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"Ce garçon a l’air d’aimer son pays plus que son parti"

Publié le 16 décembre 2011 par Pguillery

UNe-portrait-train-FBSur Causeur.fr, sous la plume de Marc Cohen, un article au ton, hum, différent :

Dans une France qui ne brille pas toujours par la qualité de son personnel politique, Bayrou est un paradoxe souvent exaspérant. Enfin disons qu’il m’exaspère moi. Ou pour être précis, ce qui m’exaspère, c’est que je l’aime bien. J’ai beau être un europhobe de gauche à sous-dominante populiste, je n’arrive pas à le considérer comme néfaste. Pourtant, je partais de loin : comme toute une génération formatée bon gré mal gré par les Guignols (les drôles, ceux de la grande époque de Delépine et de Reviens JPP, reviens), j’ai longtemps cru que c’était un neuneu UDF comme les autres. J’ai changé d’avis, comme beaucoup, avec la campagne de 2002, notamment, avec la fameuse gifle, donnée à un marmot pickpocket, et les explications clarissimes qui l’ont immédiatement accompagnée (« J’ai agi comme je l’aurais fait avec mes propres enfants »). Plus que dans tout autre exercice, dans une présidentielle, le style, c’est l’homme. Ce type-là avait de drôles de manières et de drôles d’arguments pour un supposé centriste ectoplasmique.

Bis repetita, en mieux, lors du scrutin de 2007 : on ne le rappellera jamais assez, donné à 8 % en décembre par les sondeurs, Bayrou avait fini l’élection avec 18, 5% des voix. Mordant à la fois sur les électorats putatifs de Sarkozy et Royal, mais aussi probablement sur celui de Le Pen, pas uniquement à cause de leur goût commun pour la belle langue, mais grâce à son image d’homme de la novation, de bougeur de lignes, voire de candidat anti-système. Et je connais maints chevènementistes de 2002 qui ont voté sans états d’âme pour cet européiste obsédé par la rigueur budgétaire, tant il est vrai qu’en contrepartie ce garçon avait l’air d’aimer son pays plus que son parti.

Bien sûr on me rétorquera que dans le même mouvement, Bayrou s’aime beaucoup lui-même. Mais c’est le contraire qui paraîtrait bizarre. Le pouvoir démesuré d’un président de la Vème République exige une ambition et un égo en rapport. C’est bien pour ça que je regrette la IVème et espère la VIème… En attendant ces jours meilleurs, Bayrou donne —comme Hollande et contrairement à Joly, Villepin ou Mélenchon- l’image d’un fou qui ne serait pas furieux, ce qui somme toute est rassurant.

Mais il n’y a pas qu’en psychologie que le Béarnais madré décroche un accessit : l’idéologie ne lui fait pas peur. Et pourtant, durant des lustres, la bataille d’idées a été aussi familière à un centriste qu’une pédale wah-wah à une harpiste. On reconnaissait le centriste à ce qu’il honnissait les idéologies qui nous ont fait tant de mal. Le fédéralisme européen, on l’aura compris, n’étant pas un choix idéologique mais le mouvement naturel du monde…

Or voici que Bayrou dynamite cette tradition : son slogan de campagne « Instruire et produire » est le plus idéologique qu’ait avancé un « grand » candidat depuis les temps révolus de la lutte des classes, le plus chargé de sens, on a presque envie de dire le moins marketing -à ceci près que le refus affiché du marketing, c’est toujours du marketing…

Au lieu de ressasser « Je vous l’avais bien dit, il y a cinq ans, pour la dette », ce qui aurait été légitime, mais vexant pour 81,5% des électeurs de 2007, notre Zébulon surgit là où on ne l’attendait vraiment pas (le patriotisme économique) et sur un thème que même les souverainistes et les antilibéraux jugeaient trop ringard pour eux (« Achetons français ! »). Du coup, de Mélenchon à Estrosi en passant par Hamon ou Le Pen, c’est à qui criera le plus fort qu’il y avait pensé le premier… Pensé, peut-être, mais c’est Bayrou qu’on a entendu, et on l’a entendu parce qu’il est le seul (avec le Che) à avoir mis les questions industrielles au centre de sa campagne : instruire et produire, on vous dit…

On notera au passage que cette OPA surprise sur le patriotisme, Bayrou n’a pu la réaliser que parce qu’il dispose d’un avantage comparatif par rapport aux autres candidats : sa solitude. Contrairement à Marine, Nicolas, François, ou Jean-Luc, Bayrou voyage léger, un atout de taille pour bouger vite et frapper fort. Pas de groupe parlementaire ? Vous n’êtes plus l’otage de vos députés et de leurs calculs électoraux qui ne sont pas forcément les vôtres. Mettez-vous à la place de Hollande, qui a vu ses sénateurs conjuguer toutes leurs forces sur le vote des étrangers, alors que le débat du moment portait sur la crise mondiale… Dans sa solitude, Bayrou est aussi immunisé contre les alliances pathogènes, genre Verts ou Nouveau Centre. En plus de ça, au Modem, on n’a pas de véritable organisation de jeunesse, tant mieux, ça évitera les campagnes d’affiches débiles comme savent si bien les faire MJS, FNJ ou Jeunes Pop. Bref, s’il vaut mieux être seul que mal accompagné, alors c’est bien parti pour lui, et les sondages flatteurs de ces jours-ci semblent le confirmer.

Reste à savoir jusqu’où montera la petite bête Bayrou. Pour passer d’un score héroïque à un vote utile, c’est-à-dire victorieux, il faudrait qu’il atomise Marine Le Pen dans les semaines à venir puis qu’il élimine soit Sarkozy soit Hollande au premier tour, et enfin qu’il réédite l’exploit au second tour avec celui des deux favoris qui aura survécu au premier. Franchement, Bayrou en est-il capable ? En vrai, je n’en sais rien. Mais s’il ne l’est pas, il est condamné à être un excellent candidat antisystème, le diable présentable qui sortira de sa boite tous les cinq ans pour faire peur aux petits enfants et aux « grands » partis.

(c) Causeur.fr - Marc Cohen


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