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Les mots de la politique (21) : « classes populaires », « classes moyennes », ces bêtes curieuses

Publié le 21 décembre 2011 par Variae

En 2012, le peuple sera à l’honneur. A gauche, on se fait fort de renouer avec les « classes populaires ». A droite, on a d’un côté une droite populaire dont le titre dit assez bien les ambitions, et de l’autre une « droite sociale » qui, sous la houlette de Laurent Wauquiez, entend pour sa part s’occuper des classes moyennes. Pour un peu, on se demanderait s’il y a déjà eu autant de bonnes fées autour des classes laborieuses. Je vous entends rétorquer : « c’est pareil à chaque élection ! ». Sans doute. Mais, sous l’effet d’une profusion d’études et d’ouvrages polémiques sur la question, en réaction, aussi, à la proposition d’un think tank en vogue de détricoter (pour aller vite) le lien entre gauche et prolétariat, « classes populaires » et « classes moyennes » saturent l’espace médiatique et intellectuel.La menace Marine Le Pen ne fait que renforcer cette tendance.

 

Les mots de la politique (21) : « classes populaires », « classes moyennes », ces bêtes curieuses

Donc on parle, reparle et re-reparle des « classes populaires » et, un ton en-dessous, des classes moyennes. Ce qui était un concept théorique investit le domaine pratique de la parole politique jusqu’à devenir un leitmotiv et un passage obligé des discours de candidat. Ceci n’est pas sans conséquences. « Classes populaires », « classes moyennes », c’est une classification, une description – mais pas une action ou une proposition concrète. Qu’un chercheur en sciences sociales emploie ces termes dans son travail est logique. Qu’en revanche une personnalité politique use et abuse de ces expressions dans ses interventions publiques, en se satisfaisant du seul fait de les citer, est plus problématique. Parce que ce faisant, il se cantonne dans le double registre de la description, et de la mise à distance. Je ne sais pas qui sont les « classes populaires » (les ruraux ? les rurbains ? les habitants des « quartiers » ?), et je doute que beaucoup de gens s’y identifient au point de se sentir concernés quand ils entendent cette interpellation.  En outre, répéter que l’on entend se concentrer sur ces classes, c’est louable, c’est (presque) un projet, mais cela ne dit pas encore ce que l’on veut faire pour elles. Nommer, ce n’est pas faire. Parler de, ce n’est pas parler à. Cela peut même, à la longue, introduire un sentiment d’extériorité par rapport à elles, en exagérant et en durcissant la rupture qu’il y aurait entre tel ou tel candidat et ces classes.

Cette tendance à la théorisation du discours, à l’invasion de la parole politique par des mots de marketing électoral, n’est à mon sens pas étrangère à la lassitude qu’éprouvent un nombre croissant de Français par rapport à leurs élus. Faisons le pari que ces Français ne veulent pas tant entendre parler d’eux comme des segments d’électorat à conquérir, qu’entendre directement parler des sujets qui les intéressent. Au hasard : services publics, protection sociale, pouvoir d’achat, emploi, laïcité … Le sujet n’est pas le souci des classes laborieuses (et son affirmation) ; le sujet, c’est comment répondre à leurs attentes.

Je propose un petit exercice aux responsables politiques qui s’y intéressent : à chaque fois qu’ils veulent placer le terme classes populaires ou moyennes, le remplacer, ou du moins le faire accompagner, par une mesure concrète qui leur est destinée. Cela replacera ces responsables à leur bonne place – qui n’est assurément pas celle du zoologue observant à la loupe des bêtes curieuses, ou discourant savamment sur elles, pour se donner bonne conscience.

Romain Pigenel

Les autres mots de la politique, c’est ici.


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