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Sarkozy: chronique d'un espionnage ordinaire

Publié le 07 décembre 2011 par Juan
Sarkozy: chronique d'un espionnage ordinaire On croyait à un roman d'espionnage, ou à l'histoire d'un autre âge ou d'un autre pays, une fiction née de l'imagination d'un apprenti George Orwell.
Mais ce n'était pas de la fiction. C'était la réalité d'il y a quelques mois, en France.  En Sarkofrance.
Un procureur, ami et aux ordres d'un président, avait demandé aux services secrets d'espionner pendant quelques semaines les moindres recoins de la vie de deux journalistes devenus gêneurs. 
Ce mardi, la Cour de Cassation a reconnu la procédure... illégale. 

Des repérages...
En juillet 2010, en pleine affaire Woerth/Bettencourt, le pouvoir s'agaçait des fuites dans la presse de certains procès-verbaux d'audition par les enquêteurs ou la juge Isabelle Prévost-Delpres, à l'époque en charge d'une part de l'instruction. Toutes les fuites ne gênaient pas le gouvernement. Celles du Figaro ne furent jamais étudiées. Celles du Monde ou de Mediapart firent en revanche l'objet d'une attention policière particulière.
En juillet 2010, le procureur Philippe Courroye demanda à Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, d'identifier les sources des fuites. La DCRI se procura les factures détaillées de téléphone mobile du journaliste Gérard Davet entre le 12 et le 16 juillet 2010. Elle remonta ainsi jusqu'à David Sénat, l'un des proches collaborateurs de la ministre de la justice Michèle Alliot-Marie. Alerté, le quotidien le Monde estima que le procureur et la DCRI avaient violé la loi sur la protection des sources des journalistes. David Sénat fut muté à Cayenne dès le mois d'août suivant.
En septembre dernier, le Monde accusait l'Elysée d'avoir fait espionner l'un de ses journalistes. Claude Guéant devenu ministre de l'intérieur, excusa la démarche: il ne s'agissait non pas d'espionnage, mais de « repérages de communication » expliqua-t-il, car il « s'agissait de rechercher l'auteur de la divulgation à l'intérieur de l'administration de procédures judiciaires, ce qui est tout à fait scandaleux ».
... à l'espionnite
Depuis, l'instruction conduite par la juge Sylvia Zimmermann, suite à la plainte déposée par le Monde, a permis de dévoiler l'ampleur de ces « repérages de communication ». « On trouve de tout dans les fadettes », s'amusait le journaliste Franck Johannes. La chronique de cet espionnage est hallucinante. Jugez plutôt.

