Électron libre au "gaullisme indépendant", Dominique de Villepin vient de se déclarer candidat à l’élection
présidentielle de 2012. Homme d’État incontestable mais solitaire comme Jean-Pierre Chevènement, d’expérience politique diamétralement opposée à son condisciple énarque François Hollande, il
pourrait bien être comparable à Michel Debré, malheureux candidat gaulliste à l’élection présidentielle de 1981.
J’ai une grande estime pour Dominique de Villepin. Il a une personnalité exceptionnelle, celle
des visionnaires et des bâtisseurs. Il a également une grande culture historique et un style très sympathique et emphatique. Il a le talent d’être vu sous l’aspect d’un "déplaceur" de montagnes.
En revanche, je me demande toujours ce qu’il fait dans la vie politique. J’ai l’impression qu’il y a une sorte de mur de cristal entre lui et la classe politique.
Surprise sur prise
Sa déclaration de candidature sur TF1 le 11 décembre 2011, confirmée par sa conférence de presse du 13
décembre 2011, a surpris tout le monde, probablement même ses amis politiques : aucun parti, aucun
soutien (ses proches ont été nommés au gouvernement, en particulier Bruno Le Maire et Marie-Anne Montchamp), pas d’argent (ou très peu), pas de cohérence politique (quelles forces représente-t-il
dans le paysage politique ?), et un peu de passif qui pourrait revenir violemment à la face des médias (implication plus ou moins vagues dans certaines "affaires" après être sorti intact de
l’affaire Clearstream ; CPE ; dissolution de 1997 ; rivalité avec Nicolas Sarkozy
etc.).
Il commence sa campagne électorale avec 1% mais les sondages d’après-candidature montrent un léger
frémissement autour de 3% alors qu’il avait navigué assez longtemps en 2010 autour de 7% (même 10% parfois).
Évidemment, il serait mal venu de comparer sa candidature avec celle d’Hervé Morin même si, concrètement, il existe toujours une incertitude sur leur détermination à la maintenir, en
sachant que les deux ne devraient pas avoir trop de mal à recueillir les cinq cents parrainages de maires.
L’anti-Hollande
Dominique de Villepin est exactement le contraire de François Hollande dont il a été le camarade à l’ENA (promotion Voltaire). L’un a occupé de nombreux postes au
sommet de l’État (Affaires étrangères, Intérieur, Matignon) tandis que l’autre n’a jamais été ministre (un véritable talon d’Achille pour le candidat socialiste en période de grave crise
mondiale).
Mais inversement, l’un ne s’est jamais soumis au suffrage des
électeurs, pas même dans un petit scrutin municipal, alors que l’autre a goûté quasiment à tous les scrutins (sauf sénatorial : élections municipales, législatives, cantonales, régionales,
européennes…).
L’un rejette les partis à la manière prétendument gaullienne (dans les faits, De Gaulle a créé le RPF et a initié la création de l’UNR) tandis que l’autre a dirigé l’un des principaux partis de
gouvernement pendant onze ans, dont la moitié, environ, en période de responsabilité gouvernementale.
Un Chevènement de droite ?
S’il faut faire des comparaisons, il serait plus judicieux probablement de comparer Dominique de Villepin
avec Jean-Pierre Chevènement.
Tous les deux ont occupé de très hauts postes gouvernementaux et personne ne leur refuse leur stature d’homme
d’État (ce qui manque le plus à François Hollande). Comme Dominique de Villepin, Jean-Pierre Chevènement a occupé quelques hautes fonctions régaliennes (Défense, Intérieur) sans se désintéresser
des questions économiques et sociales (Industrie, Recherche, Éducation nationale).
Mais tous les deux n’oscillent actuellement qu’entre 1 et 3% dans les sondages et donc, si tous les deux ont
la qualité pour occuper la magistrature suprême (personne ne le conteste), ils ne peuvent cependant qu’assumer une candidature de témoignage pour cette élection présidentielle de 2012.
Eh oui, car si la présence de Jean-Pierre Chevènement est assez facile à comprendre (essayer d’influencer sur
la campagne du PS), celle de Dominique de Villepin est la grande inconnue. Pourquoi veut-il témoigner ?
Quelles motivations le guident ?
Car si l’homme est riche en verbe, il n’a pas de message politique particulier à adresser aux Français. À
part le CPE et les émeutes, quelles sont les décisions qui ont marqué son passage à Matignon ? Aucune. Idem place Beauvau. C’est au quai d’Orsay qu’il a acquis une belle notoriété avec son
fameux discours au Conseil de sécurité de l’ONU le 14 février 2003 contre la guerre en Irak. Mais si
c’est un joli fait d’armes, c’est du passé, ce n’est en rien un projet d’avenir.
