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Les accords de Sykes-Picot et de San Remo : Influence Européenne au Levant

Publié le 09 décembre 2011 par Infoguerre

1471915612 150x150 Les accords de Sykes Picot et de San Remo : Influence Européenne au Levant influence strategieDans quel contexte et pour quelles raisons politiques et économiques, les puissances franco-britanniques ont-elles signés ces accords ? Pour quelles raisons et sous quelle forme la France a-t-elle était dépourvue de son mandat entre les accords de Sykes-Picot et ceux de San Remo ?

Le Levant est une zone géographique charnière entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Ce point stratégique est  un carrefour terrestre, maritime et aérien qui devient une zone de passage obligatoire pour le pétrole, pour tout commerce et transport de marchandises. Le Moyen-Orient d’aujourd’hui est une région où l’actualité est brûlante. Les événements historiques qui s’y déroulent depuis des années trouvent leurs racines dans les décisions et traités signés entre grandes puissances pendant la chute de l’Empire ottoman et à l’issue de la Première Guerre mondiale. La destinée de cette région stratégique est donc façonnée par les stratégies des grandes puissances.

Durant la Première Guerre mondiale, cette région devient donc le terrain de rivalités entre les puissances occidentales et la France. La Grande-Bretagne représente le principal acteur dans cette confrontation.  Cette région se transforme en théâtre de luttes d’influences entre ces deux puissances. Les puissances franco-britanniques imposent leurs influences politiques,  économiques et culturelles depuis le XIXème siècle sur les provinces arabes de l’Empire ottoman. Pour la France, le Levant est l’escale aérienne de l’Indochine, considérée comme sa colonie la plus rentable. La France, se considère également protectrice des Chrétiens d’Orient, depuis son implantation au Liban depuis des siècles et sa liaison avec les Chrétiens maronites libanais et autres Chrétiens d’orient en Syrie notamment. La France projette ses ambitions sur la Syrie, dans le but de mener à la création de la Grande Syrie. 

Les Britanniques, bien installés dans le Golfe et en Mésopotamie depuis le début du XXème veulent sécuriser la route des Indes « le joyau le plus précieux de la couronne », c’est la préoccupation constante de la Grande Bretagne en Orient. Pour ce faire, elle cherche à sécuriser le territoire compris entre la Méditerranée et l’Océan Indien, c'est-à-dire la péninsule arabique. La Grande Bretagne souhaite également étendre son influence au Levant en exploitant le pétrole de Mossoul. Les Britanniques recherchent par conséquent un accès sur la méditerranée pour acheminer ce pétrole. Le Levant devient alors, pour des motifs différents, un centre majeur des intérêts géopolitiques des puissances. La répartition géographique des influences des puissances s’explique essentiellement par les intérêts économiques et diplomatiques qu’elles détiennent. Cette répartition préfigure les futures zones d’influence politique que les puissances souhaiteraient obtenir. La Grande Bretagne cherche alors à barrer la route du canal de suez à la France en séparant la Palestine de la Syrie. Les puissances franco-britanniques sont en guerre contre l’Empire Ottoman depuis 1914. Dés 1915 Avant même que l’Empire ottoman ne s’effondre les puissances franco-britanniques se partagent déjà les territoires. Ce sont les accords Sykes-Picot.

