En ce temps-là, tandis que le Maître parlait
Aux foules, près des lacs beaux comme des étoiles,
Les pêcheurs, repliant leurs filets et leurs voiles,
Abandonnaient l’eau claire où la vague ondulait…
Les puits étaient déserts, et désertes les vignes :
Femmes, enfants, vieillards, pâtres et laboureurs
Faisaient de leur amour une escorte au Seigneur,
Et l’entouraient, attentifs à ses moindres signes.
Lui, calme, le regard tourné vers l’horizon
Comme s’il y cherchait sa demeure éternelle,
Il murmurait les lois de cette foi nouvelle
Qui libérait le monde et domptait la raison…
Il disait la pitié, le pardon, la justice.
Il disait – accessible aux simples – le bon grain,
Et la brebis perdue, et le Samaritain,
Et la prière souveraine et protectrice.
Et c’est ainsi qu’un soir, sous un ciel mauve et doux
Qui semblait incliner ses splendeurs vers la terre,
Il leur dit : « Moi, je dois retourner à mon Père.
Mais vous aurez toujours des pauvres parmi vous ! »
***
Oui, nous aurons toujours des pauvres, quoi qu’on fasse…
Et, malgré les grands mots vides comme la nuit,
Nous verrons le vieillard qui traîne sa besace
Et que tout un passé de misère poursuit ;
Nous verrons, accrochés au sein tari des mères,
De pâles nouveau-nés guettés par le malheur.
Nous verrons l’orphelin transi, qui désespère,
Et qui regarde l’avenir avec terreur…
Et l’infirme !… Et le sans-travail !… Et la roulotte
Où le nomade vit sa vie au jour le jour,
N’ayant que le soleil, qui parfois lui chuchote
A l’oreille des mots d’espérance et d’amour !…
Ah ! comme il nous faudrait une âme large et tendre,
Et des cœurs surhumains, et des doigts généreux,
Et dans nos voix cette pitié qui doit descendre,
Comme l’ombre et le jour, directement des cieux !
Ô douce charité, qui passes d’âge en âge
Sur ce monde où le Maître a tracé ton chemin,
Réconforte et souris, et console et soulage ;
Tu tiens tout le bonheur terrestre dans ta main…
Ne sois pas le mot creux, qui gonfle d’élégance
Et d’idéal le flot banal de nos discours :
L’hiver est là, réel, père de la souffrance.
L’humanité t’appelle : ouvre tes bras, accours !…
Viens !… pareille à l’espoir, soulève d’un coup d’aile
L’égoïste torpeur qui pèse, hélas ! sur nous ;
Et, grave, redis-nous la parole immortelle
Qui jadis prosternait les foules à genoux.
Tous les cœurs s’ouvrent à l’appel de ta voix pure !…
Et, céleste glaneuse au beau front couronné,
Prends ce que nous t’offrons sans regret, sans mesure,
Pour les pauvres… que le Seigneur nous a donnés !…
Marie Barrère-Affre (1885-1963), revue « Le Noël » n°1450, avril 1923.
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