Or, une campagne présidentielle, ce n’est pas un retour vers l’arrière, ni bilan ni passé, c’est une
projection vers l’avenir, un projet, une vision. Et le projet de Dominique de Villepin est bien court. Quelques mesures assez révolutionnaires, sans doute intéressantes à étudier, mais pas essentielles dans les enjeux d’aujourd’hui.
Assurancetourix ?
Wikpédia précise à propos
d’Assurancetourix (personnage de la célèbre bande dessinée des aventures d’Astérix conçue par René Goscinny et Albert Uderzo) : « Assez grand,
blond et solitaire, il aime vivre dans sa hutte perchée en haut d’un arbre pour composer des chansons que lui seul apprécie. (…) Quand il ne chante pas, Assurancetourix est un personnage très
apprécié des habitants du village. Il est très sympathique et c’est un gai compagnon. ».
Pour la journaliste Raphaëlle Bacqué, qui est assez dure avec lui, Dominique de Villepin ne serait candidat
que pour avoir une sorte d’assurance anti-affaires. Les dernières boules puantes envoyées par ses anciens amis de l’UMP quelques jours avant sa candidature ont pu en effet infléchir sa position
au dernier moment (un effet miroir à la décision de Jean-Louis Borloo, ce dernier qui doit être bien
soulagé de ne pas avoir à participer à cette rude épreuve).
Après tout, même si la justice française, forte de son
indépendance, est capable de condamner un ancien Président de la République (à la santé très diminuée) à deux
ans de prison avec sursis, on imagine quand même mal un juge faire intervenir dans une procédure judiciaire l’un des candidats à l’élection présidentielle durant le temps de la campagne. Même si,
juridiquement, tout l’autoriserait, le juge pourrait convenir qu’il porterait atteinte tant à l’égalité entre les candidats dans une période cruciale de la vie démocratique qu’à la simple
présomption d’innocence.
Sa candidature devrait-elle donc être comprise comme une assurance tout risque ?
En tout cas, Dominique de Villepin paraît déterminé, a réaffirmé qu’il ne renoncerait pas et qu’il ne se
rallierait à personne. Une sorte de jusqu’auboutisme assez étrange quand on pèse aussi peu dans l’opinion publique.
À qui profite le "crime" ?
Si le pourquoi reste donc très énigmatique, le comment serait plus intéressant à anticiper. En d’autres
termes, qui va être favorisé et qui va être défavorisé par la candidature de Dominique de Villepin ?
La gauche a évidemment des raisons de se réjouir de la multiplicité de candidatures à droite, dispersant
ainsi le même électorat. Cette multitude confirmerait d’ailleurs que le candidat supposé de l’UMP ne serait pas incontesté.
D’autres insistent sur le "centriste" De Villepin.
Je m’étonne toujours de cette volonté journalistique à vouloir simplifier un échiquier politique :
jamais Dominique de Villepin n’a revendiqué une "appartenance" au "centre". Il se réclame d’un gaullisme
passé par les fourches caudines du pompidolisme et du chiraquisme dont il est, avec Alain Juppé, l’un des héritiers
politiques.
Même si aujourd’hui, il pourrait y avoir une certaine proximité de vue entre Dominique de Villepin et
François Bayrou, il ne faut pas oublier par exemple que le second avait voté la censure au gouvernement du
premier à l’Assemblée Nationale le 16 mai 2006 pour protester contre l’affaire Clearstream.
Quelques scénarios alambiqués
La presse a envisagé plusieurs scénarios parfois antagonistes : par exemple, que Dominique de Villepin
puisse accroître son petit capital d’intentions de vote pendant quelques mois (en en prenant au passage chez les sympathisants de François Bayrou) puis renoncer au dernier moment à la candidature
(avec une raison honorable, intérêt national, manque improbable des parrainage etc.) pour le léguer (ce petit capital) au candidat officiel de l’UMP.
Mais cela pourrait être l’inverse : après un plafonnement rapide, Dominique de Villepin se désisterait…
en faveur de François Bayrou qui ont le même discours sur le rassemblement des Français et l’union nationale (et François Bayrou est doublement plus crédible à ce sujet : candidat plus porteur
électoralement et discours constant depuis au moins dix ans, ce qui n’est pas le cas de Dominique de Villepin).
Le plus probable reste pourtant son maintien comme candidat, quel que soit le niveau que les sondages lui
donneraient dans les prochaines semaines. Parce que lorsqu’on croit avoir raison et qu’on est déjà à un certain niveau, rien ne peut décourager l’homme providentiel. Ni Don Quichotte.
