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Artiste et modèles (2) : A bigger splash (Jack Hazan 1974)

Publié le 27 février 2008 par Joachim
Et si A bigger splash (Jack Hazan 1974) pouvait se lire comme le flash forward désenchanté de ... Blow up (Michelangelo Antonioni 1966) ?
Extinction des derniers feux du swinging London et plongée dans les tréfonds des images (photo chez Antonioni, peinture de David Hockney dans sa « suite » informelle) en quête d’indices du passé. ***
La fête est finie. Les couleurs pop sont encore là, mais ont perdu de leur éclat. Les musiques se sont tues. Les sourires juvéniles se sont envolés. Et pourtant, les rues et les appartements londoniens portent encore les effluves du swinging London. Ce qui était pimpant s’est délavé, ce qui se chantait désormais se marmonne. Confessions sur canapé et évocation des élans si proches et pourtant à jamais évanouis. Découvrir aujourd’hui A bigger splash, ce n’est pas tant se laisser éclabousser par la nostalgie que de laisser ses narines chatouillées par une fragrance mélancolique directement « encapsulée » sur la pellicule en 1974 pour n’être libérée que trente ans plus tard. Premier effet d’un film qui paraît le miroir d’un autre « time capsule » nettement plus connu : Blow up. Etonnant effet gigogne. Les effluves spleenétiques du film d’Hazan paraissant elles-mêmes naître des émanations fanées du film d’Antonioni. A bigger splash, c’est ce qui reste de Blow up quand toute la vitalité, tout le pétillement s’est éventé.
Autre voisinage avec Blow up : la plongée dans les images, la façon de les scruter pour traverser les apparences. Dans Blow up, c’est le célèbre motif de l’agrandissement infini de la photo pour y déceler les indices d’un possible crime, mais surtout une vérité au-delà de l’éphémère.

Dans A bigger splash, ce sont d’étonnants face-à-face non seulement du peintre avec sa toile (ce qui n’aurait rien de particulièrement original dans un film sur la peinture), mais, plus étonnant, entre les modèles choisis par Hockney et leurs « figures » peintes sur la toile (à l’instar de cet extrait, assez étonnant duel).

Moments méditatifs au-dessus desquels semble planer le mystère d’un sentiment dérobé au modèle que ce dernier tenterait de retrouver sur la toile. Car c’est aussi ça de ce dont témoigne A bigger splash : la part vampirique d’un artiste, pôle magnétique d’une communauté d’esprit, mais surtout de sentiments. On n’est certes pas à la Factory de Warhol. Tout y est plus doux, plus feutré, plus délicat, moins drogué, moins hystérique, moins bruyant, mais l’attraction d’Hockney sur son entourage n’est pas sans rappeler celle du Drella de Manhattan.
Amusant également de voir comment ce parallèle peinture / photo qu’il s’agirait d’examiner dans ses moindres détails annonce, en quelque sorte, le travail postérieur d’Hockney fondé sur une diffraction des points de vue pour donner lieu à d’étonnants portraits ou paysages à la fois hyperréalistes comme totalement déstructurés. Portrait de Kasmin (David Hockney 1982)
Place Furstenberg (David Hockney 1985)
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Un mot enfin sur l’auteur Jack Hazan. En quelques mois, j’ai découvert ses deux principaux films (A bigger splash et Rude Boy 1980) et suis frappé par la singularité de la démarche de cet « auteur » oublié : dresser le portrait d’un artiste dans son quotidien le plus absolu (une scène comme celle de Rude Boy, où Joe Strummer passe son tee-shirt des Brigades Rouges au bonux dans le lavabo de sa chambre d’hôtel, on ne peut pas l’inventer) qui sert de révélateur à une époque, une société (les derniers feux du swinging London dans A bigger splash, les premiers du thatchérisme dans Rude Boy). Mais il y a mieux!
Si A bigger splash trouve son premier acte dans Blow up. Rude Boy paraît trouver son complément dans un roman de Jonathan Coe : Bienvenue au club (2001) qui suit l’éveil musical, sentimental et politique d’un groupe d’adolescents au tournant de la déflagration punk ska.
Lequel roman se poursuivra avec Le Cercle fermé (2004) où vingt-cinq ans plus tard, les mêmes personnages se dépatouilleront de leurs vies d’adultes blairistes.
Soit en seulement une ville – Londres - trois artistes - Michelangelo Antonioni, Jack Hazan, Jonathan Coe - et cinq œuvres - Blow up (1966), A bigger splash (1974), Rude Boy (1980), Bienvenue au club (2001) et Le Cercle Fermé (2004) - de quoi dresser le tableau de 40 ans de mutations esthétiques, politiques et musicales d’une société. On essaye de faire aussi bien pour chez nous ?

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