Maître Eckhart était prié par ses bons amis : « Laissez-nous un cadeau d’adieu, puisque vous voulez nous quitter. » Alors il dit : je veux vous dire ma sagesse, qui est un château (un condensé) de tous les discours que j’ai jamais faits, et qui renferme toute la vérité que l’on puisse vivre et dont on peut parler.
Il arrive bien souvent que justement cela nous semble petit, qui est plus grand devant Dieu, que ce qui nous apparaît je ne sais combien grand. C’est pourquoi nous devrions accepter toutes choses pareillement de Dieu, qu’il nous impose, et ne devrions plus regarder ou réfléchir, laquelle serait la plus grande ou la plus élevée ou la meilleure ; nous devrions que suivre ce pour quoi Dieu veut nous avoir, justement cela pout quoi nous sommes aussi profondément inclinés et pour quoi nous nous sentons le plus fréquemment sommés et ce vers quoi nous nous sentons le plus attirés. Si l’homme suivait cela, Dieu lui donnerait le plus grand dans le plus petit, et jamais il ne s’en lasserait.
Mais il arrive souvent que l’homme dédaigne le plus petit et se coupe ainsi lui-même le chemin vers le plus grand, qui réside dans le plus petit. En cela il agit mal. Puisque Dieu est dans chaque manière et pareil dans chaque manière qui est en mesure de le recevoir de la même façon ! Il dépend entièrement de F intériorité, qu’un penchant soit divin ou pas. Il doit le reconnaître à cela, si dans toute chose il trouve une certitude et une reconnaissance de la volonté divine en lui, en sorte qu’il la suive avant toutes choses. Ce pourquoi il est alors incliné et pourquoi il se sent le plus fréquemment sommé, de cela il peut être certain : cela vient de Dieu.
De nombreuses personnes ne veulent prendre Dieu que lorsqu’il leur luit et flatte leur goût ; ils prennent la lueur et le goût, mais ils ne prennent pas Dieu. N’est-il pas dit dans l’Écriture : Dieu luit dans les ténèbres, où on le reconnaît tantôt le moins. Dieu est souvent là le plus, où il nous semble luire le moins. C’est pourquoi nous devrions accepter Dieu pareillement dans chaque mode et dans toutes choses.
Maintenant, quelqu’un pourrait dire : « Je prendrais bien Dieu pareillement dans chaque mode et dans toutes choses, mais mon âme ne reste pas de façon égale dans un mode, comme dans un autre. Ici je dois répondre : Ceci n’est pas juste. Puisque Dieu est dans chaque mode et pareil dans chaque mode pour celui, qui est en mesure de le recevoir de pareille façon. Que l’on reçoive Dieu davantage dans une manière, plutôt que dans l’autre, je le loue bien, mais ce n’est pas le meilleur. Car Dieu est chaque mode et pareil dans chaque mode pour celui qui est en mesure de le recevoir pareillement. Qui ne prend que le mode, dans ceci et cela, tout cela n’est pas Dieu. Qui ne prend que ceci ou cela, encore une fois, il ne saisit pas Dieu. Dieu est justement dans chaque mode et pareil dans chaque mode pour celui qui est en pareille mesure de le recevoir.
Maintenant quelqu’un pourrait objecter : Si je dois saisir Dieu dans chaque mode et dans toutes choses, est-ce que j’ai encore besoin d’un mode particulier pour cela ? Prenez garde à ceci : Le mode selon lequel vous trouvez le plus Dieu et selon lequel vous en devenez le plus fréquemment conscient, tel est le mode que vous devez suivre ! Mais si l’on débouche sur un mode qui paraît tout à fait contraire à ce premier mode, en sorte qu’on abandonne aussitôt ce premier mode, et que l’on saisit Dieu dans ce nouveau mode qui nous plaît désormais de la même façon que dans celui qu’on abandonne, alors c’est en ordre. Ce serait pourtant la chose la plus noble et la meilleure, que l’on parvienne dans une telle équanimité vers une telle tranquillité et sécurité, que l’on puisse prendre et jouir de Dieu dans chaque mode et dans toutes choses, et qu’on n’ait aucune sorte d’attente ni poursuite après quoi que ce soit : telle serait ma joie ! À cause et pour cette chose se produisent tous les actes, et pour cela toutes les oeuvres sont une aide. Ce qui n’est pas une aide pour cela, on peut le laisser.
Maître Eckhart (1260-1327).
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