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Télévisions de ramadan (1/3) : inflation d'écrans religieux

Publié le 23 septembre 2007 par Gonzo
Page d'accueil du site www.alresalah.net (cliquer sur la photo pour agrandir)

Le dernier ramadan avait été l’occasion d’aborder dans ce blog la question des feuilletons télévisés durant cette période de l’année, la seule probablement, où les conversations politiques le cèdent dans les conversations quotidiennes aux discussions à propos des programmes spéciaux offerts sur les différentes chaînes. Ces dernières, qui préparent l'événement tout le long de l'année, en profitent pour doubler leurs tarifs publicitaires.
Un an après, le spectacle n’a pas vraiment changé, si ce n’est que le poids du religieux, traditionnellement très présent à l’occasion de cette fête, se fait peut-être encore plus sentir. Impression conforme à l'évolution globale du paysage médiatique arabe marqué, cette année, par la création de plusieurs chaînes religieuses spécialisées, déjà évoquée dans un billet précédent.
Sur ce sujet, voici ce qu’a publié récemment Muhammad ‘Abd al-Rahmân, un journaliste d’Al-Akhbar (journal proche du Hezbollah, faut-il le rappeler), sur la question, sous le titre « Et c’est ainsi que la ‘religion’ a gagné la guerre du satellite » (هكذا ربح «الدين» حرب الفضاء).
D’éventuelles précisions qui ne figurent pas dans l’article ont été rajoutées entre crochets dans cette synthèse librement traduite.
Page d'accueil du site www.rotana.net, appartenant au même groupe médiatique que Al-Risala

Dans un monde arabe déchiré par les contradictions, rien d'étonnant à ce que les chaînes religieuses le disputent, sur le satellilte, aux chaînes à sensation. Ainsi, al-Walid Ibn Talal [tycoon de la presse arabe appartenant à la famille royale saoudienne] est à la fois propriétaire de Rotana [spécialisée dans les clips vidéo] et de Al-Risâla [sur le sens de ce mot, voir ce billet]. Par ailleurs, on attendant le lancement d’une chaîne [religieusement] militante (ملتزمة) pour les enfants, et d’une autre à destination des musulmans en Occident.
Conscientes que « celles qui resteront seront celles qui auront eu le plus d’influence » et que celles qui ne l’auront pas emporté sont vouées à rester marginales par la suite, les chaînes religieuses sont entrées dans la bataille, alors que trois d’entre elles (Al-Hikma, al-Baraka, Al-Rahma) ont été créées ce mois dernier, et que d’autres, comme Al-Majd ou Al-Nas, ont refait leur look.
Tous les moyens sont permis dans cette guerre où l’on retrouve les procédés qu’emploient les chaînes [« normales »] de divertissement pour capter l’attention du public et se chiper les vedettes du petit écran, surtout durant cette période de grande audience pour ces chaînes qui intéressent de larges secteurs du public « ordinaire » (البسيط). Tel est ce qui est ressorti de la conférence de presse donnée par Târik al-Suwaydân, directeur général Al-Risâla, la chaîne créée, il y a 18 mois, grâce à d’importants financements de la société Rotana et dont on a dit à l’époque que son objectif était de rivaliser avec la chaîne [religieuse] Iqrâ’, liée au groupe [médiatique arabe ]ART.
Pourquoi les chaînes religieuses poussent-elles comme des champignons (on les compte par dizaines depuis le lancement de Al-Risâla) ? Chiffres à l’appui, al-Suwaydân estime que les chaînes religieuses sont désormais 25, un chiffre bien peu élevé à l'en croire si l’on considère qu’on estime que le total des chaînes [satellitaires] arabes s’élève à 480 et qu’on s’attend à ce qu’il y en ait près de 7000 en 2012. A ses yeux, cette augmentation est le résultat d’une mode, car le public qui recherche quelque chose de différent ne tarde pas à se rendre compte que ce qu’on lui propose est peu convaincant, superficiel, faux… A la différence des autres, Al-Risâla opère un bon équilibre entre ce que souhaite le public et ce qu’une chaîne religieuse doit offrir, sans verser dans l’extrémisme. Les autres offres, toujours pour al-Suwaydân, manquent à tel point de stratégie qu’on les appelle « les chaînes de [marchands de] tapis » à cause des publicités en bas de l’écran pour ce type d’article !
Une visite dans les coulisses est bien révélatrice des pratiques en vigueur dans les chaînes religieuses « populaires » financées, ce n’est pas un secret, par des investisseurs qui y voient l’occasion de réaliser d’excellentes affaires. A côté de Al-Risâla, que possède le propriétaire de Rotana, il y a ainsi Al-Nas, lancée au départ dans le Golfe pour diffuser des clips vidéo mais que son propriétaire, un investisseur de la région, a scindée en deux chaînes religieuses, pour le public égyptien d’un côté, et pour le public du Golfe de l’autre. Les facilités du passage sur le satellite au Caire contribuent à la multiplication de l'offre. Nilesat par exemple accepte la diffusion sur son satellite pour seulement le quart du prix demandé au total (120 000 dollars, avec 30 000 dollars de garantie), le reste étant versé à tempérament grâce aux revenus [publicitaires].
Ces chaînes ont la réputation de traiter leurs employés particulièrement mal : la chaîne Al-Nas s’est ainsi débarrassée de tout son personnel féminin, aussi bien devant que derrière la caméra, en raison d’une fatwa émise par cheikh Muhammad Husayn Ya’qûb qui avait annoncé qu’il ne poursuivrait pas sa collaboration avec cette chaîne si des femmes continuaient à y travailler ! Quant aux employés d’Al-Fajr, ils ont déposé plainte faute d’avoir été payés depuis bientôt huit mois. Pourtant, le budget de fonctionnement de ces chaînes est réduit au minimum, y compris au niveau du décor : le cheikh [qui mène l’émission] peut bien s’asseoir par terre (mais il sera filmé de telle sorte qu’on aura l’impression qu’il est derrière un bureau),et toutes les émissions sont tournées sur le même plateau (loué dans certains cas, pour faire des économies, à des chaînes de variétés !)
A l’écran, la contradiction entre les programmes et les souhaits des téléspectateurs est flagrante. Alors qu’une émission disserte à propos de la conduite vertueuse (الهداية), on peut lire [en bas de l’écran] un message d’un jeune homme qui, à la recherche d’une épouse, lui demande quelques précisions sur son physique et même son adresse ! Une autre annonce indique qu’un jeune Egyptien est prêt à partir sur le champ pour « épouser une femme du Golfe avec appartement ». Le contenu de l’émission n’est pas plus contrôlé [
murâqaba : cela peut s’entendre également comme « censuré »] que les petites annonces qui défilent en bas de l’écran sur ces chaînes qui proposent également des sonneries de téléphone, des publicités pour des livres ou des cassettes produites par les stars de la prédication, celles-là mêmes qui ont fait leur célébrité grâce à ces cassettes et qui trouvent, sur ces chaînes religieuses, l’occasion d’une consécration que leur refusent les chaînes publiques sur lesquelles les programmes religieux sont trustés par les sommités d’Al-Azhar.
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