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Georgette, cachez donc ces seins que je ne saurais voir...

Publié le 09 décembre 2011 par Atango

Une vidéo montrant Mme Samuel Eto'o, les seins nus, bronzant sur une plage de Miami, a créé un buz phénoménal dans la webosphère camerounaise.

Reprenons la phrase ci-dessus en détail, comme en cours de Français, et nous verrons qu'elle est très curieuse. 

D'abord, tout le monde parle d'une vidéo. Pourtant... Si, techniquement, l'objet médiatique posté est bien une vidéo, on a en réalité à faire à un diaporama, c'est-à-dire une succession automatique de photos. Or, la photo est figée quand la vidéo est animée. La photo prend un instantané de vie, et la vérité qu'elle présente n'a été vraie que pendant une fraction de seconde. La photo ne dira donc rien du contexte, ni l'immédiat avant, ni l'immédiat après, ni tout ce qui se passe hors de son cadre strict. Il y a donc de fortes chances que ces images aient été volées, ce qui ne veut pas forcément dire qu'elles ont été prises à l'insu de la principale intéressée.

On parle ensuite de seins nus. Autrement dit, il s'agit d'un demi-nu, madame n'ayant enlevé que le haut. Néanmoins, ceux qui apprécient le spectacle le font à 100 %, et ceux qui s'en indignent ne le font pas à moitié. Pourtant, ces derniers se trompent sur l'origine de leur indignation. Beaucoup ont évoqué la "culture" africaine pour justifier leur dégoût de voir une "mère de famille" exposer aux yeux du monde "les choses qui sont réservées à son mari et qui ont nourri ses enfants." En le disant, on croit défendre des valeurs ancestrales, alors que nos aïeules femmes, il n'y a même pas un siècle, allaient les seins nus par les rues de nos villages et par les chemins de nos campagnes. En réalité, cette "valeur" que nous voulons habiller des oripeaux de l'Afrique éternelle n'est qu'un produit d'importation, arrivé dans les valises des prêtres, imams et pasteurs qui ont introduit chez nous la pudeur judéo-islamo-chrétienne.

Troisième élément : le bronzage. Là, on a envie de dire "ékié !" Mais comme Mme Eto'o, ivoirienne d'origine, risque de ne pas comprendre, nous ajouterons "tchié !" Autant on peut comprendre qu'un Blanc ou une Blanche, toubab de chez toubabesse, s'expose au soleil pour faire dorer sa peau et son visage pâles, autant on peut en effet s'étonner de voir une femme métisse, que la nature a déjà dotée d'un bronzage intégral à vie, s'exposer aux rigueurs féroces de cette grosse bombe nucléaire qui nous éclaire le jour. Pour une "fille du soleil", nager, marcher le long de la mer, respirer l'air du large, voilà autant d'activités récréatices et roboratives. Mais bronzer ? Point d'interrogation suspensif...

Maintenant que l'inanité de notre phrase de départ est prouvée ? Interrogeons-nous sur l'objet médiatique en lui-même. Par nature, le buzz est un bruit. Comme tout bruit qui se respecte, il est plus ou moins fort, dure plus ou moins longtemps, et attire plus ou moins l'attention. Il dérange aussi une certaine quantité de personnes, car il empêche souvent d'entendre autre chose, et souvent des choses plus essentielles. Dans le cas d'espèce, tous les organes de presse qui ont repris ce diaporama nous ont offert un tintamarre de grande ampleur. Problème : il peut nous empêcher d'écouter et d'entendre autre chose.

Or, rappelons-nous le conseil du poète : "Ecoute plus souvent les choses que les êtres." 

Donc, écoute, entends et comprends si tu le peux.

Entends la colère qui monte dans les milieux du football au Cameroun, dans l'interminable attente de la finale de Coupe. Ecoute parler les gens, entends les critiques qu'ils commencent à oser. Et comprends que le grand chef n'est plus intouchable, car il a touché à ce qui est plus sacré que lui.

Entends le silence de ceux qui n'ont pas les moyens de parler. Ecoute citer les noms des 25 qui vont à Luanda, tous issus du prolétariat du football, choisis parce qu'ils n'ont pas les moyens de faire pression sur la Fédé, n'ayant ni compte en banque garni, ni jet privé attendant à l'aéroport. Reste à l'écoute pour savoir s'ils recevront le cadeau que la nation peut leur donner en toute légitimité, eux qui n'ont aucun revenu stable.

Entends le Général, président de la Ligue de football, évoquer son désarroi face au manque de moyens. Ecoute-le dire qu'il va néanmoins relever le défi. Reste à l'écoute pour savoir s'il ne finira pas par jeter l'éponge sur cette charrue placée avant les boeufs.

Mais je sais que la chair est faible, et que tu ne pourras pas t'empêcher de retourner sur l'un des nombreux sites qui ont repris le diaporama buzzeur. Et tout en regardant de tes yeux avides, tu t'écrieras, comme Tartuffe :

"Couvrez ce sein que je ne saurais voir.

Par de pareils objets les âmes sont blessées,

Et cela fait venir de coupables pensées."

Molière, Le Tartuffe ou l'Imposteur, acte III, scène 2.


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