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Cinéma et psychanalyse, comme Pane é ciocolatta

Publié le 20 décembre 2011 par Cdsonline

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Lorsque j'étais en 3e, un prof de français très inspiré nous avait amené voir, entre autres, Pane é cioccolata de Franco Brusati. La scène ci-dessus, on a continué à parler dans la cour de récréation pendant des mois (elle marqué certains d'entre nous durablement :) Nino Manfredi pour mieux s'adapter à son exil (suisse) se teint en blond et essaie de se faire passer pour un germanophone… jusqu'à ce que l'équipe d'Italie marque un but ! :D :'D :"D

Quelques années plus tard, l'enseignement de Jacques Lacan me permettait de mettre des mots sur la différence entre moi idéal (imaginaire) et idéal du moi (symbolique), le surmoi se distinguant de ces deux modalités (de l'identification narcissique) par le fait qu'il ne permet justement aucune identification, apparaissant plutôt comme un commandement traumatique, venant de l'extérieur, ressenti comme étranger, non intégrable dans le vécu imaginaire, bref: réel

Dans le narcissisme "normal" (comme c'est précisément le cas pour Nino Manfredi dans Pane é Cioccolata), le moi idéal (identification imaginaire, mimétique, directe: "ce que je voudrais être" "à qui je voudrais ressembler") est subordonné à l'idéal du moi (identification au trait symbolique dans l'Autre, "ce qui dans l'Autre m'interpelle pour me dire qui je suis, le point dans l'Autre d'où le sujet s'apparaît aimable, digne de l'amour de l'Autre,  ayant sacrifié ses intérêts immédiats et rempli ses devoirs dans ce but, être reconnu par l'Autre")…

Lorsque Nino Manfredi tourne le dos à la caméra, s'apprêtant à suivre la jeune femme, il est aussitôt "rattrapé" — interpelé au sens de "l'interpellation idéologique" d'Althusser — par le début de l'hymne italien…
Il semble ne pas en croire se oreilles, regarde autour de lui, ahuri, il tente de résister un peu, en vain…
Son "épreuve" a commencé, l'épreuve qu'il doit faire de son identité l'attend, il prend place parmi les autres, les membres de sa prétendue "nouvelle" communauté…
La reconnaissance désespérée qu'il en attend (fondatrice de l'idéal du moi, symbolique) l'amène jusqu'à renier l'Italie et les italiens, et même à les insulter en forçant le trait (Schweine Hunde!) jusqu'à ce qu'un point incisif dans l'Autre le fasse basculer, réintégrer sa véritable communauté symbolique, le but italien : "Gooooooooal! Gooooooal! Goaaaaaaaal!"

Lorsqu'il est jeté dehors, se rendant compte que la jeune femme est brune, qu'elle parle italien et qu'elle est espagnole, il se laisse tomber en arrière de dépit, depuis le début il est le jouet du grand Autre, l'ordre symbolique, qui conditionne ses identifications et ses actes, il a brisé le miroir, mais ne l'a pas traversé.
Renvoyé sine die à la question de son identité en souffrance, comme on dit d'une lettre qu'elle est "en souffrance"…

Le narcissisme de l'immigré Nino Manfredi est sain.
À l'opposé, dans le cas du "narcissisme pathologique", le moi idéal (imaginaire) n'est pas structuré, soutenu par l'idéal du moi (symbolique).
Loin d'être marginale, cette "pathologie" est aujourd'hui de plus en plus la norme. Accouchant du narcissisme de masse, dont l'exemple vient "d'en haut", des pseudo-élites auto-proclamées de la médiocratie triomphante.

Le révisionnisme "psychologique", que l'on fait subir à la théorie freudienne authentique, prétend "libérer le sujet des obstacles qui sont censés bloquer la pleine réalisation de son "moi véritable", de ses potentiels créatifs, etc."
Il en résulte une drastique réduction de la dimension subjective — avec l'engagement symbolique qu'elle suppose — au profit du "vécu imaginaire".

Pour insister sur le révisionnisme qui touche au corpus freudien, et qui semble réclamer de notre part un 3e retour à Freud (après celui de la Théorie Critique de la Société (École de Francfort) et celui de Lacan), voici un extrait de La culture du narcissisme de Christopher Lasch :
"Même lorsque les thérapeutes parlent de la nécessité de "l'amour" et de la "signification" ou du "sens", ils ne définissent ces notions qu'en termes de satisfaction des besoins affectifs du malade… "L'amour" en tant qu'humilité et la "signification" ou le "sens" en tant qu'acceptation d'une loyauté plus haute, voilà des sublimations qui apparaissent à la sensibilité thérapeutique comme une oppression intolérable, une offense au bon sens et un danger à la santé et au bien-être de l'individu. Libérer l'humanité de notions aussi archaïques que l'amour et le devoir, telle est la mission des thérapies post-freudiennes, et particulièrement de leurs disciples et vulgarisateurs, pour qui la santé mentale signifie suppression des inhibitions et gratification immédiate des pulsions."

Ainsi conforté dans son "narcissisme pathologique", le sujet narcissique contemporain ne connaît plus que les "règles du jeu social", règles pour réussir, règles pour l'accommodation, qui lui permettent de manipuler les autres tout en se tenant à l'écart d'un véritable engagement sérieux.

Cependant, l'effondrement de l'idéal du moi au profit du moi-idéal entraîne le surgissement d'une loi beaucoup plus folle et féroce, un "surmoi maternel" qui n'interdit pas mais inflige la jouissance, l'obligation de jouir, en punissant l'échec social…

Ce "surmoi maternel", par-delà toute identification possible, est ce qu'il y a de plus régressif, et Lacan lui-même l'évoque dans le séminaire sur les formations de l'inconscient comme "le surmoi maternel plus archaïque que le surmoi classique décrit à la fin de l'Œdipe" : "Est-ce qu'il n'y a pas derrière le surmoi paternel, ce surmoi maternel, encore plus exigeant, encore plus ravageant, encore plus insistant dans la névrose que le surmoi paternel?"

L'heure d'un 3e retour à Freud, par la voi(e)x de Lacan, n'a t-elle pas sonné ? =)


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