La région de Tatopani sur la carte Schneider de l'Annapurna
Adieu Mustang ! Bonjour tropiques ! Elles sont là, dès les confins du district de Myagdi que nous abordons dans la descente sur Dana. Peu à peu, au fil de celle-ci se
substituent aux forêts de pins bleus et de genévriers, bambous, palmiers, bananiers, orangers, arbustes aux fleurs de formes et de couleurs variées inconnues sous nos latitudes. Mais les
rhododendrons géants en pleine floraison, dont à l'occasion je glisse une fleur incarnate sous le bord de ma coiffe, se dressent toujours sur les versants. S'épanouissent aussi dans les
jachères des pousses de cannabis, qui sont en ce printemps précoce à leur premier stade de croissance mais donneront passée la mousson d'été les magnifiques plantes aux foisonnantes sommités
florales qui font la réputation de la région. Du côté de Beni, chef-lieu du district, le chanvre couvre des hectares. L'autochtone n'ignore pas l'attrait des touristes pour la plante "qui fait
rire" et il est fréquent de se voir proposer quelques grammes de haschisch, produit dont le commerce est pourtant prohibé au Népal. Mais l'on est si loin de la capitale... Ici, les lois ne
s'appliquent sans doute pas aussi sévèrement et les traditions locales perdurent.
Changent aussi les hommes, les habitats, les traits culturels... Nous quittons l'aire de civilisation tibétaine pour pénétrer une contrée façonnée par d'autres influences.
Le
massif de la Dhaulagiri (8167 m) dominant la vallée de la Kali Gandaki
Aujourd'hui, l'objectif, ô combien logique, est de rallier Tatopani. D'ailleurs, il ne pourrait en être autrement. Quel puissant motif nous pousse donc à y faire halte
?... Et bien, Tatopani c'est littéralement "l'eau chaude", si l'on se souvient de notre Petit cours de nepali pour le fun, et comme tout bon trekker des Annapurnas le
sait, la localité ainsi dénommée est célébrissime pour ses incomparables "hot springs" qui sourdent de la montagne sur la rive droite de la Kali Gandaki. Etape "obligée", comme il en est
quelques-autres sur ce trek.
Mais n'anticipons pas notre plaisir, vivons le moment présent ! Pour l'heure nous plongeons dans la vallée tropicale.
Thé à Ghasa, bourgade où la volaille est l'occupante reine de la rue. Le chien de Tashi, le guide des trekkers français, ne peut se retenir de croquer un poussin au passage, événement malheureux
qu'ensuit une paisible discussion entre le maître du chien et le propriétaire de la volaille afin de convenir d'un dédommagement.
Nous rencontrons désormais de plus en plus de trekkers qui remontent la vallée, dont beaucoup en groupes organisés. Ce ne sont pas pour autant des
candidats à la traversée du Thorong La, celle-ci étant particulièrement ardue et risquée dans le sens ouest-est en raison d'un gain d'altitude beaucoup trop rapide pour assurer une bonne
acclimatation. En haute saison, l'itinéraire Pokhara - Jomosom est hyper fréquenté ce qui fait le bonheur des propriétaires des centaines de lodges qui au fil des ans ont poussé comme des
champignons. La manne touristique a visiblement enrichi certains Thakali entreprenants qui ont bâti de très accueillantes lodges où il fait bon s'arrêter. A Dana, par exemple, où nous nous
gavons d'un délicieux dal bhat (plat national à base de riz et de lentilles) accompagné d'un jus d'oranges fraîchement cueillies sur les arbres du jardin. Il existe semble-t-il un revers à la médaille : le dépérissement des traditionnels liens de solidarité villageoise et un fossé grandissant
entre les plus riches et les plus pauvres. La scène désolante qui génère en moi cette perception est celle de deux jeunes enfants dépenaillés qui grimpés sur le muret du jardin
pour observer les touristes attablés seront rapidement chassés par un patron soucieux de la tranquillité de sa clientèle. Effet pervers du tourisme de masse...
Le site des "hot springs" a quelque peu changé depuis mon premier passage il y a bien des années. Là où l'on se plongeait dans des vasques naturelles a été bâti un vaste bassin maçonné, un genre de
piscine en fait, où barbotent trekkers et locaux. L'accès est payant (20 roupies, une misère !) ce qui permet un entretien régulier de l'infrastrucure. L'eau coule en permanence à 40°, on y
pénètre progressivement, orteils, mollets, cuisses, bassin, torse, cou. Bien-être total. Il est néanmoins préférable
de ne pas s'attarder trop longtemps, au risque d'en ressortir légèrement cuit, de la couleur d'un homard à la nage, car l'eau à la différence d'une baignoire conserve une température constante.
Puis c'est sous une pluie battante que les baigneurs se rhabillent sous un modeste abri de bambou avant de regagner le village à travers les luxuriants jardins
d'agrumes.