaines de milliers de francs au cœur de la ville ?

Le message envoyé est clair : on investit massivement pour les automobilistes, ce qui, loin de diluer les trafics augmentera le nombre de voitures, et posera plus de défis demain pour conduire ces automobilistes dans des bus, en vélo ou à pied. Chaque nouvelle voiture sur les routes aujourd’hui est un échec et un pas en arrière au regard des objectifs futurs.

EA : Mais les calédoniens sont très attachés à leur voiture. On ne change pas les gens du jour au lendemain.

UI : Essayez vous seulement de changer les comportements ? Est-ce en s’écriant à chaque inauguration de route que la circulation redeviendra fluide demain, ce qui est un mensonge éhonté, et vous le savez !, que vous pensez que les populations changeront ? Quelles actions de sensibilisation avez-vous menées ? N’êtes vous justement pas en train de perdre le temps dont vous auriez besoin ?

Est-ce cela qu’on appelle « avancer » ? Pour une action dans le bon sens (la décision de réaliser un TCSP, surtout s’il était plus « courageux »), combien dans le mauvais ? Une politique de mobilité n’est-elle pas un tout, qui doit être cohérent, plutôt qu’une action marketing censée éclipser tout le reste.

Et vous, qu'en pensez-vous ? On avance ou on recule ?

François Serve


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