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En principe, Sami Yusuf ne devrait pas faire partie des sujets dont on traite dans ces billets. Certes il revendique haut et fort son identité musulmane mais il n'est pas arabe. D'origine azérie, né en 1970 en Iran et élevé à Londres, Sami Yusuf est distribué par Awakening, une société britannique avec une filiale étasusienne, qui vend en ligne des islamic commodities : cd, livres, posters, vêtements...
Mais Sami Yusuf est aussi "l'inventeur" du vidéoclip islamique. Vedette internationale "islamiquement engagée", le jeune chanteur au physique agréable fait partie depuis plusieurs années du paysage culturel arabe avec des concerts réguliers dans toutes les grandes capitales régionales. En plus de son site officiel, on trouve ainsi sur la Toile un site très élaboré réalisé par deux fans, Hishem, un graphiste égyptien et Omar, un étudiant en Business School aux Emirats.
Sami Yusuf est aussi régulièrement invité sur les plateaux des grandes chaînes arabes. En pareil cas, l'artiste doit être traduit. En effet, si les paroles de ses chansons sont en partie en arabe, l'artiste ne parle pas cette langue, en tout cas pas suffisamment pour s'exprimer à la télévision. Comme de nombreux musulmans non arabophones, Sami Yusuf reprend dans ses prières, et dans son cas dans ses chansons et ses clips musicaux exclusivement religieux, un certain nombre de formules prononcées, pour lui, dans une langue étrangère, exactement comme le latin des prières catholiques... (Voir en lien le second clip, entièrement en arabe.)
C'est en 2003 que Sami Yusuf se fait connaître avec la sortie de son premier CD "Al-Mu'allim" ("Le Maître", par allusion au Prophète de l'islam) vendu à plus d'un million d'exemplaires. Les ingrédients d'une recette dont la réussite n'a fait que se confirmer depuis sont déjà réunis : des paroles - en anglais et en arabe donc, dans la tradition du "nashid", la louange de Dieu, sur une musique "halal" (islamiquement correcte) car associant seulement voix et percussions même si des titres plus récents associent le piano, le tout superbement illustré dans un vidéoclip vantant, selon des codes graphiques des publicités US pour Hollymood Chewing Gum, les beautés éternelles de la nature et du genre humain...
Le succès n'est pas venu tout seul, en tout cas dans le monde arabe. Dans ce cas précis, il est lié à l'évidence à l'amitié d'une autre vedette des médias islamiques actuels, le prédicateur 'Amr Khaled, déjà mentionné la semaine dernière. A en croire cet article publié sur le site Islam-Online, leur rencontre s'est faite à Londres, une villégiature que les autorités égyptiennes avaient fermement suggéré au prédicateur qui commençait à prendre un peu trop d'importance dans son pays natal. (Sans être franchement interdit, 'Amr Khaled y reste aujourd'hui encore assez modérément apprécié par le pouvoir politique et religieux.) C'est donc sur le sol britannique que la collaboration entre les deux hommes a commencé, à l'occasion de soirées où le tour de chant de la Muslim World Star succcédait aux conseils de vie délivrés par le prédicateur préféré de la jeunesse.
Tout naturellement, cette collaboration s'est prolongée sur le sol égyptien. Lorsque Sami Yusuf y a entamé sa carrière arabe en 2005, ses premiers plateaux télévisés ont eu pour cadre la très célèbre émission religieuse - sur une chaîne privée - de 'Amr Khaled. Et c'est la même compagnie, au nom directement inspiré des méthodes des télévangélistes US, "Good News for Me", qui gère le business des produits dérivés, à commencer par le lucratif commerce des CD.
A l'époque, ce qui ressemblait un peu trop à une campagne promotionnelle avait d'ailleurs suscité quelques remous et Sami Yusuf avait dû s'expliquer sur le sens d'une démarche (par exemple sur les antennes d'al-'Arabeyya) qui avait contre elle de trop bousculer les codes locaux, notamment en réduisant la scène égyptienne et arabe au statut de banlieue provinciale du show biz religieux planétaire ! Bien loin de vouloir passer pour un prédicateur ou même seulement un imam - ce sont ses termes -, il se considérait seulement comme un représentant de cette jeunesse issue "des sociétés orientales". Nul besoin d'argent dans sa carrière de chanteur, nul désir de gloire, précisait-il encore, mais uniquement l'envie de faire passer le message divin dans le monde actuel en montrant - et là il s'agit de notre interprétation - qu'on peut être musulman et moderne, jeune, beau et pieux...
Un point de vue qui trouve à l'évidence un écho dans le monde arabe et chez les musulmans, en tout cas auprès de ces classes montantes des bourgeoisies locales qui offrent à leurs enfants les meilleures universités anglophones, de plus en plus dans les antennes créées sur place, depuis un certain 11 septembre... Un islam fortuné et hype - les décors des clips de Sami Yusuf sont tout sauf misérabilistes - qui ne croit pas en l'action politique mais qui vante au contraire les vertus de la réussite individuelle laquelle, pour peu qu'elle soit morale, ne peut que bénéficier à l'ensemble de la société.
On a déjà évoqué dans un précédent billet cet "islam soft". Comme pour d'autres courants prétendument apolitiques, telles les pratiques quiétistes des confréries soufies, nombreux sont ceux qui, inquiets de la montée de l'islam politique, sont prêts à accorder une "bénédiction" fort intéressée à cette "positive islamic attitude".
Liens
- Des vidéoclips de Sami Yusuf en pagaille sur la Toile. Par exemple Al-Mu'allim avec Yusuf Sami en photographe friqué et profondément croyant, ou encore ce titre, Asma Allah (les noms de Dieu), qui décline, dans une atmosphère d'une blancheur virginale, les différents noms - sacrés - de Dieu en faisant défiler toute la diversité des visages de musulmans et de musulmanes (pas toutes voilées), races et âges confondus.
- Pour ce chanteur bien prudent sur le terrain de la politique, un entretien sur al-Jazeera où il évoque tout de même la Palestine..
- Le site de la société Awakening.
- Un article ancien (2004) dans Al-Ahram en français alors que la vedette faisait son apparition sur la scène arabe.Culture & Politique arabes