Ces accords divisent l’Empire en cinq zones. La zone bleue (Syrie littorale et Cilicie) où la France peut organiser selon son choix un régime d’administration directe ou un protectorat, une zone rouge (basse Mésopotamie) où la Grande-Bretagne dispose des mêmes avantages, une zone brune (Palestine) réservée à la coalition franco-britannique et enfin une zone A (Syrie intérieure) et une Zone B (Mésopotamie moyenne) pouvant devenir un Etat arabe sous la tutelle protectrice de la France et de la Grande-Bretagne.  Nous pouvons noter ici une première contradiction entre les accords Sykes-Picot et les promesses que les Britanniques avaient faites aux Arabes au même moment. La Grande-Bretagne a signé la même année un accord avec le chérif Hussein de La Mecque, descendant du prophète Mahomet. Les Britanniques s’étaient engagés à contribuer à la création d’un empire ou d’une fédération d’Etats arabes. Les Britanniques s’assurent donc un soutien militaire contre les Turcs et s’assurent la domination de la région de façon indirecte. Ainsi les Etats de l’Empire ottoman, qui devaient devenir un royaume arabe (Syrie, Palestine, Mésopotamie) passent sous influence française et Britannique. L’association de la France aux accords Sykes-Picot n’était-elle pas préméditée par les britanniques dans le but d’affaiblir intentionnellement l’influence culturelle et économique de la France en la laissant entrer dans la région de partage afin que la Grande-Bretagne ne paraisse pas tenir l’ensemble du monde islamique par la force ?

Ces arrangements ne sont finalement pas respectés par les britanniques. Leur premier désengagement est en 1918 lors du mémorandum du Foreign Office. Dans ce mémorandum, les Britanniques considèrent que Damas, attribuée à la France dans la Zone A, est la clé de la zone B attribuée à la Grande Bretagne, car la puissance qui aura mainmise sur Damas reprendra son influence sur les tribus arabes. La division de zones d’influence est alors condamnée. Les avantages deviennent très importants pour la Grande-Bretagne, notamment concernant la Palestine qui était revendiquée par la France et qui sera donnée aux Britanniques. L’influence de la France commence à être stoppée et la route des Indes est désormais sous protection. Les Britanniques ne sont toujours pas satisfaits et veulent exclure l’influence française de Syrie, dans le but d’étendre l’Egypte à la Palestine.  La Grande Bretagne abandonne doucement ses engagements par rapport aux nationalistes arabes au même moment. La Grande Bretagne occupe alors l’Irak et la Syrie et est donc en position de force par rapport à la France qui n’a pas déployé de véritable contingent dans la région. L’armée de Faysal, fils de Hussein, a pour sa part dirigé l’insurrection arabe jusqu’à Damas. L’officier du Royaume-Uni Thomas Edward Lawrence encourage Fayçal dans cette voie, ce qui le laisse penser que les Britanniques et plus particulièrement les Anglo-Egyptiens souhaiteraient enlever la France de la région.

En Syrie les Britanniques veulent réduire l’influence française à une étroite bande littorale et intégrer l’intérieur des terres à leur zone d’influence. Thomas Edward Lawrence exprime la volonté que ces Etats soient autonomes (Syrie, Arabie, Mésopotamie), amis de la Grande-Bretagne et sous son influence. Par cette politique Lawrence soutient ainsi les causes arabes et s’oppose à la réalisation des accords Sykes-Picot. Cette politique prend toute sa signification lorsqu’il soutiendra Fayçal dans la réalisation du royaume arabe en 1920. La présence française en Syrie serait donc interdite. En 1918 avant l’intervention britannique à Damas, la France demande à la Grande Bretagne que la validité des accords Sykes-Picot soit réaffirmée. Le gouvernement anglais ne considère désormais plus l’accord Sykes-Picot. La France fait alors pression pour un nouvel accord qui sera signé le 30 septembre. Cet accord reconnais bien l’existence d’une zone A et d’une zone bleu à la France.

En revanche sur le terrain les choses ne sont pas si simples et ne se passent pas comme convenu. Prétextant la supériorité numérique de son armée en Syrie et en Palestine, la Grande Bretagne tente de faire prévaloir ses droits sur cette région, d’autant plus que la faible représentation des troupes françaises pendant ces attaques ne peut influencer le résultat. C’est d’ailleurs pour cette raison que les Britanniques estiment nécessaire de remanier les accords Sykes-Picot a leur avantage. Le 1er octobre, Arabes et Britannique entrent à Damas. Fayçal installe un gouvernement arabe a Damas et entend assurer son autorité sur la région  y compris sur les zones occupés par les Français. Les jours suivant les Ottomans abandonnent toute la Syrie. Les forces britanniques et arabes occupent toutes les villes syriennes. La situation de la France est compromise. La France s’incline devant ce fait accompli, sa zone lui est retirée à l’exception du Liban.

