Le rédacteur du JMI ne pouvait pas rester insensible au crime affreux qui a frappé sa ville hier après-midi. Toutefois, cet évènement ne doit pas empêcher la réflexion...
Le sang versé lors du carnage commis à Liège ce 13 décembre n’était pas encore sec que des voix s’élevaient déjà pour dénoncer l’intolérable dysfonctionnement de la justice belge. Le dysfonctionnement d’une justice qui a permis à une personne condamnée en 2007 de sortir de prison en 2010. Le dysfonctionnement d’une justice qui n’a pas assuré le suivi d’une personne « connue des services de police », multirécidiviste. Peines incompressibles, renforcement des sanctions pénales, prison à vie (qui a dit « peine de mort » ?) : voilà ce que l’on entend au lendemain du drame qui a frappé la cité ardente.
Cette réaction d'indignation (un mot à la mode) est humaine. La mettre sur le compte de la seule bêtise, de l’ignorance ou du racisme, en se drapant dans un voile de vertu indignée, est trop facile. Il ne faut pas dénoncer cette réaction, il faut la décrire pour ce qu’elle est : inadéquate. Prendre du recul n'est évidemment pas chose aisée, mais on peut toujours tenter de le faire.
Tout d’abord, sur la peine et son exécution.
Pense-t-on vraiment que cet individu, s’il avait passé quelques mois supplémentaires en prison, n’aurait pas commis les actes qu’il a commis ? Pense-t-on qu’une personne en prison pour culture de cannabis aurait fait l’objet d’un suivi (quand suivi il y a…) destiné à prévenir ses pulsions de meurtrier de masse ? Réfléchir sur le sens de l’emprisonnement et sur l’utilité de la libération conditionnelle est évidemment une nécessité. Mais s’il s’agit, sur le compte d’un fait atroce, de remettre en cause l’équilibre entier d’un système, il y a sans doute un pas qu’il ne faut pas franchir. La libération conditionnelle est, dans l'écrasante majorité des cas, un succès : une manière d'aider à la réinsertion dont toutes les études soulignent l'efficacité. La supprimer pour une majorité sous prétexte qu'une minorité en abuse, loin de renforcer l'efficacité de la justice, résumerait celle-ci à sa fonction punitive. Or, la punition seule ne protègera pas la société du crime, tout au plus sa mauvaise conscience.
Ensuite, sur la récidive.
Condamné pour culture de cannabis, on retrouve donc un individu, quelques années plus tard, armé jusqu’aux dents, tuant et blessant une foule de personnes innocentes. Peut-on parler de récidive ? Sans entrer dans les conditions légales de la récidive, en se fondant donc uniquement sur son « sens commun » c’est-à-dire de réitération de faits, il est évident que l’on n’a pas affaire à un récidiviste. Tous les trafiquants ne deviennent pas (fort heureusement) des meurtriers de masse et tous les meurtriers de masse n’ont pas d’antécédents criminels (on en connaît quelques exemples récents...).
Il nous faut donc admettre le caractère profondément imprévisible de ce crime odieux, commis pour des raisons qui nous échapperont sans doute toujours (folie, vengeance, délire d'un toxicomane?). Or, en Belgique, pas plus qu’ailleurs, accepter l’absurdité de la mort, lorsqu’elle frappe de la sorte, n’est une chose facile.
Ces cris de peur, de crainte, parfois de haine proférés sur Internet et ailleurs, cachent donc une réalité universelle : l'impossibilité des Belges, et des hommes en général, d'admettre l’absurdité d'un crime aveugle. Il est impossible de prévoir qu’un trafiquant de drogue deviendra, en quelques mois, un tueur de masse. Il est impossible de mettre en place, quels que soient les moyens employés, des systèmes de sécurité permettant de prévenir les crimes commis par des individus isolés. Aucun bras, qu'il soit divin ou humain, ne se dressera pour protéger partout et toujours les « justes » des actes des « mauvais ». Et ceux, politiques ou indignés de la dernière heure, qui promettent le contraire ne sont que des menteurs.
Nous aimerions tous tellement que ce soit le cas : que les tueurs de masse portent le mal sur leur visage, qu’on puisse les repérer facilement, les sanctionner, les "rééduquer", avant qu’ils ne basculent dans la folie. Si seulement un héros aux dons d’ubiquité pouvait surgir des toits des villes et des campagnes pour arrêter les meurtriers fous et leurs projets diaboliques...
Or, à ce compte, ce n’est pas une justice que nous souhaitons mais la Justice, celle avec un grand « J »: infaillible, parfaite, omnisciente, invincible et protectrice. Mais tant que le monde sera humain, donc faillible et perfectible, notre « Justice » ne sera « qu’une » justice: notre monde ne sera qu’une planète parmi d’autres et pas un jardin d’Eden parfaitement ordonné.
Il y aura encore d’autres drames, à Liège et ailleurs. Tous aussi absurdes, incompréhensibles, inexplicables. Ils seront le fait d’hommes, de femmes, d’adultes, d’ados, de belges, d’italiens, de norvégiens, de catholiques, de musulmans, de juifs, d’athée, de droitiers, d’unijambistes, de cancéreux, de drogués, d'intellectuels, de patriotes, de mondialistes, de diabétiques, d’époux, de célibataires, de frères, de sœurs, de récidivistes, de non-récidivistes… Leur hurler notre haine est un réflexe humain, compréhensible. Il cache notre peur du vide et de l’absurde.
Ce premier réflexe ne devient impardonnable que s’il se mue en maxime de nos actions, en moteur de notre réflexion. Car, dans ce cas-là, nous ne valons pas beaucoup mieux que les meurtriers que nous condamnons.
Toutes mes pensées, c'est la seule chose que je puisse offrir, vont aux victimes.
Alexandre