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Laurent Fabius :"François Hollande est le candidat du changement et du redressement"

Publié le 05 décembre 2011 par Letombe

Qu’avez-vous pensé du discours de Nicolas Sarkozy à Toulon ?

Laurent Fabius : J’ai pensé que la victoire de François Hollande est une tâche de salut public. La France est dans une situation calamiteuse, liée non seulement à la crise mais à la politique de M. Sarkozy : chômage record, injustice record, déindustrialisation record. Un million de personnes supplémentaires à Pôle Emploi ! Et, au lieu de balayer devant sa porte, il propose de continuer. Alors qu’il y a urgence européenne, il évoque la préparation d’un traité qui nous renverrait aux calendes grecques. Alors qu’il y a des progrès démocratiques à opérer, il est question de court-circuiter les parlements. Là où il faudrait relancer l’activité économique, il nous promet l’austérité perpétuelle. Toulon 2 ne sera pas plus efficace que Toulon 1. Je suis en complet désaccord.

Et quand il appelle à plus de discipline, plus de solidarité, plus de convergence de la part des Etats européens...

Le sérieux budgétaire, c’est une évidence. Encore faut-il montrer l’exemple ! Excusez la trivialité du propos, mais comme dit la sagesse populaire, pour monter au mât, il faut avoir le postérieur propre ! En termes plus choisis, pour parler de maitrise des déficits le Gouvernement devrait d’abord la pratiquer lui-même. Or M. Sarkozy est de loin le président français le plus calamiteux en matière de comptes publics. De même, pour parler de solidarité active, il faudrait que la Banque centrale européenne (BCE) joue tout son rôle, dans le respect de son indépendance : c’est-à-dire, comme les autres grandes Banques centrales, qu’elle rachète si nécessaire les bons du trésor européens. La spéculation serait immédiatement cassée et les taux d’intérêt pourraient baisser. C’est le point aveugle du raisonnement de M. Sarkozy et de Mme Merkel. Enfin la convergence européenne est bien sûr nécessaire, mais à condition qu’elle ne se limite pas à appuyer sur le frein. Non seulement les politiques d’hyper-austérité auront des conséquences sociales et économiques dévastatrices, mais, en étouffant la croissance, elles interdiront le rétablissement des comptes publics.

Vous n’êtes pas partisan d’un nouveau traité, pourquoi ?

D’abord parce que cela ne répond pas à l’urgence. L’expérience a montré que cela dure des mois et des mois. Or là, nous sommes pris à la gorge. Ensuite, ce qu’a proposé cette semaine François Hollande pour l’Europe et que j’approuve - un véritable Pacte européen - ne nécessite pas de modification des traités : rôle actif de la BCE, mise en place effective du fonds européen de stabilité, taxe sur les transactions financières permettant le lancement de grands projets pour nourrir la croissance verte, tout cela peut se faire dès maintenant.

La France a-t-elle trop cédé à l’Allemagne ?

Nous ferons le bilan à l’arrivée. Ce qui est vrai, c’est que depuis des mois, N. Sarkozy finit par reprendre les positions de A. Merkel tout en essayant de faire croire qu’il s’agit des siennes. Ce n’est pas parce qu’il s’aligne qu’il fait avancer le couple franco-allemand ou l’Europe. Pour autant, je ne suis absolument pas d’accord avec les formulations agressives entendues récemment contre l’Allemagne, elle ne font pas avancer le débat et le couple franco-allemand est fondamental même s’il existe un problème de fond : ce couple ne peut fonctionner durablement que sur une base d’égalité. Or, à cause de l’affaiblissement français et du raidissement allemand, il est devenu déséquilibré : c’est dangereux.

Au nom de la convergence, les pays doivent-ils faire viser ou valider leurs budgets nationaux par l’Europe ?

Il serait normal et même excellent que les pays confrontent leurs prévisions économiques et celles de la Commission pour aboutir à des hypothèses communes avant d’établir leurs budgets respectifs. Il me parait aussi nécessaire que chaque Etat membre présente son projet de budget aux partenaires avant de le faire adopter, dans le cadre de séances qui seraient publiques. Ensuite, il appartient aux parlements de voter les budgets. En cas de dérives des comptes, les seules sanctions financières sont souvent irréalistes, car elles ne font qu’aggraver la situation. Va-t-on infliger une amende supplémentaire au Portugal, à la Grèce ? Une solution opératoire, en cas de dérapage, serait plutôt de conduire les Etats à augmenter provisoirement un impôt, pour compenser. D’autre part, l’idée que tout cela serait soumis en dernier recours à une Cour de justice est à écarter. Ce ne sont pas des spécialistes non-élus du droit constitutionnel européen qui vont décider à la place des représentants des peuples si les politiques budgétaires sont pertinentes.

Le PS vous a chargé de réfléchir à la politique qui serait menée au cours de la première année du quinquennat. Quelles sont vos priorités ?

Martine Aubry m’a confié ce travail et François Hollande l’a confirmé. Concrètement, nous travaillons, ministère par ministère, pour préciser ce qu’il faudra faire au cours du premier mois de l’alternance, puis de la première année, puis sur l’ensemble du quinquennat. La plate-forme que notre candidat va présenter en janvier reprendra sans doute les grandes priorités du projet socialiste mais l’adaptera, en fonction de la conjoncture qui s’est détériorée et de ses propres priorités. La perspective d’ensemble ne change pas, mais il y a évidemment des choses qu’on ne pourra pas faire immédiatement. Notre candidat - et il a raison - tient à une politique de vérité.

La France peut elle se permettre de recruter des fonctionnaires supplémentaires dans l’Education nationale ou la police, comme le prévoit le projet du PS ?

Compte tenu de la situation désastreuse des finances publiques, je pense qu’il faudra raisonner à périmètre constant. Les recrutements supplémentaires dans certains secteurs devront être compensés par des réductions ailleurs.

Avez-vous senti un flottement dans la campagne pour François Hollande ?

Dans une campagne il existe toujours une période de rodage mais je suis confiant. Notre candidat a pris la mesure des difficultés et du rôle. N. Sarkozy est le candidat de la peur et finalement du renoncement ; F. Hollande est le candidat du changement et du redressement. Je constate d’ailleurs que toutes les études d’opinion le donnent nettement victorieux au second tour. Les Français veulent le changement.

Comment jugez-vous l’accord avec les écologistes sur le nucléaire ?

Il y a trois attitudes possibles sur le nucléaire. Celle de Sarkozy : le tout nucléaire. Celle des écologistes : le zéro nucléaire. Celle de François Hollande : le réequilibrage du nucléaire en le faisant passer d’ici 2025 de 75% à 50% de la production d’électricité, ce qui reste quand même le niveau le plus élevé du monde. Si la gauche l’emporte, lors du prochain quinquennat nous fermerons deux centrales dont Fessenheim, nous terminerons Flamanville, développerons fortement les énergies nouvelles et lancerons un programme massif pour la sobriété énergétique, en particulier dans le logement. C’est cohérent, novateur, solide. Et créateur d’emplois.

François Hollande a-t-il eu raison de tendre la main à François Bayrou, cette semaine ?

La Vème République vous donne la réponse : ceux qui soutiennent le projet et la personne du vainqueur au second tour font partie de la majorité présidentielle.

Propos recueillis par Matthieu Croissandeau et Rosalie Lucas

pour le Parisien dimanche 4 décembre

Laurent Fabius


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