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Etat des lieux des complications liées au MEDIATOR

Publié le 11 décembre 2011 par Dary

le Pr Christophe Tribouilloy (Département de cardiologie, Inserm, ERI 12, CHU d'Amiens) et des chercheurs et cliniciens des groupements hospitalo-universitaires de Lille, Brest et Amiens analysent l'ensemble des données aujourd'hui disponibles sur les valvulopathies au benfluorex (Mediator®, Servier) [1].

Pr Christophe Tribouilloy

Pr Christophe Tribouilloy

Suite à l'évaluation de données sur le risque de valvulopathies, la commercialisation du benfluorex a été suspendue en France le 30 novembre 2009, et au niveau européen en juin 2010.

D'après les données de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), plus de 300 000 patients étaient traités par benfluorex lors du retrait en novembre 2009 et environ cinq millions de personnes ont été exposées en France depuis le début de la commercialisation (1976), dont 2,9 millions pour une durée supérieure à trois mois.


L'hypothèse d'un mécanisme sérotoninergique se confirme

Dans leur mise au point, les auteurs reviennent sur la physiopathologie des atteintes valvulaires observées sous benfluorex. Ils indiquent qu'il existe, désormais, un faisceau d'arguments pharmacologiques en faveur de l'implication de mécanismes sérotoninergiques.

Il est aujourd'hui établi que la stimulation des récepteurs de la sérotonine par la norfenfluramine, métabolite commun des fenfluramines et du benfluorex, induit la prolifération des fibroblastes et augmente la synthèse de collagène et de glycosaminoglycanes. Il en résulte des aspects de « fibrose avec épaississement et rigidité valvulaire, et un remaniement de l'appareil sous-valvulaire, responsables de régurgitations de type restrictif ».

Parallèlement, une étude expérimentale a montré que l'inactivation du gène du transporteur de la sérotonine chez la souris conduit au développement de lésions valvulaires. Un polymorphisme des gènes codant pour ce type de transporteur pourrait donc expliquer une susceptibilité individuelle à développer des lésions valvulaires lors d'une exposition médicamenteuse aux dérivés fenfluraminiques, selon les auteurs.

Sur le plan anatomopathologique, les experts décrivent « des valves épaissies rétractées, d'aspect blanchâtre, et des raccourcissements et fusions de cordage. Histologiquement, on note une fibrose dense plutôt localisée à la surface des valves, dont l'architecture d'ensemble n'est pas altérée. Par comparaison, les atteintes valvulaires rhumatismales entraînent des anomalies histologiques plus diffuses du tissu valvulaire et un infiltrat inflammatoire qui n'est habituellement pas rencontré dans les atteintes médicamenteuses ».


Une analyse détaillée des données de la littérature

Christophe Tribouilloy et coll. analysent ici, en détail, les cas cliniques isolés, les séries d'observations, les deux études « cas-témoin », l'étude randomisée et les deux grandes enquêtes de cohortes de la CNAM qui ont montré une association entre l'exposition au benfluorex et les lésions valvulaires cardiaques.

A partir de ces données de la littérature, les auteurs notent que les principales victimes de valvulopathies associées à l'exposition au benfluorex sont des femmes âgées de 50 à 60 ans mais ils précisent que la fréquence de ces atteintes valvulaires n'est pas précisément connue.

Les lésions valvulaires rapportées sont des fuites, essentiellement mitrales et/ou aortiques qui peuvent être plurivalvulaires. En ce qui concerne la sévérité des atteintes, les valvulopathies sévères semblent rares (moins de 1 pour 1000 patients exposés suivis un an), alors que les fuites valvulaires modérées sont plus fréquentes.


Des signes échographiques très fins

« L'échocardiographie est la méthode de choix pour rechercher une atteinte valvulaire médicamenteuse et évaluer sa sévérité », écrivent les auteurs. Cependant, détecter une valvulopathie médicamenteuse à l'échocardiographie peut se révéler complexe, et il n'est pas toujours aisé d'affirmer qu'une atteinte valvulaire a été causée ou non par le benfluorex. Christophe Tribouilloy et coll donnent une description précise des signes échographiques associés aux valvulopathies observées après exposition au benfluorex.

Ils signalent que l'atteinte aortique est plus fréquente que l'atteinte mitrale et indiquent que le signe le plus caractéristique de valvulopathie médicamenteuse est la restriction des mouvements valvulaires à l'origine de la fuite. Dans les atteintes mitrales, il existe une perte de souplesse des feuillets valvulaires avec dans les atteintes sévères un aspect typique « en baguette de tambour » des valves. Dans les atteintes aortiques, les sigmoïdes aortiques sont discrètement épaissies et un petit hiatus triangulaire central en diastole est parfois visualisable. La fuite aortique est habituellement centrale.

Les diagnostics différentiels sont à rechercher, et en particulier l'atteinte rhumatismale « qui comprend habituellement un certain degré de fusion commissurale et des remaniements valvulaires souvent plus francs ».

Concernant le suivi échographique, la Haute Autorité de santé (HAS) a émis les recommandations suivantes en mars 2011 :

  • en l'absence d'anomalie valvulaire sur l'échocardiographie effectuée après l'interruption définitive du benfluorex, aucun suivi échocardiographique systématique n'est recommandé ;
  • en cas d'anomalie valvulaire pouvant être liée au benfluorex, une échocardiographie de suivi systématique à un an est recommandée pour les fuites initialement de grades I et II. Le suivi est ensuite établi par le cardiologue du patient en fonction de l'évolutivité des lésions. Pour les fuites de grade III et IV asymptomatiques, une échocardiographie transthoracique de suivi tous les six mois est préconisée. Le suivi échocardiographique des patients atteints d'une fuite sévère à l'origine d'une symptomatologie fonctionnelle n'est pas précisé, car dans ce cas, une indication chirurgicale doit être discutée et le suivi adapté au cas par cas ;
  • une vitesse de fuite tricuspidienne supérieure à 2,8 m/sec conduit à suspecter une HTAP. Dans ce cas, il est recommandé d'adresser le patient au centre régional de compétence de l'HTAP et de signaler le cas au centre national de référence de l'HTAP.


Un risque et un potentiel évolutif très variable d'un patient à l'autre

Concernant le risque de développer une valvulopathie après exposition au benfluorex, « la première étude de la CNAMTS est en faveur d'une relation entre la durée du traitement et le risque de valvulopathie ». Cependant, « certains patients exposés plus de 20 ans ne développent pas d'atteinte valvulaire, alors que d'autres, traités beaucoup moins longtemps en développent une, suggérant une possible prédisposition génétique ».

Parallèlement, si aucune donnée sur le potentiel évolutif des atteintes valvulaires médicamenteuses après l'arrêt de l'exposition au benfluorex n'est actuellement disponible, d'après les quelques travaux chez les patients exposés à la fenfluramine, le potentiel évolutif est très variable d'un patient à l'autre.

Les auteurs rapportent les résultats d'une étude observationnelle américaine, publiée en 2008, sur l'évolution des fuites valvulaires de 1020 patients exposés antérieurement à la fenfluramine et ayant eu deux échocardiographies successives (en moyenne à 30 mois d'intervalle). Les résultats indiquent une évolution des fuites aortiques vers une aggravation dans 15,4 % des cas, vers l'amélioration dans 21,5 % des cas et vers la stabilisation dans 63,1 % des cas. Pour les fuites mitrales, ces pourcentages sont respectivement de 24,8 %, 27,6 % et 47,6 %.


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