Magazine Culture

The Lucifer Effect

Par Abigemuscas

Philip Zimbardo est le concepteur de l’expérience de laprison de Stanford, qui a consisté à sélectionner vingt-quatre jeunes genssains d’esprit, au casier judiciaire vierge et au niveau intellectuel au dessusde la moyenne, pour les affecter aléatoirement aux rôles de prisonniers ou degardiens d’une prison temporaire. L’expérience, qui devait durer deux semaines,a été interrompue au bout de cinq jours, alors que quatre des neufs « détenus »avaient dû être relâchés au vu des symptômes de stress sévère qu’avaientsuscités les sévices infligés par les « gardiens ».
The Lucifer Effect tire les enseignements de cetteexpérience qui met en lumière l’importance des facteurs « situationnels »par rapport aux dispositions propres de l’individu. S’appuyant sur d’autresexpériences, dont  celle de Milgram sur l’obéissanceà l’autorité, mais également sur des expériences créant d’autres situations d’internementfictif (en hôpital psychiatrique notamment), l’auteur identifie des facteurs derisque totalement extérieurs à l’individu. Ainsi, la perte des repèrestemporels conduit les sujets à vivre dans un présent hypertrophié et à occultertant le passé, sur lequel se fonde l’identité, que l’avenir, dont la consciencerenforce le sentiment de responsabilité. L’anonymat, favorisé par lesprocédures carcérales, contribue également à miner la conscience de laresponsabilité personnelle, constitue un premier pas vers la déshumanisationcomplète de la victime, et conduit les acteurs à se retrancher derrière desrôles qui définissent leur conduite – le gardien se trouvant ainsi agir defaçon à conforter son image de gardien, plutôt que son idée de lui-même commeêtre moral. L’ennui, la peur, le désir de conformité sont également des moteursbien connus, mais dont la force est généralement sous-estimée.
Cette expérience de Stanford a trouvé un écho inattendutrente ans plus tard, lorsqu’ont été révélés les mauvais traitements infligés àdes civils irakiens par les gardiens militaires de la prison d’Abu Ghraib.Sollicité comme expert par l’un des accusés, Philip Zimbardo a étudié les conditionsdans lesquelles ces abus ont été perpétrés ; il met bien sûr en lumièreles facteurs situationnels qui s’apparentent à ceux qu’il avait identifiés àStanford, mais il s’interroge également sur les facteurs systémiques – liés à unechaîne de commandement défaillante, à la formation  insuffisante des personnels de la policemilitaire, à la confusion des missions de garde et de renseignement, à ladiffusion d’une doctrine de l’interrogatoire poussé formalisée pour Guantanamo.Cette approche est, en un sens, réconfortante : elle montre qu’il estpossible de corriger le tir, ce qui fut fait d’ailleurs à Abu Ghraib par uncollègue de Zimbardo. Cependant, la présentation de cette affaire d’Abu Ghraibest par ailleurs extrêmement inquiétante tant le patriotisme - américain, en l’occurrence- a fait obstacle à la prise de conscience. Les soldats pris la main dans lesac sont les « pommes pourries » d’une troupe par ailleursexemplaires ; certains sénateurs républicains déplorent que l’on fassetout une histoire de cette affaire alors qu’il s’agissait « juste de s’amuser » ;et le soldat qui a donné l’alerte a été ostracisé et a passé plusieurs annéesen détention protectrice (quoi que cela puisse être) après que son identité eûtété « malencontreusement » révélée par Donald Rumsfeld.
Le dernier chapitre du livre est consacré à l’héroïsme et enparticulier à l’héroïsme civil de personnes qui mettent en jeu leur carrière, leurplan d’épargne retraite, leur liberté ou leur vie pour défendre des vies ou desprincipes. L’auteur entend en effet nous convaincre que résister aux facteurssituationnels est possible et propose à cet effet une catégorisation des formesd’héroïsme et un vademecum du héros en devenir. Tout cela est plein de bonnesintentions et ne laisse pas que d’être un peu agaçant, surtout parce que lelecteur est, bien entendu, parvenu aux même conclusions pratiques que l’auteur,et qu’il ne voit pas l’intérêt de se les faire seriner – à la premièrepersonne, qui plus est ! « je peux changer les choses »… : onse croirait dans Psychologies Magazine.
En général, on peut déplorer que The Lucifer Effect soitfranchement mal écrit, bourré de redondances et de phrases interminables etbancales ; on peut aussi s’agacer de ce dernier chapitre maladroit etgratuit. Pour autant, tant que l’auteur conserve sa perspective de chercheur etne se transforme pas en gourou, il livre un ouvrage réellement éclairant etsoutient de façon convaincante sa thèse de la prépondérance des facteurssystémiques et situationnels sur les dispositions individuelles.
The Lucifer Effect, Philip Zimbardo, 2007

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Abigemuscas 2 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte