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Bonnes vibrations

Publié le 13 février 2008 par Doespirito @Doespirito
Lego_relativity Il ne faut pas le nier, Facebook exerce une certaine fascination chez ses pratiquants. Un peu à la manière du bip ou du flash des mails sur votre ordinateur ou sur votre Blackberry. Magnétisme, d'ailleurs, devrait-on dire plutôt, car l'utilisateur se sent comme aimanté. L'envie vous tenaille de regarder périodiquement votre écran, de vous reconnecter, de recharger la page, de passer du profil à la home page en passant par la messagerie et les notifications, de revenir à la messagerie au cas où... C'est un peu la même chose avec le téléphone portable, qu'on scrute à la dérobée pour se changer les idées (votre interlocuteur physique, là, juste en face, est tellement pénible...), qu'on consulte ostensiblement dans le train, sur le quai, en attendant l'ouverture des portes de l'avion, pour se donner une contenance ou rappeler son statut d'homme ou de femme pressés, en sortant du cinéma, avec une grande bouffée d'air frais, en quittant une réunion si l'on en a été frustré, etc.
« Me voilà de retour sur le réseau », se dit-on. « Que pense le réseau de moi ? Que s'est-il passé, certes, mais surtout, quelle vibration secoue l'air autour de ma personne ». Mon halo personnel se construit de messages dans la boîte, de notifications d'applications qui me sont destinées, de “Friend requests”... A jet continu, les signes aflluent. Suis-je au pinacle ou en disgrâce ? Ai-je existé dans les pensées de beaucoup aujourd'hui, à cette heure, là maintenant ? Plus qu'hier ? Moins que demain ?
La tentation est très forte d'y retourner car Facebook, comme d'autres moyens de communication modernes, donne à un instant donné une sorte de représentation physique de votre état relationnel. Comme ces “friends wheel” ou ces “nuages d'amis”, qui vous dessinent une vision cohérente (ou supposée telle) de votre réseau personnel. Le monde peut vibrer, je sens ma vibration à moi, désolante à certains moments, rassurante, voire euphorique à d'autres. Ce portail personnel du moi-je rassemble ce qui était avant disséminé et lui donne une apparence compréhensible. Petit à petit, de façon consciente ou par acceptation inconsciente successive, vous construisez votre représentation. Et cette représentation s'étire au gré des micro-secousses initiées par votre réseau.
Nous n'avons plus besoin de chercher de la réassurance en faisant le tour des noms sur notre agenda, en envoyant un mail, en passant un coup de fil : ils sont là, qui flottent dans l'espace et qui émettent leurs signes binaires à tire-larigot. « Je ne vais pas bien », affiche le status grâce à un euphémisme plus acceptable du style : « Je serais bien ailleurs en ce moment ». Les “Friends” l'apprennent et réagissent, s'informent, proposent, compensent, calment, puis retournent vaquer à leurs occupations. Nous sommes flatttés de recevoir tel quizz sur “Quel personnage de la Révolution êtes-vous ?”ou “Quel philosophe français êtes-vous ?”. Au final, on se retrouve avec une sorte de H&M du Trivial Pursuit qui a au moins le mérite de nous distraire pendant quelques minutes. Tiens, le temps a passé ? Ah oui, c'est un peu chronophage. Mais comme tout le monde est dessus, il y a plus de chances que vos messages professionnels passent mieux là...
Les applications jouent un rôle intéressant, dans ce contexte. J'ai déjà expliqué dans ces colonnes à quel point il fallait relativiser leurs messages. Que je reçoive ce “Kiss me” de cette brune canon ne veut pas dire qu'elle en pince pour mes beaux yeux. Elle cherche simplement à débloquer cette fichue application en l'envoyant à une vingtaine d'amis, car elle veut savoir à tout prix le contenu du message qui lui est destiné mais qui ne s'ouvrira qu'avec l'envoi à 20 Friends... C'est d'ailleurs assez décevant, la plupart du temps, car il faut se creuser la tête pour trouver 20 amis susceptibles de recevoir ce message sans s'offusquer ou le prendre pour eux, au premier degré. Si ça marche, vous apprenez des choses qui n'ont, en général, pas grand intérêt. Mais ça ne marche pas toujours : vous vous échinez à trouver 20 gus pour ça, vous transpirez pendant une heure pour éviter les gaffes, le message part... et rien. Sésame ne s'ouvre pas et vous laisse consterné, abattu. Mais que ça marche ou que ça ne marche pas, vous avez encore une fois voulu savoir ce qu'on pensait de vous, vous avez voulu décrypter de façon instantanée votre propre vibration.
Donc, quand on reçoit ces fameux “Kiss me”, “Crush me” et autres joyeusetés bouleversifiantes, cela veut dire, peut-être, qu'on veut vous embrasser comme du bon pain : disons, 1 % de chance, au bas mot. Sinon, vous ne faites partie que des gens qui ne se vexeront pas en recevant ce message ou qui auront l'extrême courtoisie de ne pas le prendre pour eux. On a donc pensé à vous (ça, c'est le message subliminal) avant de vous l'envoyer, et à l'aune de l'état de vos relations, on a jugé bon de vous inclure dans l'envoi, en imaginant que cela ferait pas de vague. Inutile de répondre directement un message de ce type avec la même application (“app”) : mieux vaut tâter le terrain avant, si je puis dire, en vous assurant que vous étiez bien concerné.
L'évaluation du sens caché des pokes, des quizz et autres applications est donc complexe. Que signifie la cinquantaine de pokes ou les dizaines d'applications plus ou torrides que vient de vous envoyer cette personne travaillant à deux mètres de votre bureau : pas grand chose, sinon, qu'il ou elle a visiblement du mal à vous dire les choses en face quand vous la voyez à la cafétaria ou au happy hour en sortant du bureau. Que valent les messages et les images suggestives reçues d'un australien, d'une correspondante asiatique, voire, tout simplement d'un Friend londonien ? Peu de choses tant que la distance nous sépare. Plus on est loin, plus on peut se permettre de s'enflammer sans risquer un râteau, une remontrance ou le choc des valeurs. Entre les deux (le très loin ou le très près, au sens propre et figuré) se situent notre horizon relationnel, les gens avec qui on peut échanger sans craindre le grand écart et la déchirure musculaire morale. Ça laisse de la marge pour les vraies relations. 

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