La candidature de Michel Debré en 1981
C’était peut-être pour cette raison que me vient à l’esprit, selon moi, la meilleure analogie : la
candidature de Dominique de Villepin en 2012 ressemble beaucoup à celle de Michel Debré (le père de
Bernard et Jean-Louis Debré) le 26 avril 1981.
Rappelez-vous. Michel Debré fut le premier Premier Ministre de
De Gaulle et c’est lui qui fut le Garde des Sceaux lors de la promulgation de la Constitution du 4 octobre
1958. Donc, l’un des gaullistes les plus fidèles, les plus historiques, qui inspirent le plus respect. En particulier des autres gaullistes…
Comme Dominique de Villepin, Michel Debré a occupé Matignon et des ministères régaliens (Justice, Défense,
Affaires étrangères) et également l’Économie et les finances. Il a eu la même fidélité pour De Gaulle que Dominique de Villepin pour Jacques Chirac.
La rédaction de la Constitution de la Ve République est l’équivalent du discours de l’ONU. Son
comportement très contestable en faveur de l’Algérie française en 1962 est l’équivalent de l’entêtement de
Dominique de Villepin en faveur du CPE au printemps 2006.
Le 30 juin 1980, Michel Debré, fort de son expérience et très déçu du comportement qu’il jugeait peu
gaulliste de celui qui a repris le mouvement gaulliste, Jacques Chirac (en fondant un RPR dans un but uniquement antigiscardien), avait annoncé sa candidature à l’élection présidentielle de 1981. Sa candidature n’avait pas été prise très au sérieux par Jacques Chirac qui
avait déjà réussi à lui faire renoncer à la tête de liste aux élections européennes du 7 juin 1979.
À 69 ans pour l’élection, Michel Debré, à un an près comme De Gaulle quand il est devenu Président de la
République, pouvait malgré son âge afficher son grand atout, un brevet inattaquable de gaullisme authentique qui aurait pu séduire beaucoup de Français (nostalgiques).
Soutenu par Jacques
Chaban-Delmas, Jean Foyer, Maurice Druon, Olivier Guichard et par quelques autres parlementaires du RPR (vingt et un députés et quatre sénateurs), Michel Debré espérait même convaincre Jacques Chirac de
renoncer à sa candidature (pourtant inéluctable) et proposait déjà un « gouvernement de salut public dépassant les combinaisons
partisanes » qui aurait pu plaire non seulement aux giscardiens mais aussi à des proches de Jean-Pierre Chevènement et de Michel Rocard.
Sa candidature avait été fortement encouragée par Valéry Giscard d’Estaing pour polluer celle de son rival Jacques Chirac. Au final, il y a même eu trois candidats
gaullistes en 1981, en rajoutant la candidature de Marie-France Garaud (47 ans), ancienne proche collaboratrice de Georges Pompidou et de Jacques Chirac, déclarée le 3 février 1981, le même jour
que l’annonce de candidature de Jacques Chirac.
Nicolas Dupont-Aignan,
qui a déclaré le 21 novembre 2011 sa ferme intention de se présenter à l’élection présidentielle de 2012, pourrait par ailleurs être mis en parallèle avec la candidature très gaullo-souverainiste
de Marie-France Garaud.
Jusqu’en fin janvier 1981, Michel Debré jouissait d’une cote d’intentions de vote dans les sondages
similaires à celle de Jacques Chirac, autour de 8%, mais lorsque Jacques Chirac s’est déclaré, ce dernier lui a aspiré presque toutes ses intentions de vote.
C’est probablement le même effet que pourrait subir Dominique de Villepin (en partant de bien plus bas que
Michel Debré) en février 2012, lorsque Nicolas Sarkozy partira explicitement en campagne.
Même les "grands" trébuchent…
Le résultat des courses fut catastrophique pour Michel Debré, pour ce qu’il a représenté dans l’histoire du
gaullisme : le 26 avril 1981, il n’a même pas obtenu un demi millier de suffrages exprimés, avec seulement 1,7%, relégué au huitième rang sur les dix candidats (Marie-France Garaud a terminé
avant-dernière avec 1,3% tandis que Jacques Chirac a réussi à dépasser Georges Marchais en se hissant à la
troisième position à 18,0%).
Une élection présidentielle est sans complaisance pour l’amour-propre des personnalités politiques. C’est
l’amère expérience que pourrait en faire Dominique de Villepin dans quelques mois, à l’instar de l’un de ses prestigieux prédécesseurs, Michel Debré.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (22 décembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
République solidaire et le revenu
universel.
Les moulins
de l’UMP.
Sondage OpinionWay du 16 décembre
2011.
Sondage Ifop du 17 décembre
2011.
Sondage Harris du 17 décembre 2011.
Sondage OpinionWay du 21 décembre 2011.
Michel Debré (bientôt).
Le gaullisme politique.