Pas vraiment prioritaire jusqu’ici dans le cadre de la lutte contre l’obésité infantile,
l’information des parents pourrait bien devenir un enjeu de premier plan. En effet, des chiffres viennent d’être publiés outre-Atlantique faisant ressortir une carence criante à ce stade de
la prévention, qui montrent bien l’importance de mieux communiquer pour accélérer l’évolution des mentalités.
En France, suite aux directives de la Haute Autorité de Santé (HAS), nous manquons encore de retour sur la question. La réaction
des autorités américaines dans ce domaine de santé est donc à surveiller de près…
Un flagrant déni de communication
C’est en exploitant les données secondaires de l’étude de cohorte menée outre-Atlantique de 1999 à 2008 par la National Health and
Nutrition Examination Survey (NHANES) ayant permis de suivre 4985 enfants de 2 à 15 ans, et dont l’IMC atteignait ou dépassait le 85ème percentile, que le Pr Eliana Perrin et les
chercheurs de l’Université de Caroline du Nord-Chapel Hill School of Medicine, ont mis en évidence un élément capital : seuls 22% des parents concernés avaient été informés par leur
médecin du surpoids de leur enfant !
Une deuxième indication venant tempérer la première, puisque ce pourcentage a évolué favorablement durant l’enquête, passant de
19,4% en 1999, à 23,4% en 2004, et enfin à 29,1% en 2007-2008… Néanmoins, seulement 58% des parents d’enfants à forte obésité se rappelaient avoir été clairement informés !
Négligence ? Oubli ? Le moins que l’on puisse dire est que, de la part de spécialistes de santé, on était en droit, face aux
parents, d’attendre une approche plus « professionnelle »…
L’équipe du Pr Perrin a donc choisi de mesurer : « l’impact réel de la communication, vis-à-vis des parents, du statut
pondéral de leur enfant » et si le fait pour les parents d’entendre que leur enfant est en surpoids « constitue, tant que ça, un coup de semonce », afin d vérifier si ce mode
de communication permet vraiment de sensibiliser les parents, « au point de les amener à revoir leur mode de vie ». Car « ces statistiques montrent bien, ajoute-t-elle, que la
meilleure façon de communiquer reste à déterminer en matière d’obésité infantile. Nous y travaillons ! ».
A priori, tout de même, conclut le Pr Perrin, impossible d’ignorer une telle carence : « l’avenir exige des efforts dans ce
domaine. C'est notre responsabilité d'informer sur le surpoids et l'obésité, et de communiquer ces résultats de dépistage d'une manière sensible et claire, de manière à ce que les familles
puissent les entendre et s'en rappeler… Les parents seront plus motivés à préparer une alimentation saine et à recommander l'activité physique à leurs enfants, une fois que le médecin les aura
alertés ».
Les médecins assimileraient-ils l’obésité à une déficience ?
Une autre étude, canadienne celle-ci, diligentée par le Conseil Québécois de la Recherche Sociale apporte peut-être l’éclairage qu’il
faut, si l’on ose la comparaison avec l’annonce aux parents d’une déficience.
Il s’avère d’une part, pour les auteurs, que l’annonce d’une déficience « est une tâche éprouvante pour les professionnels »,
« cela ne pouvant bien se dire », et d’autre part, que « des parents se disent traumatisés par l'inconfort et l'attitude des professionnels à l'annonce de la déficience (Bouchard
et al., 1994; Lynch & Staloch, 1988; Pelchat et Berthiaume, 1996). Ils perçoivent une attitude de fuite de la part du médecin, qui les laisse seuls avec leur souffrance. L'attitude des
professionnels aura un impact déterminant sur le devenir de cette famille, de ce couple et de cet enfant » (Bailey & Simeonsson, 1988; Detraux, 1989, Eliason, 1991; Pelchat-Borgeat,
1978; Sauter, 1989).
