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Les rites du foot et de la religion : les Pharaons champions d'Afrique

Publié le 11 février 2008 par Gonzo

La première Coupe d'Afrique des Nations (CAN) date de 1957 : elle opposait alors trois équipes, l'Egypte (qui l'emporta), le Soudan et l'Ethopie. L'Afrique du Sud devait y participer mais le régime de l'apartheid n'avait pas accepté l'idée d'envoyer une équipe multiraciale (voir cet historique sur le site de RFI). Pour la finale de la 26e édition, organisée au Ghana, l'Egypte a gagné contre le Cameroun.
Sur les terrains de foot du monde arabe qui, comme on l'a vu dans un précédent billet, sont aussi des arènes politiques, les passions sportives étaient naguère associées à des identifications de type national, mais aussi régional et ou ethnique (telle ville berbère contre telle autre ville d'Algérie par exemple). Bien sûr, les conflits de classe n'étaient jamais très loin (le "riche" Zamalek contre le "populaire" Ahali au Caire), le tout pouvant fort bien se mêler comme dans la rivalité ethnico-politico-sociale - et sportive bien entendu ! - entre le Nejmeh et les Ansars, les deux principaux clubs de Beyrouth.
Depuis une bonne dizaine d'années à en croire cet article (en arabe, comme les références suivantes) publié sur le site islam-online, on voit s'y ajouter une dimension religieuse, ce qui n'a rien d'étonnant dans le contexte actuel. Une de ses manifestations les plus visibles est celle de la prosternation, le soujoud (سجود) pratiqué collectivement (سجود جماعي écrit-on dans les journaux, ici exécuté par l'équipe d'Arabie saoudite), mais le plus souvent en individuel (photo plus bas, il s'agit de Muhamad Aboutrika, l'attaquant vedette égyptien).
Pour l'ensemble des autorités religieuses, c'est une action recommandable (مستحبة) pour un musulman que de se laisser aller de la sorte à remercier ainsi le Créateur lorsque celui-ci a permis la réalisation d'un désir (marquer un but, gagner un match en l'occurrence).
Mais le geste rituel peut se charger d'autres significations. Un psychologue de l'université (islamique) d'Al-Azhar note ainsi, toujours dans cet article, la valeur morale et même religieuse qu'elle donne à la pratique du sport : décrié parce qu'il s'agit d'une activité vulgaire, physique, qui détourne le vrai croyant d'actes de dévotions plus agréables à Dieu ou plus utiles à la société, le football, rehaussé par ces marques de foi affichées sur les terrains, devient une autre façon de servir Dieu, de montrer que la volonté divine sait faire triompher ceux qui ont la foi.
Sami Sabri, un membre de la sélection nationale égyptienne, offre dans le même article une justification plus intéressante à cette nouvelle pratique. A ses yeux, il s'agit clairement, par cet acte, de proposer "une alternative islamique à des expressions de joie [pratiquées par d'autres joueurs d'autres cultures] étrangères à notre culture musulmane et à notre société". Puisque les rites (notamment télévisuels ) exigent de lui qu'il extériorise la joie qu'il ressent, le buteur musulman ne gesticule pas en tous sens comme un sauvage mais se prosterne sur la pelouse en hommage au Dieu de sa culture...
Il reste que durant cette dernière CAN l'équipe égyptienne s'est livrée comme jamais à ces manifestations de religiosité publique selon les commentateurs sportifs. Ainsi, alors qu'ils le faisaient jusqu'alors dans l'espace privé des chambres d'hôtel ou même des vestiaires, peut-être comme une manière de "créer du collectif" comme disent les coachs, les joueurs ont étonné en récitant ostensiblement à haute voix des versets coraniques sur l'herbe des stades, au vu de tous les spectateurs africains.
On peut y voir l'indice supplémentaire d'une religiosité toujours plus affichée qui gagne l'un après l'autre tous les secteurs de la vie publique. Un article d'islam-online, qu'on ne peut suspecter d'être hostile à la religion ou d'en minimiser l'importance, offre une autre explication, qui n'exclut pas la première.
Si les joueurs égyptiens ont multiplié les signes de piété islamique, c'est en fait pour contrer les pratiques de sorcellerie réputées si puissantes sur le Continent noir ! Et chacun sait qu'elles le sont tout particulièrement à Kumasi (où se jouaient plusieurs matchs), ville du grand club Asante Kotoko, deux fois champion d'Afrique grâce - peut-être - à la magie de ses fondateurs et dirigeants, les dignitaires religieux du peuple Ashanti...
Les apparences pourraient donc être trompeuses : les prosternations et autres récitations de versets, toutes ces néo-pratiques religieuses des terrains de foot de la TV globalisée témoignent sans doute de la manière dont la religion envahit l'actuelle modernité arabe. Mais elles s'enracinent aussi dans des pratiques populaires ancestrales, qui sont très loin d'être toutes acceptables aux yeux des normes religieuses (islamo-puritaines notamment) auxquelles on serait tenté de les assimiler.
D'ailleurs, pour les fans, les nouveaux champions d'Afrique s'appellent "les Pharaons", ce qui n'est pas vraiment très islamique !
Pour le plaisir des oreilles plus que celui des yeux peut-être, cette petite vidéo de la « rencontre historique » entre le Ahâli du Caire et l'America Club du Mexique. On y voit Muhammad Aboutrika, le buteur de la photo du haut, réaliser un magnifique but et une superbe prosternation ! Mais le plus grand plaisir naît de l’enthousiasme du commentateur !Culture & Politique arabes

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