1. L'espionnage ne s'est pas limité à l'activité téléphonique de Gérard Davet, journaliste au Monde, pendant 4 jours. Il a visé un autre journaliste, Jacques Follorou. Ce dernier avait écrit un ouvrage avec la juge Isabelle Prévost-Desprez..
2. Cet espionnage a repris en septembre 2010, deux mois après la première enquête de juillet. En effet, le 9 septembre 2010, Patrick Nieto, commandant de police à l’inspection générale des services (IGS), a reçu de son patron une note du parquet de Nanterre.
3. Cet espionnage était à nouveau commandité par Philippe Courroye. La note du parquet était signée par Marie-Christine Daubigney, la procureur adjointe de Philippe Courroye, qui demandait « d’obtenir par voie de réquisitions de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique, les documents intéressant l’enquête ». 
4. Cet espionnage était douteux. De l'aveu du policier en charge de cette nouvelle enquête, son patron lui demanda de « travailler discrètement ». Pour se rassurer sur la légalité de l'espionnage demandé, le policier a l'explication facile et incroyable: « C’est quand même M. Courroye, qui est procureur du deuxième tribunal de grande instance de France, ancien juge d’instruction, qui me les a demandées. Je pensais que le parquet de Nanterre savait ce qu’il faisait ».
5. Ces « repérages de communication » consistèrent en un rapport de 700 pages. Rappelez-vous, il ne s'agissait que de « repérages ». On craint le pire en cas d'enquête en bonne et due forme...
6. Mais en quoi ces « repérages de communication » ont-ils donc consisté ? Peut-être ne s'agit-il que d'opérations techniques et neutres, dans le but de cibler plus précisément quelques fuites administratives inopportunes. Et bien non. L'enquête du policier dévoué fut édifiante. En vrac,
- il obtint de SFR comme d'Orange, la liste des appels reçus et émis du 23 juillet 2010 au 1er septembre inclus: chez SFR (numéro professionnel de Davet), quelque 42 feuillets de tableaux à 9 colonnes représentant 1 450 appels pour le mois d’août, dont 1 000 SMS. Chez Orange, 112 pages de listings (30 sur le journaliste Davet, 82 sur son collègue Follorou).
- A chaque fois, toutes les sources sont identifiées: avocats, magistrats, fonctionnaires, ambassades, associations, journalistes, amis, enfants. Pour la plupart, le policier obtient le nom, l’adresse, la date de naissance, et le numéro de compte bancaire du titulaire de la ligne. Gérard Davet s'indigne: « Ce qui me choque le plus, c’est qu’ils ont vu tout de suite que je n’avais pas de contact avec la juge Prévost-Desprez. Et ça ne les a pas empêché de faire un environnement très large de ma famille proche, de mes contacts, de mes amis, d’identifier les copains de ma fille et de trouver leurs coordonnées personnelles ».
- Le policier vérifia dans le fichier des fonctionnaires s'il n'identifiait pas un collègue.
- Il étudia les échanges téléphoniques entre la fille de Gérard Davet et son copain d'alors.
- Par erreur, croyant connaître le numéro de téléphone du second journaliste, le policier investigua par erreur l'intimité d'une autre journaliste du Monde, Raphaëlle Bacqué: « La police a ainsi épluché les contacts de la journaliste par erreur, regardé quand elle appelait son mari, le collège de ses enfants, sa banque » relate le Monde.
- Le policier a eu recours au STIC, le système de traitement des infractions constatées qui recense 6 millions de Français, victimes ou coupables, dont la police reconnaît qu'environ 30% des informations sont ... fausses.
7. Trois semaines plus tard, le 30 septembre, la procureur-adjoint demande à l'IGS,  d’obtenir le contenu des messages entre le journaliste Follorou et l'un de ses interlocuteurs, la juge Isabelle Prévost-Desprez. L'opérateur Orange refuse. Merci Orange.
Et la sanction ?
Mardi 6 décembre, la Cour de Cassation a confirmé l'annulation de l'enquête conduite par le procureur Courroye contre les journalistes du Monde. Le procureur, selon la Cour, a enfreint la loi sur la protection des sources. Mais la législation ne prévoit pas d'infraction pénale pour ce motif.  Philippe Courroye et son adjointe risquent d'être placé sous témoin, sous témoin assisté ou carrément mis en examen.
En octobre dernier, pour la même affaire, Bernard Squarcini avait été mis en examen. Son patron, l'ami d'enfance de Nicolas Sarkozy et directeur de la police nationale Frédéric Péchenard avait échappé à ma mise en examen.
On connaît la réponse de Nicolas Sarkozy, si, un jour improbable, un journaliste franchement indépendant se permettait de l'interroger sur le sujet: la justice a fait son travail. Le procureur Courroye a rapidement joué sur les mots, en déclarant à l'AFP ne pas avoir commis « la moindre infraction ». « La Cour de cassation constate une nullité de procédure. Mais j'observe que c'est le premier arrêt rendu depuis la loi de janvier 2010 sur la protection des sources. Il y a désormais une interprétation, donc s'il fallait lancer à nouveau la procédure, nous en prendrions évidemment acte ». Et le procureur a confirmé avoir « chargé les policiers d'identifier les éventuels auteurs de la violation du secret de l'enquête ».
Mercredi 7 décembre, une autre affaire éclaboussait la Sarkofrance: le gigantesque chantier du Pentagone à la Française, dans le XVème arrondissement de Paris, sera l'objet d'une instruction de deux juges sur des accusations de corruption. Indépendance de la justice ou soubresauts de résistance ? Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, habitué de ce genre de procédure, a nié toute malversation. D'après le Canard Enchaîné du jour, « Bouygues aurait eu accès avant ses concurrents, et peut-être de manière frauduleuse, au cahier des charges du marché ».
Bouygues ?


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