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Lecture (littérature mauricienne).

Par Ananda

Ananda Devi : « INDIAN TANGO », Gallimard, collection Folio, 2007.

Etonnant livre, sans doute le plus audacieux et le plus intensément indien de l’auteure indo-mauricienne, puisqu’il nous précipite dans l’univers de la frustration féminine et de la transgression en tant que quête initiatique.

Deux femmes qu’apparemment tout sépare se cherchent, dans la sécheresse solaire et poussiéreuse de la chaotique capitale indienne, puis se trouvent au terme de l’improbable montée de leur attirance mutuelle, de leur faim exaspérée de « folie », de jouissance et de chair originelle, au moment même où arrive le torrentiel et féminin déluge de la mousson qui chasse la sécheresse d’essence mâle et les enveloppe enfin, à la manière d’une délivrance.

L’écriture, âpre, grave, précise, poétique vibre au diapason du manque et du désir, aussi sensuel qu’impérieux, qui en découle.

Où est LA FEMME dans une société qui coupe à ce point chaque représentante du sexe féminin de la conscience de son propre corps ?

Cet ouvrage peut être tout d’abord vu comme un procès, une sorte de réquisitoire contre une tradition férocement patriarcale qui, cultivant l’ascèse et la phobie de la souillure, voue la chair, et celle qui lui est le plus étroitement associée, à savoir la femelle de l’espèce humaine, à une suspicion de tous les instants. L’Inde est une terre de rigidités, de mort, d’hostilité à la spontanéité et à la joie de vivre. Son idéal d’ascèse y a durci, desséché les esprits et les cœurs. Elle bouillonne de foules cyniquement âpres au gain, d’inégalités colossales, de divisions inexpugnables et de contrastes saisissants qui, tous, concourent à entretenir une férocité glaciale.

Et, surtout, elle nie, écrase toute aspiration au bonheur individuel sous le multimillénaire poids du devoir et du sacrifice. De la femme, de l’épouse, elle exige la perfection du sati, à l’exemple de la déesse Sita. C’est sans doute une des cultures les plus conservatrices qui soient au monde.

Et pourtant, elle est également le pays de la Grande Shakti, cette nourricière qui est aussi une libératrice des âmes.

D’une richesse et d’une subtilité envoûtantes, ce roman nous propose, bien entendu, une lecture à plusieurs niveaux.

Le « féminisme » et la revendication du réveil des corps y côtoient l’homosexualité vécue, dans le cas qui nous occupe, comme une indispensable expérience de connaissance et de reconquête de soi-même. On retrouve ici un thème cher à la littérature comme au cinéma indiens, celui de l’amour dans sa dimension forcément contrariée, secrète et hors d’atteinte.

Mais il y a infiniment plus : si, au départ, l’auteur semble avoir nettement un compte à régler avec tout ce qui ressort de la tradition hindoue et, plus largement, de la mentalité indienne, on est surpris de constater, au final, que cet étrange « chercher la femme » camoufle également une flamboyante recherche de l’Absolu.

Car ce que l’écrivaine étrangère mais de culture indienne cherche à Delhi et au travers de cet autre corps féminin local, c’est aussi l’Absolu-Femme que représente, dans l’hindouisme, la Grande Déesse et c’est, par conséquent, une forme de spiritualité.

Rejoindre la Shakti, figure omniprésente de l’hindouisme, figure que l’Inde trahit, souille en rabaissant de la sorte l’élément féminin sacré…tel est l’enjeu suprême, en définitive, qui mènera l’héroïne à dissiper son mal-être personnel et à « renoncer au monde », toute paix intérieure retrouvée, cependant qu’une fois vécue l’aventure sexuelle, l’autre héroïne, une matrone indienne, s’humanisera jusqu’à soutenir le projet de bonheur et la révolte de la génération suivante.

La véritable spiritualité n’est donc pas dans la tradition.

Tel semble, en tout cas, être le message que tente de faire passer ce roman intense, sous la forme d’un authentique et vibrant hommage à la femme dans sa dimension spirituelle.

PL.


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