De plus, « la majorité des écrits recensés s'intéressent à l'expérience des parents, et ont négligé celle des professionnels. Or,
est-il souligné, selon Quine et Pahl (1986), il importe d'étudier à la fois l'expérience des parents et celle des professionnels qui sont impliqués dans cette annonce. »
En résumé, selon les auteurs de ce rapport, on se trouve dans une situation d’impasse, « un examen de la documentation médicale
démontre que depuis vingt ans le nombre de parents insatisfaits n’a pas changé. »
Bien entendu, en parlant de « maladie déficiente ou handicapante » lorsqu’il ne s’agit en l’occurrence que de surpoids, nous
ne visons qu’à faire remarquer d’étranges similitudes dans le comportement des médecins, dans l’un et l’autre cas… Tout ne se passe-t-il pas comme si l’obésité infantile leur renvoyait une image
non pas identique, mais plus ou moins voisine ? Autrement dit, les médecins non plus ne sont pas à l’abris des préjugés dominants ! N’ont-ils pas les outils ?
Médecins et parents sont-ils sur la même longueur d’onde ?
En France, l’Ordre des Médecins fournit des recommandations générales de bon sens, censées donner les clés, soit de la relation
médecin-malade, soit de la relation pédiatre-enfant malade. Ainsi conseille-t-il :
« D’établir avec le patient une relation empathique, dans le respect de sa personnalité et de ses désirs. De se comporter de
façon appropriée lors de l’annonce d’un diagnostic de maladie grave, d’un handicap ou d’un décès. De prendre en compte le milieu socioprofessionnel, la culture, et les croyances d’un patient
porteur d’une maladie chronique, pour élaborer un projet thérapeutique individualisé tenant compte de ses attentes, et pour mettre en place une éducation thérapeutique individualisée en fonction
de ses capacités de compréhension. »
Mais il prévient en même temps le praticien que :
« La relation médecin-malade est une relation inégale. Elle a pour point de départ la demande d’un sujet souffrant adressée à un
sujet disposant d’un savoir. La relation médecin-malade est une relation paradoxale. Elle a le corps pour objet, mais passe le plus souvent par la parole, ce qui peut être source de malentendus
et d’incompréhension. »
Et malheureusement, en ce qui concerne le dialogue médecin-parents (nous y voilà), l’Ordre n’est pas d’une grande aide, se bornant
à dire que :
« Dans la relation médecin-malade, les parents ont une place prépondérante, quand l’enfant est jeune, mais aussi à l’adolescence,
où ils ont parfois des difficultés majeures à trouver la juste place pour aider leur enfant… »
C’est dire que son Ordre laisse au médecin le soin de se débrouiller… Peut-être les dernières directives de la Haute Autorité de Santé
l’inciteront-elles alors, s’il le peut, à combler ce vide. Pour pouvoir suivre, on ne lui laisse plus d’alternative : il lui faut se recycler !
Et si pourtant notre solution, bien française, était collective ? De nature à soulager le médecin idéalisé d’une pression
excessive, la consultation n’étant plus au centre de tout… Et si le partenaire manquant était la coordinatrice-diététicienne ?
L’ObObs a eu l’occasion (voir notre article ) de donner des exemples de médiation réussie d’associations comme le
ROI (Réseau Obésité Infantile), fort de son ingénieux principe de coordination, mis en place à Alès. Peut-être le moyen de débloquer les moyens classiques de communication ? Sans doute
serait-il salutaire de reproduire des ROI partout où c’est possible… En tout cas, c’est un système qui marche ! À la satisfaction des parents, et surtout… pour le plus grand profit des
enfants.
Notre récente étude (voir ici) nous a permis de mettre en avant les
manques d'information et de communication, y compris entre professionnels.
Sources : Archives of Pediatrics & Adolescent Medicine (6.12. 2011), Perrin et UNC-Chapel Hill, Asheley Cockrell
Skinner, Ph.D., et Michael J. Steiner, MD, « Parental Recall of Doctor Communication of Weight Status »/5ème
Biennale de l’Éducation et de la Formation(2001), INRP, D. Pelchat, H. Lefèbvre, J.M. Bouchard, S. Rousseau, « La relation de confiance
lors de l'annonce de la déficience motrice cérébrale et des incapacités ; point de vue des parents, des médecins et des professionnels » / www.bibliothèques-psy.com (2.09.2003),
Relation Médecin-Malade : recommandations (Ordre des Médecins) Institutions.