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Exposé consacré à Pierre Bayle (suite)

Publié le 10 février 2008 par Frontere

Exposé consacré à Pierre Bayle (suite)II. Pierre Bayle, un “Malgré nous” de l’exil et de la dissidence

Malgré nous” : explication historique

Les “Malgré nous” étaient les quelques 130 000 français nés en Alsace et en Lorraine dans les années 1915 à 1926. Quand Hitler décida de “reconquérir” l’Alsace et la Lorraine en 1940, la population se trouva forcée de devenir allemande. Et pour ces jeunes gens, cela signifiait l’enrôlement de force dans l’armée allemande.

Par analogie, Pierre Bayle est un “Malgré nous” de la dissidence.

3 octobre 1681 : Pierre Bayle arrive à Rotterdam, ville des Provinces-Unies, patrie d’Erasme, vouée au commerce, ville marchande, où le français est parlé et compris par les élites ; en dehors des langues vernaculaires (flamand, anglais), le recours au latin reste de toute façon possible dans les échanges savants. Bayle va passer 25 ans dans ce “Refuge”, nom que l’on donne aux différentes vagues d’exil qui ont touché les protestants français après la Révocation de l’édit de Nantes (1).

Il sera de 1684 à 1687 le principal rédacteur du journal « Les Nouvelles de la République des Lettres », ancêtre du « Journal des S(ç)avants », mais l’entrée du journal en France sera frappée d’interdiction. A Rotterdam il va enseigner l’Histoire et la philosophie.

Pour résumer la situation des protestants dans le royaume de France jusque là, et faire une synthèse partielle, on peut dire que la majorité catholique, en conformité avec la religion du roi, tolère officiellement la minorité protestante à partir de 1598 et de l’édit de Nantes. La situation se dégrade ensuite. Après des restrictions progressives des droits accordés à la religion réformée, l’absolutisme de Louis XIV conduisit en octobre 1685 à la révocation de l’édit de Nantes et à l’expulsion des protestants car la grande affaire, le grand dessein de Louis XIV, c’était bien l’éradication des protestants de France.

II.1 Une entrée fracassante dans la dissidence

J’ai choisi maintenant de procéder à une focalisation sur ces années 1685-1686 si importantes pour les protestants en général, pour Pierre Bayle en particulier. Il vient de perdre son frère, le pasteur Jacob Bayle, arrêté le 10 juin au Carla, emprisonné à Pamiers, puis transféré le 20 juillet à Bordeaux où il meurt le 12 novembre à 41 ans. Au moins il ne sera pas mort “papiste” puisqu’il n’a pas abjuré le protestantisme.

Fin 1685 est publiée par un certain Gautereau : « La France toute catholique sous le règne de Louis Le Grand, ou Entretiens de quelques Français de la religion prétendue réformée qui, ayant abjuré leur hérésie, font l’apologie de l’Eglise romaine. »

La même année, le temple de Charenton, lieu de culte de la communauté Huguenote parisienne, a été rasé.

Le 22 mars 1686, virulente réponse de Bayle à Gautereau sous forme d’un pamphlet : « Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis Le Grand. » Le pamphlet est constitué de trois lettres : un catholique dévot écrit à un réfugié modéré (1ère lettre) pour lui demander son avis à propos d’un libelle qu’un réfugié indigné par la Révocation lui a adressé (2ème lettre) ; le réfugié modéré répond (3ème lettre) sur un ton mesuré mais sévère :

« Je vois, monsieur, que vous faites un grand honneur de votre modération de style, par opposition, dites-vous, à celui que nous avons contracté dans notre hérésie funeste. Mais, si l’Eglise vous a appris un autre langage, d’où vient qu’elle ne vous apprend pas à traiter doucement par vos actions les autres chrétiens? Sans mentir, ceci est considérable. L’Eglise vous apprend d’un côté à forcer les gens, par les prisons, les bannissements, l’enlèvement des enfants, la dissipation des biens livrés aux dragons (2), le dernier supplice même, à entrer dans son giron, et puis après elle vous met dans la bouche et au bout de la plume des paroles douces comme du miel. Permettez-moi de vous dire que ce langage ne vous sied pas bien. », p. 286-287

Toujours en 1686 il publie un long article : « Plainte des protestants cruellement opprimés dans le royaume de France ».

Dans un autre ouvrage, « Le Commentaire philosophique », il accentue sa critique du catholicisme par le recours à un syllogisme :

« Un parti qui, s’il était le plus fort, ne tolèrerait point l’autre mais le violenterait dans sa conscience, ne doit point être toléré ; or telle est l’Eglise romaine ; donc elle ne doit point être tolérée. »

(cité à la page 295 du livre de Hubert Bost)

Saint-Just se souviendra-t-il de cette citation lorsque pendant la Révolution il lancera ce mot d’ordre : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » … ce qui soulève au moins deux questions : qui sont les ennemis de la liberté? Qui est chargé de les définir?

Mais revenons brièvement au Commentaire philosophique.

A suivre

Post-scriptum : l’appel « Sauvegardons la laïcité de la République » est depuis le 4 février ouvert aux signatures sur Internet

Notes 

(1) c’est également le nom que l’on donne aux pays d’accueil des protestants : Angleterre, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Amérique (et non pas Etats-Unis, comme je l’ai dit à tort, m’a fait remarquer à juste titre monsieur le professeur Luc Borot, à l’époque ils n’étaient pas constitués comme aujourd’hui!) ou Afrique du Sud

(2) soldats du roi qui s’installaient chez les familles protestantes jusqu’à ce qu’elles se convertissent au catholicisme 


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