Le Pacte de la Société des Nations naissante, adopté en 1919, prévoit pour les anciennes provinces arabes de l’Empire, la mise en place d’un système de mandats. Cette formule met un terme définitif aux idées de sphère d’influence dictées les accords Sykes-Picot et met en place le principe de tutelle des populations par des puissances chargées de les amener vers l’indépendance. Il s’agit alors pour la France et la Grande-Bretagne de trouver à un accord pour délimiter leur zone de domination dans la région. En mars 1920, à Londres, une première conférence marque un premier pas dans les négociations. L’Angleterre obtient l’élargissement de la Palestine au nord de la Galilée. C’est à San Remo, que  les puissances franco-britanniques vont enfin arriver à un accord.
Est attribué enfin à la France un mandat sur la Syrie et le Liban alors que la Grande-Bretagne obtient un mandat sur la Palestine et la Mésopotamie. Le vilayet de Mossoul est placé sous tutelle de la Grande Bretagne. Les droits avaient été abandonnés par la France. Cela contre le don à la France d’une participation de 25 % à l’exploitation du pétrole, ce qui n’est pas négligeable.  L’importance stratégique du pétrole a été prise en compte pendant la guerre.

La France accepte après beaucoup de pressions de la part des Britanniques à renoncer à son droit de protection des Chrétiens d’Orient ce qui bloquait la mainmise Britannique sur la Palestine. Elle insiste tout de même à faire valoir les droits des Arabes et affirme que l’établissement d’un foyer national juif dans le pays, prévu par la Déclaration du ministre des affaire étrangère lord Balfour de 1917, ne doit pas annoncer la formation d’un Etat juif.
La conférence de San Remo va donc déterminer le destin des provinces arabes sans prendre en considération les revendications des populations et faisant une impasse sur les promesses d’indépendance faites pendant la guerre. Les réactions ne se font pas attendre dans le monde arabe : une insurrection des Musulmans chiites et sunnite en Irak. En Syrie, les nationalistes se radicalisent et les violences se multiplient en Palestine. Faysal, proclamé roi du Royaume arabe de Damas de manière unilatérale par le Congrès arabe le 8 mars 1920, a refusé de se rendre aux pourparlers. Il sait alors que sa position est fortement menacée. Les alliés lui font d’ailleurs comprendre qu’il est désormais obligé de se soumettre aux décisions de San Remo. Quelques mois plus tard, plusieurs divisions de l'armée française se préparent à envahir alors la Syrie, avec des chars, des avions et de l'artillerie lourde. Le 24 juillet 1920 est une date charnière pour les Arabes et le monde. En route vers Damas, les troupes françaises rencontrèrent des forces arabes insurgées. Devant la machine de guerre française, pratiquement tous les insurgés furent massacrés en huit heures. La France mit fin au Royaume arabe de Damas et y appliqua enfin son mandat. Ainsi, la France et la Grande-Bretagne s’établissent progressivement dans les anciennes provinces ottomanes entre 1920-1922.

BIBLIOGRAPHIE :

George-Henri Soutou  « L’Or et le Sang « : Les buts de guerre économiques de la première guerre mondiale » Edition Fayard, Préface Jean Baptiste Duroselle, 1989.
H.Laurens, L’Orient Arabe. Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 1993.
CLOAREC, Vincent, et LAURENS, Henri, Le Moyen-Orient au 20ème siècle, Paris, 2000
H.LAURENS, La question de la Palestine, t. I, Paris, Fayard, 1999, p.297-301
TERNON, Yves. Empire ottoman: Le déclin, la chute, l’effacement. Félin, Paris 2005.
Anne Lucie Chaigne-Oudin La France et les rivalités occidentales au Levant : Syrie-Liban 1918-1939
2009 L’Harmattan


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